A propos du discours de M. Sarkozy sur l'Otan

1/ Ainsi, le président de la République a prononcé mercredi le discours annonçant officiellement le retour de la France dans l'organisation intégrée (l'OTAN, stricto sensu, à ne pas confondre avec l'Alliance Atlantique, voir mon billet).

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Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité de ce retour (débat vain, car ce retour est anecdotique) pour analyser en détail les propos du président.

090311_discours_Sarko.jpg (copyright Élysée)

2/ "Et ce que j’ai découvert avec le Premier ministre et avec le gouvernement, c’est qu’alors que nous sommes dans l’OTAN, car nous y sommes, il y a bien peu de personnes qui le savent." Fichtre : si les conseillers du président sont incapables de lui expliquer la différence entre Alliance et organisation, nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Pourrait-on demander une certaine clarté du débat, et donc l'emploi des mots appropriés ? Commencer son discours par une telle erreur factuelle encourage l'agacement....

3/ "J’avais dit l’année dernière que ce mouvement vers l’Alliance passait d’abord par une relance de la défense européenne. Qui peut contester que c’est une réalité?". Au passage, remarquons que le compte-rendu du Monde donne un texte légèrement différent : "J’avais dit l’année dernière que ce mouvement vers l’Alliance passait d’abord par une relance de la défense européenne. C'est fait."

Sans être désobligeant, il faut bien constater qu'il n'y a pas eu les avancées annoncées l'an dernier : on attendait plus, et la création d'un Erasmus militaire paraît bien faible comme symbole d'une relance de la défense européenne. Quant à l'opération Atalante, remarquons juste qu'elle a relevé une force navale alliée, qui patrouillait sur zone depuis plusieurs semaines.

Qu'est-ce à dire ? Que la condition de la relance de la défense européenne, affirmée il y a un an, a été abandonnée en cours de route. Honnêtement, cela affaiblit le plaidoyer. Le sobre et laconique "c'est fait" signifie, pas sa brièveté, que le pari ne fonctionne pas autant qu'on l'avait espéré. Ou plutôt, que si l'Europe de la défense progresse, ce n'est pas au travers des institutions mais des actions concrètes : c'est aujourd'hui que l'EUFOR passe la main à la MINURCAT au Tchad, preuve que l'UE est capable de monter des opérations compliquées, logistiquement difficiles, et surtout de les finir (voir mon billet).

3bis/ ''Tout se passe comme si on cachait les faits aux Français ; des faits que j’avais mis en avant pendant la campagne présidentielle, je ne prends personne en traitre. J’ai toujours pensé profondément que l’intérêt national de la France devait nous conduire à ce rapprochement''. Là, le PR travestit un peu la réalité. M'intéressant à l'OTAN depuis longtemps, c'est peu dire que j'ai scruté ses déclarations de campagne sur les affaires de défense, et notamment son entretien accordé à la revue de l'IHEDN. Or, il n'y a pas fait la plus petite allusion au retour dans l'Otan. Il n'a commencé à se dévoiler qu'au moment de son premier discours des ambassadeurs, le 27 août 2007, et encore, sans être d'une clarté aveuglante. Il avait précisé les choses dans un entretien au NYT, où il posait justement la condition d'avancées en matière de PESD en préalable au retour dans l'Otan : j'avais signalé la chose dès novembre 2007 dans le numéro de Défense Nationale spécial OTAN. Depuis, les choses se sont accélérées, et chacun sait bien que c'est M. Sarkozy qui a poussé à ce rapprochement, malgré la réticence de M. Fillon. On se reportera notamment à ce billet, et au blog Bruxelles2.

4/ "Le Général de GAULLE lui-même définissait notre Alliance en 1966 comme « celle des peuples libres d’Occident ». Mais l’Alliance est aussi, on ne le dit jamais, un traité d’alliance entre les nations européennes elles-mêmes. 21 des 27 nations membres de l’UE sont membres de l’Alliance." Le PR souligne quelque chose qui est la plupart du temps oubliée : l'Alliance atlantique est d'abord un outil européen, qui permet à ceux-ci d'intéresser l'Amérique à leur sort. Chronologiquement, l'UO de 1948 (transformée en 1954 en UEO) a précédé l'Alliance de 1949. Mais c'est cette dernière qui a eu du succès, car elle servait un lien transatlantique dont les Européens sont les premiers bénéficiaires.

