Despotisme et élections : ah! ça Iran ça Iran ça Iran, les a.... à la lanterne.....

1/ Pour une dictature, se prêter au jeu des élections est toujours dangereux. Souvenez-vous d'Eltsine, élu président de Russie pour faire exploser l'URSS.Souvenez-vous de Milosevic cédant au Kossovo à cause de l'opposition politique interne, puis quittant le pouvoir l'année suivante à la suite des élections. Mais il s'agissait là de cas européens, et on cherche ailleurs un exemple similaire où les élections poussent un tyran dehors...

2/ C'était pourtant un des projets néo-conservateurs que d'introduire le virus démocratique dans le Moyen-Orient, afin de forcer sa réforme ; on sait ce qu'il en fut, notamment en Irak : il fallut chasser le tyran avant d'introduire un système de vote, encore imparfait ; il en est de même en Afghanistan.

L'ironie de l'histoire veut donc que ce soit un pays de l'axe du mal, une théocratie accusée de tous les maux, un Iran qu'on dit soutenir le terrorisme et de développer l'arme nucléaire, bref, un condensé de toutes les phobies occidentales (seule la Corée du Nord a plus mauvaise image dans nos opinions pleines de bonne conscience et politiquement conformes), que ce soit un tel pays qui illustre la force du virus démocratique.

En effet, l'Iran de la révolution khomeyniste est aussi celui qui introduisit, il y a 30 ans déjà, un système électoral unique dans la région, car participant effectivement à la dévolution du pouvoir. L'inventeur de l'islamisme était aussi celui qui allait permettre de le dépasser.

place_liberte_Iran.jpg Manifestation vers la place de la iberté (à/d http://fr.globalvoicesonline.org/2009/06/19/12712/)

3/ Car de quoi s'agit-il aujourd'hui ? d'un fait révolutionnaire démocratique. Je parle de fait révolutionnaire, car il est aujourd'hui impossible de prévoir l'évolution à court terme du rapport de forces entre un pouvoir recroquevillé mais disposant du monopole de la violence, et une population qui lentement et continûment s'oppose au vol de sa volonté. Mais cette imprédictibilité n'empêche pas de noter que le "grand méchant", "l'ennemi", est aussi celui qui utilise l'arme fondamentale du modèle qui lui est opposé, la démocratie, à la différence de tous les despotismes environnants qui sont, eux, officiellement alliés à l'Occident.

Il y a de nombreuses raisons à cela : d'abord, le fait que l'Iran est un pays beaucoup plus avancé que ses voisins, indépendant de puis plus longtemps, et ayant expérimenté la voie islamiste avant les autres. Tout ceci a été évoqué par E. Todd et Youssef Courbage dans "le rendez-vous des civilisations", qui explique que les crispations actuelles sont d'abord le signe de l'inéluctable modernisation de l'islam.

RDV civilisations Todd

4/ Au-delà pourtant, on a le sentiment d'un accroc dans le drap de l'histoire : comme si on assistait à un saut temporel qui nous fait brusquement entrer dans quelque chose de nouveau, une alter-modernité qui unirait Orient et Occident. Certes, le fait technologique a joué son rôle : on lira avec attention l'excellent billet de Charles dans Electrosphère, repris par ailleurs dans AGS. On pourrait d'ailleurs ajouter que cette technologie permet un soft power, ce que suggère Charles sans en prononcer le nom : la diffusion des idées réformatrices s'accompagnant alors d'un saut technique (parchemin, imprimerie, cybergée).

Mais ce qui paraît le plus fondamental tient à la légitimité. Le pouvoir a le monopole de la violence.Jusqu'à la semaine dernière, ce monopole était légitime, puisqu'il y avait un assentiment autour de la Révolution islamique. Ce qui se passe depuis la semaine dernière est un coup d'Etat qui s'exerce non contre le peuple, mais contre la légitimité. Et il est extrêmement important que le "guide de la révolution", celui dont la fonction consiste à garantir cette légitimité, ait pris "parti". Il était au-dessus, il vient d'entrer dans la mêlée. Ainsi, le raidissement de son discours, manifeste depuis son prêche de ce matin, sanctionne-t-il sa défaite à terme : car perdant la légitimité, il perdra le pouvoir. La question est maintenant de savoir quand : une semaine, un mois ou dix ans....

La légitimité a d'ailleurs changé de camp, puisqu'elle est "non-violente" : la maturité politique des manifestants est remarquable et sidérante ; on a l'impression d'un gandhisme de masse ! comme si la foule en colère savait qu'il ne faut pas favoriser le cycle répressif, qui déchaîne la violence et renforce la brutalité du pouvoir ; qu'il faut au contraire le désarmer spirituellement par l'absorption de sa violence, en refusant la rivalité mimétique dans laquelle veulent entrer les basijis.

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Légitimité, cyberpolitique, contre-mimétisme sont les mots de ce nouveau vocabulaire. Il faut y ajouter communication symbolique, puisqu'il s'agit, encore un fois, d'une révolution de couleur (orange, tulipes, roses, ... fabrications médiatiques destinées à abreuver les scénographies médiatiques) : Celles-ci sentaient toutefois le marketing occidental. Dans le cas présent, le plus remarquable coup de génie consiste à accaparer la couleur de l'adversaire, à la retourner, à lui faire symboliser la conversion : à regarder les images, j'ai d'ailleurs l'impression que les opposants usent du vert clair, quand le vert des islamistes paraît souvent plus sombre : suggestion? ou réalité ? symboliquement, cet éclaircissement serait génial (le vert éclairé, comme il y eut des despotes éclairés : nouvelles lumières).

5/ L'Iran était visionnaire en mettant au jour la "révolution khomeyniste" de 1979 : elle était incompréhensible, orientale, négligée donc. Mais elle annonçait l'entrée du XXI° siècle. Ce qui se passe cette semaine correspond à l'accouchement couronnant une longue gestation (Intifada, Oslo, Tchétchènes, twin towers, Hezbollah, Hamas et Talibans) et l'entrée fracassante dans un monde nouveau.

6/ La conclusion est limpide : tout système de vote corrode inéluctablement le pouvoir. La seule solution consiste à le bannir absolument (Tien an Men et Birmanie). Mais il n'est pas sûr que ce soit plus durable.....

O. Kempf

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