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Clausewitz (III, 10) La ruse

Dans ce petit chapitre, Clausewitz organise son raisonnement en trois temps.

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1/ La ruse paraît essentielle.

"Qui dit ruse dit intention cachée" (p. 206). "Elle est elle-même tromperie, une fois exécutée; ce qui l'en distingue, c'est qu'elle ne viole pas une parole donnée. La ruse laisse la victime s'enferrer elle-même, et ses erreurs se combiner soudain en un effet unique qui renverse une situation sous ses yeux". Notons au passage le mot "effet", qui pourrait inspirer aux théoriciens des EBO de fructueux rapprochements.

Dès lors, "il n'est pas injuste que la stratégie ait tiré son nom de la ruse". On reste surpris de cette étymologie, car on comprenait la stratégie comme venant du grec stratos qui signifie « armée » et ageîn qui signifie « conduire ». CVC précise juste après : "prenons la stratégie comme l'art d'exploiter la violence avec habileté" : on retiendra la définition, d'autant que j'ai le sentiment que c'est la première fois que le maître nous la donne. Il ajoute : "nul don n'est si propre que la ruse à diriger et inspirer la stratégie". C'est ce qui différencie la ruse de la surprise, résultat du hasard. La ruse paraît donc essentielle à la stratégie.

2/ Toutefois, ce n'est pas si sûr

Pour CVC, ce n'est pas empiriquement prouvé. En effet, "L'histoire en montre peu de grande importance" (de victoire obtenue par la ruse) (p. 207). Pourquoi ? Par ce qu'elle demande des efforts. "La stratégie se consacre exclusivement à l'agencement des combats et aux dispositions qui y ont trait". "Elle ne se paye pas de mots". Oh! que l'on oublie souvent cette dernière maxime. Le stratège ne se paye pas de mot. Il est concret et lucide. Il ne se ment pas, et ne ment donc ni à ses subordonnés, ni à ses chefs, ni à l'ennemi. "Préparer des engagements assez conséquents pour tromper l'ennemi consomme beaucoup de temps et d'énergie, leur coût augmente avec l'enjeu de l'attrape". "En vérité, il est dangereux de déployer longtemps des forces importantes pour étayer un subterfuge : le danger sera toujours présent qu'elles manquent à l'endroit décisif".

Car l'essentiel tient à la mobilité, condition de réussite de la ruse : "sur l'échiquier stratégique, les pions sont privés de la mobilité dont se nourrissent la ruse et le stratagème". Ce principe de mobilité , évoqué en passant, annonce les futurs développements de CVC.

3/ Conclusion : la ruse n'est pas une recette

"Nous concluons donc : le coup d'œil acéré est bien plus utile et nécessaire au général que la ruse, quoique celle-ci ne gâte rien". Fort bien, maître, mais qu'est le coup d'œil acéré ? CVC ne le dit pas. Il ajoute juste "plus faibles seront les forces dont dispose le commandement stratégique, plus celui-ci aura besoin de ruse". Autrement dit, et nous le savions à la lecture de tous les romans d'aventure héroïque que nous lisons depuis notre enfance, la ruse est l'arme des faibles, elle est l'intelligence de Robin des bois ou des Grecs assiégeant Troie, elle permet de compenser une dissymétrie.... "Plus désespérée est sa position, plus il est poussé vers une tentative de la dernière chance, plus il lui faudra combiner la ruse à l'audace" (p. 208). Tirons en le corollaire : plus on est fort, moins on doit être imaginatif.

Tout cela est bel est beau, mais laisse le lecteur interdit : la ruse n'est, pas plus que la surprise, une condition essentielle du succès. Seul compte le coup d'œil acéré du général. Ou la seule supériorité numérique. Est-ce tout ? ne peut-on tirer d'autres principes de toute cette étude ? doit-on seulement se contenter de la "mobilité" ? La guerre ne serait qu'une physique comparant des niveaux de force ? ??? cela serait fort surprenant. Heureusement, il reste des chapitres....

O. Kempf

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