5/ "Dans le contexte de la crise des euromissiles, en juin 1983, le Président de la République d’alors était François MITTERRAND. Un Conseil atlantique s’est tenu à Paris pour la première fois depuis le retrait français.". Attention, il faut bien préciser ici qu'il s'agit d'une réunion du Conseil de l'Atlantique Nord en format ministériel : qu'il s'agit donc d'une réunion de l'Alliance et que la France a donc toujours participé à ces réunions du CAN en format ministériel. Et que le signal politique n'est pas aussi important que le PR veut bien le dire. On rappellera qu'un sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Alliance s'est tenu à Paris en 1997, à l'occasion de la signature de l'Acte fondateur OTAN-Russie.

6/ "En 1993, Président François MITTERRAND, nous avons recommencé à assister au Comité militaire, et en 1996, Président Jacques CHIRAC, nous y avons repris pleinement notre place". Là encore, le Comité militaire appartient-il à la structure intégrée, ou est-il un mécanisme politique ? Les experts en débattent. Selon moi, il est l'interface entre le pur politique (le Conseil de l'Atlantique Nord, avec des ambassadeurs qui dépendent du Quai d'Orsay, et des réunions en format MAE ou MinDef), et le pur militaire (la structure intégrée avec les commandements stratégiques, autrefois ACLANT et ACE, aujourd'hui ACO et ACT). Le CM réunit les représentants des CHODs( Chiefs of Defense) c'est à dire des CEMA. Il est politico-militaire.

7/ "Et nous ne placerons pas de contingent en permanence sous commandement allié en temps de paix." Ce point est essentiel car il constituait un des deux points clef du retrait français de 1966,avec le nucléaire. Toutefois, le PR fait une promesse facile, car il n'y a pratiquement plus de Contingent national placé en permanence sous commandement de l'Otan : je ne vois que les deux groupes de forces navales permanentes, et encore, il s'agit de navires placés là à la décision des Etats (l'un d'eux a d'ailleurs été envoyé immédiatement dans le golfe d'Aden, au moment des affaires de piraterie, bien avant Atalante). En fait, l'histoire de l'Alliance de l'après-guerre froide est celle d'une lente renationalisation des politiques nationales, tous les pays reprenant leurs billes et retirant donc leurs contingents. C'est d'ailleurs la raison principale qui me fait dire que ce retour est anecdotique : car en fait , tous les Alliés sont devenus très français......

8/ "Nous voulons renforcer le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN." C'est en fait une demande otanienne : car les spécialistes s'aperçoivent aujourd'hui que l'UE a dans les faits plus de moyens que l'OTAN, grâce à ces piliers et sa structure civilo-militaire. Ainsi, chacun s'époumone sur Berlin + et l'accès par l'UE aux moyens de l'Otan. C'est ne pas savoir que ce mécanisme n'a pas été très concluant quand il a été testé, et qu'aujourd'hui, c'est l'alliance qui demande un Berlin + à l'envers, demandant à accéder aux moyens européens (civilo-militaires, police, justice, et financiers).

9/ "Mais notre Alliance n’est pas une auberge : y entrer, cela implique de partager nos valeurs, de pouvoir en assumer les responsabilités et de contribuer effectivement à la sécurité des alliés et à la stabilité du continent". Si quelques uns avaient encore des doutes, le PR maintient son opposition à l'accueil prochain de la Géorgie et de l'Ukraine.

10/ En conclusion : Bien sûr, le discours est intéressant. Mais il n'apprend pas grand chose de nouveau. Cela rend-il le retour dans l'Otan moins convaincant ? Non, mais on aurait préféré une argumentation plus pertinente : le monde a changé, et l'Otan a changé. Rien ne s'oppose donc à notre retour qui sera un multiplicateur de puissance. Surtout à l'heure où les Américains se réintéressent enfin à l'Alliance, qu'ils avaient négligée pendant huit ans de présidence Bush, et alors qu'elle va devoir se prononcer sur la nouvelle architecture de sécurité européenne.

Alors, incontestablement le retour est un pari : en fait, celui du maintien de l'alliance. Soit elle se perpétue, et nous aurons notre part de la nouvelle direction. Soit elle se délite, et on ne pourra nous reprocher son effacement. Peu de choses à perdre, beaucoup à gagner.

O. Kempf

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