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Le débat français sur l'Otan : quelques remarques

Le débat français sur le sommet de Strasbourg s'articule, invariablement, sur le retour de la France dans l'Otan. Il faut dire que la politisation de ce dossier était tellement tentante qu'elle en était presque inévitable. Aussi, même si dans ce blog, nous tentons de parler d'autre chose, il faut bien en dire un mot.

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1/ On n'évoquera pas, bien sûr, l'utilisation du 49-3 (engagement de responsabilité) par le gouvernement : il suggère à lui seul à quel point le débat est sorti de son champ technique, et simplement stratégique, pour entrer dans une dimension intérieure, pour ne pas dire inférieure.

Allons donc vers quelque chose d'un tout petit peu plus évolué, je veux parler, par exemple, des deux tribunes publiées dans le Monde de vendredi. Celle d'Hubert Védrine, et celle de Bruno Tertrais.

1/ Hubert Védrine est contre ce retour. Il a une critique judicieuse : "Ces avancées de la défense européenne nous ont déjà été présentées en dix mois comme une condition préalable, puis comme une démarche parallèle et maintenant comme une conséquence espérée de notre réintégration. Demain comme un regret ?". M. Védrine frappe juste. Car en effet, on nous promettait l'an dernier des avancées, puis on nous a promis merveille lors de la PFUE, et il faut bien constater que si celle-ci a été, par ailleurs, une réussite, on n'a rien vu de vraiment probant dans le domaine de la PESD / PSCD. D'ailleurs, il faut remarquer que M. Fillon, qui était opposé au départ à ce processus de retour et voulait justement une contrepartie européenne (voir ici), a dû mettre un mouchoir sur sa poche ces jours-ci.

12/ Toutefois, on ne sera pas d'accord avec M. Védrine quand il affirme : "Mais de toute façon est-ce que la nationalité des officiers qui reçoivent et transmettent les instructions du Pentagone a de l'importance, sans changement radical des modes de décision au sein de l'Alliance, ce que rien ne permet d'espérer, même aujourd'hui ?". En effet, c'est croire qu'il y a, au sommet de l'alliance, un transfert de souveraineté. Faut-il faire remarquer à M. Védrine que les décisions politiques se prennent au Conseil de l'Atlantique Nord, qu'elles requièrent un consensus intégral et qu'on est donc bien loin de ce qu'on a admis, par ailleurs, pour l'UE ? qu'accessoirement, le retour de la France ne concerne que la structure intégrée où justement, hormis le Comité militaire, les décisions sont assez techniques ? Bref, il y a un peu d'illogisme, ou d'imprécision de la part de notre auteur, dont je ne saurais suspecter la mauvaise foi.

13/ Il affirme plus loin : "L'engagement de l'article 5 est contraignant". Faux, cher monsieur. Je signale le commentaire que j'ai fait sous le billet de F de St V sur AGS :



"L’article 5 est bien plus ambigu qu’il n’y paraît, puisqu’il ne dit que ceci: “Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.”

Prendra telle action qu’elle jugera nécessaire.

En clair, il n’y a pas engagement automatique, à la différence de ce qui est inscrit dans l’article 5 du traité de l’UEO, beaucoup plus contraignant.

''Ainsi, l’Art5 du TAN fait l’objet d’une sorte de “coutume institutionnelle”, car chacun considère qu’il y a automaticité. Il y a donc en permanence risque de “découplage” transatlantique." ''

14/ Pour le reste, la chose est évidemment symbolique, comme le soulignent à l'envi les opposants. Je ne nie pas ce symbole, dans un sens ou dans un autre, d'ailleurs : si certains en voient le côté négatif, les autres en voient le côté positif, et justifient ainsi leur audace. La vraie question est celle de la volonté politique, et de la capacité à énoncer une position autonome, si besoin est, et à défendre ses propres intérêts, dans une vision westphalienne qui est partagée par tous. Acte de foi ? pas seulement. Réalisme politique aussi, car l'histoire nous enseigne (!) que ces intérêts ressortent toujours.

2/ L'article de M. Tertrais amène, également, des commentaires.

21/ Il commence ainsi "Il n'est pas illégitime de s'interroger sur le pari que s'apprête à faire la France en réintégrant les structures militaires de l'OTAN.". M. Tertrais a aperçu l'essentiel : le retour de la France est un pari, ainsi que je ne cesse de l'expliquer depuis dix-huit mois. Pari bruxelliste (et l'Otan et l'UE). Volonté de "faire bouger les lignes". Incertitude quant à la réussite future.

22/ De même, j'adhère tout à fait à ceci : "En revanche, l'argument qui consiste à suggérer que nous nous rangerions de ce fait sous la bannière américaine, et que nous perdrions à la fois notre liberté de manœuvre diplomatique et notre image de puissance indépendante, n'est pas fondé. Dire que nous ne serions plus en mesure de nous opposer à la politique américaine, ou aux requêtes de participation aux aventures extérieures de Washington, n'a pas de sens."

