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Quelques remarques sur le jihadisme

Ayant beaucoup lu sur le sujet depuis quelques mois, je ne prétends pas pour autant être un "expert", espèce décriée par les temps qui court. Disons que je ne vais pas sur les plateaux télé, je ne risque donc pas de trop subir la foudre des vengeurs. Par ailleurs, j'ai entendu récemment une conférence d'O. Roy, ce qui renvoie à la controverse "entre experts" qui l'oppose à G. Keppel .On en connaît la teneur. Pour O. Roy, la radicalité préexiste au jihadisme, il y a islamisation de la radicalité. Pour Keppel, à l'inverse, l'islam pose une question propre qui porte à la radicalisation, il y a au fond radicalisation de l'islam. On pourrait bien sûr dire que la vérité gît au milieu mais cet artifice ne convainc pas puisque bien peu essayent d'articuler les deux positions. Or, il ne me semble pas que les deux positions soient si incompatibles. Essayons modestement de comprendre comment.

Au fond, j'ai le sentiment que les deux postures ne parlent pas vraiment de la même chose. Roy parle plutôt de ce qui se passe en France, après avoir étudié les profils des différents "terroristes" jihadistes. Il constate qu'il y a une énorme part de musulmans venant de la deuxième génération, mais aussi une part importante de convertis (30%). Il note également le nombre croissant de femmes (jusqu'à 40 % dans les dernières cohortes), enfin le nombre important de fratries. En revanche, aucun lien avec des ghettos particuliers, ni même avec les centres salafistes, aucune corrélation au niveau d'étude ou au niveau économique et social (en clair, ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on devient radical). Voici pour les chiffres.

Qu'en tirer ? Selon Roy, il s'agit en fait de personnes qui sont soit des convertis, soit des born again (trois mois avant, ils fumaient, buvaient de la bière, draguaient les filles). Autrement dit, des gens qui passent dans une rupture soudaine et qui sont pour la plupart très peu "savants en religion". Ou encore, la religion est comme un prétexte, d'autant que le caractère suicidaire leur permet d'aller directement au paradis, sans passer par les étapes sur soi-même que prônent par exemple les salafistes, véritables pharisiens de l'islam, qui regardent tout selon la norme et le halal.

Allons plus loin : en fait, ces jihadistes européens seraient le produit de l'Europe et des conditions difficiles d'intégration sociale, ce qui dépasse à la fois la question de la pauvreté, déjà signalée, mais aussi du ghetto, car autrement comment expliquer que de jeune ruraux (assez nombreux) choisissent cette voie ? Or, ils sont décalés par rapport à leurs parents, qui sont quant à eux imprégnés d'une culture d'origine, celle de leur islam "traditionnel", ou du moins culturalisé.

Mais là où Keppel a quand même raison, c'est de montrer qu'il y a une question musulmane, ou plus exactement de l'islam politique. On en connaît la généalogie, entre Frères musulmans, révolution iranienne, talibans, wahhabites, Al QAidistes ou Daechiens. Roy a ici tendance à évacuer l'aspect idéologique de ce jihadisme, alors pourtant qu'i remarque bien que ces kamikazes européens sont instrumentalisés par ces organisations extérieures (AQ ou EI). Keppel souligne la question politique de l'islam, qui se pose d'abord en terre musulmane ou, plus exactement, dans l'aire de ce que les Américains désignaient autrefois par Grand Moyen-Orient (de la Mauritanie au Pakistan).

On comprend ce que Roy veut dire quand il évoque "l'échec de l'islam politique" : il signifie que cet islam politique ne peut être une solution. Mais Keppel regarde plutôt le moment intermédiaire qui sépare de ce constat, il observe à quel point l'islam politique, pour tout un tas de raisons, non exclusives, affecte les dynamiques de la région. Avec aussi des prolongements en Europe, qui dépassent le simple cas des jihadistes explosifs qui ont commis les attentats que l'on sait.

Au fond, les deux ne sont pas si opposés qu'ils en en l'air, me semble-t-il.

Voici la conclusion à laquelle j'arrive aujourd'hui, au terme de ce billet vite rédigé, qui me vaudra certainement les foudres des uns, des autres et des tierces.

O. Kempf

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