Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Terrorisme, menace, stratégie

Ci-dessous, le texte d'une conférence prononcée l'autre jour devant un panel international. Le thème m'était imposé (je n'aurais pas choisi un tel tire, mais il m'a donné l'occasion de préciser deux ou trois choses).

source

Terrorisme ? Non, jihadisme

Il y a une confusion autour du terme « terrorisme », qui est désigné comme s'il était l'ennemi. Or, le terrorisme est d'abord un instrument, un procédé, un mode d'action, au service d'un dessein politique. Le mot « terrorisme » neutralise le but politique. C'est pourquoi il vaut mieux parler de jihadisme : celui-ci consiste en l'utilisation de moyens violents aux fins d'établir un projet islamiste, un islam politique radical (je précise ici que je connais la distinction entre l grand jihad et le petit jihad, remarque souvent faite : il reste que les jihadistes se nomment eux-mêmes jihadistes : nous parlions bien en leur temps des Soviétiques, ce qui ne signifiait pas que nous approuvions leur idéologie).

Car le jihadisme est donc une idéologie.

Le jihadisme ressemble à bien des égards au communisme révolutionnaire du XX° siècle. Même théorie politique à la fois simpliste et compliquée, même maniement d'une langue codée, même sorte de livre fondateur et ses interprètes inspirés, même type de leader révolutionnaire guidant la lutte, y compris par les armes et les purges, même internationalisme, même concentration des efforts dans un seul pays.

Plus généralement, il s'agit d'un même système qui s'oppose d'abord à ce qui est perçu comme l'autre système, celui de l'Occident, toujours perçu comme dominateur.

En revanche, alors que le communisme s'adressait au genre humain, sans distinction de race ou de religion, mais insistait sur une catégorie transverse, le prolétariat, le jihadisme a une approche différente : si à terme l'islam doit s'imposer à l'humanité, le jihadisme vise d'abord les musulmans. Il veut en premier lieu s'imposer en terre d'islam (Dar el islam) avant d'étendre celle-ci.

Stratégies jihadistes

On peut de ce point de vue distinguer plusieurs stratégies jihadistes.

Il y a eu d'abord des tentatives locales, dans les années 90 : Algérie, Bosnie, Tchétchénie, tandis que les pays traditionnellement musulmans, notamment ceux de la péninsule ou l’Égypte, ne connaissaient aucun mouvement. A chaque fois, ces tentatives débouchèrent sur un échec.

Cela conduisit Ben Laden à inventer la « stratégie au loin », qui consistait à porter des coups directement en Occident, en espérant que sa fragilité supposée le conduise à s'écrouler. Les attentats de New York, de Londres, de Madrid en sont les principaux exemples. Mais contrairement aux attentes de Ben Laden, cela suscita une réaction très puissante de l'Occident (chute des talibans en Afghanistan), avec d'ailleurs des excès (guerre d'Irak) qui introduisit le chaos dont le jihadisme allait finalement profiter. En fait, la stratégie au loin suscitait, paradoxalement et de façon inattendue par ben Laden, les conditions pour une nouvelle stratégie « au près ». Il reste que la vigueur occidentale démontrait l'erreur de jugement de Ben Laden : l'Ouest était bien plus résilient, bien moins fragile qu'il ne l'imaginait.

C'est pourquoi apparut, au milieu des années 2000, une nouvelle théorise jihadiste, théorisée par l Bubakr, celle de la gestion du chaos. Elle a été mise en œuvre par Al Bagdadhi, le chef de l'EI. Il s’agit de profiter des situations chaotiques, aux marches géographiques des régimes affaiblis, pour établir une base territoriale à partir de laquelle on étend le jihad.

Menaces

Pas de menace directe d'envergure. Alors qu'Al Qaida (AQ) jouait la dispersion, l’État Islamique (EI) joue la concentration. Il est ainsi importateur de combattants, puisqu'il a établi le califat, non un exportateur au loin, sur les territoires d'Occident. En revanche, il explique que si on ne peut rejoindre le califat,on doit mener des agressions locales : mais il s'agit alors plus de « loups solitaires » ou de micro cellules locales que de véritables coups, organisés à distance, comme ce fut le cas avec le 11 septembre (du moins pour l'instant, car on ne sait ce que l'avenir nous réserve, et le jihadisme peut encore une fois muter).

Il est d'ailleurs un remarquable propagandiste, extrêmement professionnel et jouant avec toutes les techniques et tous les codes culturels de l'Occident. Il reste qu'il ne nous menace pas directement.

Toutefois, il nous menace indirectement.

Il maintient voire étend le chaos, ce qui conduit de nombreuses populations à émigrer (Afghanistan, Irak, Libye). Toutefois, le chaos syrien ou libyen n'est pas dû à l'EI, celui-ci en a juste profité. De même, les flux de migrations de cet été sont plus dus à des réseaux de passeurs (Libye) ou à la surpopulation de réfugiés dans les pays voisins de la Syrie (Turquie, Liban, Jordanie).

Son califat s'étend sur deux pays (Irak et Syrie) et remet en cause l'intangibilité des frontières et donc les quelques structures stables de la région. Il y a ainsi un principe fondateur des RI qui est mis en cause.

Ses succès attirent toujours plus de gens. Ses effectifs sont passés en quelques mois de moins de 20.000 à plus de 50.000. A force, il va devenir une puissance réelle qu'il sera toujours plus difficile de défaire.

De même, des mouvements insurgés locaux s'affilient à l'EI et il y a une certaine contamination, pas simplement idéologique : on aperçoit en effet les premiers éléments d'une coordination opérationnelle, en Libye, au Sinaï.

Quelle stratégie face à l'EI ?

Combattre ou contenir.

Combattre : Pourquoi pas ? Mais cela suppose des combattants au sol. Or, le succès n'est possible que si des combattants locaux participent à la lutte. Le combat à distance n'a jamais fonctionné, car il n'existe pas de solution simplement militaire à un défi qui est d'abord politique. L'Europe a envoyé des troupes pour défaire les bolcheviks de 1919 à 9122, mais les Russes blancs n'étaient pas assez unis et surtout ne disposaient ps d'un contre-projet politique pour rallier les populations.

En Irak et Syrie, la situation est encore pire car il n'y a pas de projet politique convaincant pour les populations. Dès lors, elles se réfugient dans des affiliations ethniques (chiites, kurdes) ou dans un combat jihadiste « national » (front Al Nusrah en Syrie). Aussi l'échec est-il probable, d'autant que les frappes à distance occidentales, paradoxalement, renforcent la propagande de l'EI auprès de tous les « damnés de la terre » : les combattants continuent d’affluer, d'autant plus que la pérennité de l'EI tend à prouver la justesse de son modèle, donc son attrait.

Contenir : C'est l'alternative inéluctable lorsque le combat débouche sur un échec. C'est bien ce qui s'est passé avec l'URSS dans les années 20 et 30. On a stoppé l'expansion à d'autres pays (Rosa Luxemburg en Allemagne) pour finalement accepter l'existence du nouvel État révolutionnaire. En Orient, cela signifie de consolider les zones non prises par l'EI : Irak, Kurdistan, Jordanie et, probablement, la Syrie d'Assad. Cela signifie que le proto-État islamique perdurera. Il ne reste plus qu'à espérer qu'il s’essoufflera à la suite des ses contradictions internes.

Mais si on regarde l'URSS, cela risque de prendre du temps.

O. Kempf

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/2055

Fil des commentaires de ce billet