23/ Je suis en revanche insatisfait quand il dit : "Au demeurant, l'Alliance atlantique n'a pas l'ambition d'être la représentante exclusive de la famille occidentale. Le traité de Washington (1949) ne comprend aucune référence à l'"Occident".". Ce qui semble aller de soi mérite, à mon avis, plus de précision. Qu'est-ce que la famille occidentale ? une pure représentation géographique ? ou une civilisation? et si oui, laquelle ? on se reportera ici au lumineux ouvrage de R.-P. Droit, " L'Occident expliqué à tout le monde", dont j'ai naguère rendu compte. Cette distinction me semble utile quand il s'agit justement de contrer l'argument "des valeurs qui nous unissent", régulièrement évoquées par les auteurs Américains, sans que l'on cherche vraiment à les creuser : démocratie ? économie de marché ? capitalisme ? On voit aujourd'hui que tout ne va pas de soi et que la crise économique actuelle pose la question de ces valeurs, ainsi que j'essaye d'en discuter dans ce blog.

24 B. Tertrais termine sur ceci : "Enfin, dire que notre voix porterait moins parce que nous serions intégrés revient à commettre un contresens. Au sein de l'Alliance atlantique, elle porterait au contraire davantage. Nous y serions en meilleure position pour défendre nos intérêts nationaux. Et l'entrée en nombre d'officiers français au sein des commandements de l'OTAN garantirait une meilleure prise en compte de nos conceptions en matière de défense et de sécurité." M. Tertrais va là bien vite en besogne, car il suppose que nous conserverions notre indépendance conceptuelle, notre altérité d'intelligence, notre French Touch qui fait que déjà, aujourd'hui, dans l'alliance, nous servons beaucoup. Or, rien n'est moins sûr. C'est d'ailleurs, encore une fois, une des questions soulevées par l'utilité d'ACT, que j'invoquais hier : un général français permettra-t-il une indépendance de la pensée otanienne, ou au contraire un alignement de la pensée française ?C'est au fond le vrai enjeu de l'alignement : non pas celui des politiques, mais celui des cerveaux statégiques.

Puisse ce blog et ceux d'AGS contribuer à sauvegarder cette indépendance intellectuelle, à mon sens la seule importante.

Le reste est profondément anecdotique.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 8 mars 2009, 13:50 par Jean-Pierre Gambotti

Cher Olivier Kempf,
D’abord une courte remarque concernant le risque « d’alignement de nos cerveaux stratégiques ». Je crois que cette polémique est un peu factice : depuis notre adhésion à la logique « des centres de gravité » pour faire court, nos états-majors raisonnent la guerre selon « GOP », mais cette soumission à un processus de conception des opérations ne signifie pas que l’imagination et l’intelligence soient sous contrainte. Un algorithme ne fait pas la manœuvre ! Les stratèges français pourront encore s’exprimer et imposer une pensée originale même dans le « noos » anglo-saxon, il y a quelques exemples historiques.
Ma deuxième remarque a trait au nucléaire et je suis curieux de savoir si Bruno Tertrais, éminent spécialiste, s’est exprimé sur le sujet. Pour ma part je pense qu’un retour dans le Commandement intégré et dans le Comité des plans aura des conséquences sur notre stratégie de dissuasion nucléaire même si nous n’intégrons pas le Groupe des plans nucléaires. Au cours de la guerre froide nous avons usé avec succès d’une rhétorique doctrinale sophistiquée et aboutie qui s’appuyait sur les qualités cardinales de notre dissuasion, sa crédibilité et son autonomie. C’est à un holocauste nucléaire commun que nous invitions l’agresseur et c’est une décision présidentielle qui pouvait nous y conduire si les intérêts vitaux de la France étaient menacés, intérêts qui n’étaient pas nommés pour conserver à cette stratégie l’incertitude et le flou autour du seuil d’emploi et son caractère dissuasif. Aussi notre réintégration quasi-totale dans l’OTAN n’est pas, à mon sens stratégiquement neutre eu égard à toutes les finesses de la logique de la dissuasion. Quid des intérêts vitaux nationaux « en coalition »? Quid de l’autonomie de décision ? Quid de la crédibilité de déclencher l’apocalypse chez vous pour sauver un voisin fut-il un allié ? La dissuasion nucléaire ressortit à l’égoïsme absolu des Etats, sinon elle n’est pas.
A mon sens, s’il doit y avoir un débat national sur le retour dans l’OTAN, le nucléaire devrait être central, mais notre incapacité culturelle française à traiter du stratégique verra encore la Chambre s’étriper sur le périphérique et les médias se complaire dans le buzz.
Merci pour l’ensemble de vos billets.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

Réponse : Mon général, merci de cette contribution : je crois que vous avez raison, et je n'avais pas vu cette aspect ds choses.

Toutefois, cela fait quelques années qu'on assiste à un flottement de la doctrine nucléaire en général, et dissuasive en particulier.

C'est vrai en France, mais c'est aussi vrai dans l'alliance. Un débat foncier devrait exister et n'intéresse que les spécialistes : celui du remplacement des avions alliés porteurs de l'arme - les Tornados. C'est pourquoi j'avais demandé à A. Dumoulin, il y a six mois, d'écrire un article sur le sujet dans DNSC. En fait, l'alliance ne pense plus le nucléaire : c'est ce que suggère l'article de J. Pellistrandi que nous avons passé dans Alliance géostratégique.

O. Kempf

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