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Clausewitz (III, 13) Réserve stratégique

Le titre du chapitre interroge immédiatement le lecteur. Souvenez-vous, p. 212, Clausewitz nous expliquait qu'il ne fallait pas confondre la notion de renfort de celle de troupes fraiches. Voici qu'il introduit la notion de "réserve" et qu'il lui accole l'adjectif "stratégique". Par conséquent, la réserve est-elle un attribut du niveau stratégique? Niveau qui portait à discussion, souvenez-vous également.

A poursuivre ses considérations initiales, le lecteur s'interroge immédiatement : cette notion de réserve ne renvoie-t-elle pas à la "liberté de manœuvre" de Ferdinand Foch ? Nous conserverons ces deux questions à l'esprit au cours de notre lecture.

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1/ "Une réserve a deux buts distincts : prolonger et ranimer le combat, ou se prémunir contre l'imprévu" (p. 216). On est immédiatement surpris, car ne vient à l'esprit que le deuxième sens. Mais CVC nous détrompe immédiatement : "le premier entre dans le cadre d'une utilisation consécutive des forces, et ne fait donc pas partie de la stratégie". Seul donc importe le 2ème but : se prémunir contre l'imprévu.

2/ L'imprévu? oui, car "il y a des réserves stratégiques, mais seulement pour les cas où on peut s'attendre à des événements imprévus". J'en tire une première conclusion partielle : la réserve n'est pas constituée "au cas où", par prudence, et d'une certaine façon par manque de réflexion, mais au contraire à l'issue de cette réflexion (du calcul stratégique) qui impose de la mettre en place, pour faire face à telle option de l'ennemi. On constate le dispositif de l'ennemi au niveau tactique, ce qui rend les choses plus aisées et l'imprévu plus facile à discerner. C'est pus difficile au niveau stratégique, à proportion de l'incertitude stratégique : "une condition essentielle du commandement stratégique est donc de garder des forces en réserve en proportion de l'incertitude stratégique".

3/ "Il faut particulièrement y veiller quand on a charge de défendre" : on retrouve là la primeur donnée par CVC à la défense. "Plus l'activité stratégique s'éloigne du niveau tactique, plus cette incertitude ira s'accentuant, jusqu'à disparaître presque totalement quand la stratégie rejoint la politique" (p. 217). CVC présuppose ici une continuité du tactique au stratégique qui pose problème, car j'avais cru comprendre que ce qui le distinguait de Jomini consistait justement à une séparation essentielle entre les deux niveaux. Il ajoute un peu plus loin : "Plus amples sont les préparatifs, moins ils surprennent" : or, souvenez-vous du chapitre 9 "la surprise est tout à fait chez elle au niveau tactique (...) Au niveau stratégique, elle l'est d'autant moins à mesure qu'on s'approche du domaine politique" (p. 202).

4/ Quel critère de victoire, donc d'engagement adopter ? de là viendra le niveau d'imprévu admissible. CVC précise : "Mais, à l'évidence, on mesurera l'importance de toute victoire, le succès remporté dans une grande bataille, en fonction de l'importance des forces vaincues; la marge permettant de renverser la tendance rétrécit en proportion directe".

5/ Mais le passage suivant est tout à fait convaincant : "Alors qu'au niveau tactique, l'emploi séquentiel des forces diffère toujours la décision jusqu'à la fin de l'action, au niveau stratégique, la loi de l'emploi simultané des forces tend presque toujours au contraire à avancer le moment de la décision (qui n'a pas besoin d'être le dénouement ultime" (p. 218). Et CVC d'ajouter aussitôt : "plus la mission d'une réserve stratégique est générale, plus elle sera superflue, inutile et dangereuse". On comprend que la réserve ne peut pas être mise de côté "au cas où", mais qu'elle doit être organisée et dédiée à une circonstance qui a, en quelque sorte, été envisagée "avant". D'où la question du moment....

6/ Clausewitz y vient immédiatement : "L'idée de réserve stratégique commence à être contradictoire en un moment facile à distinguer : c'est le moment de la décision. Il faut y affecter la totalité des forces, et l'idée d'en garder en réserve à des fins ultérieures (troupes prêtes au combat) est une absurdité". Ce qui est tout à fait logique : à partir du moment où il faut monter aux extrêmes pour obtenir la supériorité des forces, mettre des troupes de côté n'a de sens que si cette précaution est active, et, d'une certaine façon, aperçue par l'ennemi de façon à avoir de l'effet sur sa manœuvre...

7/ C'est en ce sens, je pense, qu'on peut revenir à nos deux questions initiales : la réserve stratégique est une sorte de liberté de manœuvre, pour peu qu'elle suive les règles énoncées par CVC. Autrement dit, elle ne s'assimile pas, me semble-t-il, au principe de la guerre donnée par Foch. On a même l'impression que la "liberté de manœuvre", au sens où elle est usuellement comprise en France, n'est valide que dans l'ordre tactique. Quant à l'autre question, la "réserve" est stratégique (l'ordre tactique ayant des "troupes fraîches", puisque "la tactique peut mettre les forces en action consécutivement" (p. 211).

Ainsi, cette réserve stratégique ne s'assimile pas à la liberté de manœuvre de Foch.

O. Kempf

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