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L’Inde ancienne au chevet des politiques (Kautilya + Boillot)

Voici un ouvrage qui suscite l’intérêt. En effet, le « grand public cultivé » européen connaît bien sûr les philosophes grecs et il cite (puisque c’est court et facile à lire) le chinois Sun Tsu. Voici pour les Anciens, nous n’avons plus le goût de les lire comme au temps de Montaigne ou La Boétie. L’ouvrage présenté ici fut composé vers le 4ème siècle avant JC, dans une Inde déjà lointaine. Le traité de l’Arthashâstra fut alors rédigé par un certain Kautilya.

le félin - L'Inde au chevet de nos politiques - Jean-Joseph Boillot

L’intérêt qu’il revêt est double. D’une part, ce traité de quinze livres comprend une longue partie sur la vie extérieure de l’Etat : diplomatie et stratégie, l’équivalent indien de l’Art de la guerre. D’autre part, une partie sur la politique intérieure, objet du présent volume. Comme le remarque J.-J. Boillot dans sa présentation, le traité est un tournant universel de la pensée politique puisqu’il isole le politique du religieux et en fait une science comme une autre : c’est du Machiavel avant l’heure. Aristote, à la même époque, ne s’intéresse qu’aux régimes politiques, pas vraiment à la question de la gestion de l’Etat.

Le cœur du traité vise à établir « le bon gouvernement d’un pays », au sens le plus large « des régulations permettant le fonctionnement des sociétés et non des seules réglementations légales ». Comme le remarque également l’auteur, « on retrouve ici une des sources de la laïcité à l’indienne, c’est-à-dire une neutralité politique positive et non négative, vis-à-vis de toutes les traditions et religions » (p. 14).

L’ouvrage est articulé en huit livres (sur quinze, les autres étant dédiés, on l’a dit, à la stratégie, voir l’ouvrage de G. Chaliand ici). Le premier s’intéresse aux qualités du bon souverain, le second à la bonne administration, le troisième à la justice, le suivant à la sécurité des biens et des personnes. Le cinquième s’intéresse au bon fonctionnement de l’Etat (face aux coups d’Etat ou aux crises), quand les deux derniers portent « sur les moyens d’assurer la stabilité du pouvoir en place et de régler les troubles dans le royaume ».

Je ne résiste pas au plaisir de vous donner un aperçu : « Ce qui gouverne le monde, ce sont soit des actions humaines – la bonne ou la mauvaise politique (naya et apanaya) – soit des événements providentiels –le hasard ou la malchance (aya et anaya). Ce qui est imprévisible est providentiel. Atteindre des résultats qui semblaient presque impossibles est ce qu’on appelle la chance. Ce qu’on peut anticiper relève par contre de l’humain et chercher à atteindre des résultats désirés relève de la politique. Ce qui permet d’obtenir des résultats favorables, c’est la bonne politique, tandis que des résultats désastreux sont le résultat d’une mauvaise politique : c’est prévisible. Par contre, la malchance due à la providence ne peut pas être anticipée » (p. 95).

Voici donc un bref ouvrage qui en 120 pages permet d’aborder l’œuvre d’un maître méconnu de la philosophie politique mais aussi de la stratégie. La présentation très claire faite par Jean-Jacques Boillot, spécialiste de l’Inde (nous avions remarqué à l’époque son Chindiafrique) permet d’entrer dans l’œuvre avec une typographie aérée. Enfin, j’ai confié l’ouvrage à un de mes proches, fasciné par l’Inde et pas du tout spécialiste de science politique : son témoignage ci-dessous permet de donner un autre angle de lecture, je l’en remercie vivement.

Comment interpréter « chevet » et définir « nos politiques » ? Cet ouvrage devrait être offert à quiconque se targue de devenir un responsable politique, mais chacun trouvera là matière à réflexion. Le philosophe comme le financier, le paysan comme le savant. Cet ouvrage est déroutant tant il semble en mesure d’être un guide pour l’homme de la Polis.

Alors revenons au mot de chevet. Oui, il pourrait être le guide de survie de nos politiques, tant comme individus que comme système de gouvernement. Cet écrit traverse les siècles et nos géographies comme pour réveiller les consciences, s’il en reste à nos dirigeants. Il demeure en effet tout à fait actuel, là est la grande surprise.

L’Inde ancienne au chevet des politiques, Kautilya et Jean-Joseph Boillot. Editions du Félin, 2017, 125 pages, 12,5 €. 4ème de couverture : Écrit il y a plus de vingt-cinq siècles, l’Arthashâstra propose une véritable doctrine de l’État, moderne, bienveillant et efficace. Kautylia, surnommé le Machiavel indien, porteur d’un conservatisme éclairé y défend autant le bien-être du peuple que l’autorité de son Roi.
De cet immense traité, Jean-Joseph Boillot a extrait, traduit et adapté les grands principes de la bonne gouvernance. Parfaitement intemporelles, les questions qu’il aborde sont parfois même d’une étonnante actualité. Comment choisir ses ministres et mettre à l’épreuve leur moralité ? Comment assurer la sécurité des biens et des personnes ? Quel soin porter aux finances publiques et en prévenir les détournements ? Quelle place accorder à la justice ? Qu’est-ce que la souveraineté de l’État ?
Alors que les grandes démocraties occidentales souffrent d’une profonde crise de gouvernance, que leurs dirigeants et leurs programmes ne sont plus capables d’enrayer la montée des populismes, le citoyen trouvera peut-être un peu de réconfort et le politique un peu d’inspiration à la lecture de l’un des plus grands traités de l’Inde ancienne

O. Kempf

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