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Talibans : compréhensions nouvelles

Deux articles ont été particulièrement intéressants, cette semaine, pour mieux appréhender le phénomène taliban.

1/ On lira tout d'abord l'entretien accordé par Antonio Giustozzi au Monde du 6 mai dernier. Selon lui, les Talibans ont appris par rapport à la génération de 2003 : plus pragmatiques, meilleurs utilisateurs de la technologie, ils ont su prendre leurs distances avec Al Qaida, mais aussi avec certaines figures historiques du mouvement comme le mollah Omar. Surtout, la structure a tendance à se formaliser, à se consolider. C'est "l'amorce d'une institutionnalisation".

Ce propos est intéressant, car on sait que dans les guerres irrégulières, les unités régulières ont tendance à s'irrégulariser (phénomène des forces spéciales). Il est logique que le processus adaptatif s'exerce dans l'autre sens, et que des bandes armées, soutenues par une idéologie fruste, se complexifient dans leur idéologie et leur structure. En un mot, se politisent.

2/ On lira ensuite le billet d'Alexandre Adler dans le Figaro du samedi 9 mai. (le Figaro ne met plus ses chroniques en ligne, et c'est bien dommage). Que nous dit Alexandre le Bienheureux ? Qu'il faut se méfier de la doxa interprétative des talibans, que nous avons tous suivie : celle qui consiste à dire qu'il s'agit de l'expression d'une frustration religieuse, version locale du choc des civilisations. A cette aune, les talibans seraient l'incarnation en Asie centrale des thèses d'Huntington. Or, selon Adler, il faut probablement lire les choses autrement : voir qu'en Pakistan, le sentiment de révolte tient principalement à des facteurs sociaux, populaires et anarchisants. Et qu'il faut comparer ces révoltes paysannes à celles qui existent ailleurs, en Asie du sud (on notera au passage que le cadre de référence n'est plus l'Asie centrale) : au Népal, où le mouvement néo-maoïste a pris le pas sur une monarchie vieillissante ; au Sri Lanka, avec le mouvement des Tigres Tamouls ; et en Inde, où les deux vieux partis de gouvernement (Congrès et BJP) peinent à trouver le ton juste face au mouvement des "dalits" d'Uttar Pradesh, dirigé par la populiste Mme Mawati.

D'où la conclusion d'Adler : il faut considérer tous ces mouvements comme la révolte de "barbares" contre les Etats du sous-continent issus de la matrice britannique, patricienne et démocratique : peu importe que le système en place soit hindou ou musulman ! Du coup, le problème étant commun, le diagnostic doit être commun et amener les élites au pouvoir à coopérer, par delà les vieilles rancunes frontalières (lignes Duran ou Cachemire) : Afghanistan, Pakistan, Inde, même combat....

L'intérêt de cette présentation revient bien sûr, selon moi, à présenter ici encore une lecture qui soit sociale et donc politique du problème : bref, à prendre ses distances avec la grille d'interprétation religieuse à laquelle nous sommes tous habitués.

Ce changement de point de vue est probablement la matrice des succès futurs...

O. Kempf

Références

On se reportera à mon billet de la semaine dernière

Mais aussi aux excellents billets de Clarisse sur le Pakistan : ici sur les derniers jours du Pakistan, et ici sur le Balouchistan.

Commentaires

1. Le samedi 9 mai 2009, 22:38 par

En colloque, j'ai entendu dire que dans la vallée de Swat au Pakistan, il existe un ancien sentiment "révolutionnaire" face aux inégalités des populations délaissées par un pouvoir central absent (les Taliban surfent sur cette absence de gouvernement pour mettre en place leurs "hiérarchies parallèles" et se faire apprécier des populations). Cette région vivrait comme un champ fermé (aidée en cela par une géographie qui la distingue des régions voisines en la compartimentant).

Donc la situation à Swat doit être examinée distinctement de celle des autres régions et comme bien souvent en RI, la religion est instrumentalisée et non forcément au centre des préoccupations (entre les durs et les mous).

Ce qui vient tout à fait corroborer vos dernières analyses.

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