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Si l'Etat est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons (Sujet CID 2009)

Ainsi, le sujet du CID est paru (voir ici)

"Si l'Etat est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons." Cette analyse de Paul Valéry vous semble-t-elle aujourd'hui pertinente?

200px-Thomas_Hobbes__portrait_.jpgTh. Hobbes

J'essayerai de suivre un plan en trois parties, qui est évidemment peu naturel pour un tel sujet, mais les correcteurs de la revue verte sont tant bornés qu'ils jugent mauvais le plan en deux parties : tout le monde n'a pas eu la chance d'être bien formé.... même si je suis loin d'être convaincu qu'un plan en deux parties sera considéré comme horresco referens par le véritable correcteur. Mais le candidat pâtit là du monopole de la Revue d'études....

1/ Le sujet est d'apparence classique. En effet, on peut le traiter sous l'angle de la philosophie politique classique, avec l'échelonnement suivant :

I / La nature ne favorise pas la société, (L'homme est un loup pour l'homme, Hobbes), il faut donc un contrat social (Rousseau) pour parvenir à un Etat fort qui régule cette société, le Léviathan Hobbesien, ou l'action du Prince de Machiavel.

II/ Toutefois, l'excès de pouvoir de l'Etat est une menace pour la liberté de l'homme (Locke, Traité du gouvernement civil) car dans l'Etat de nature, les hommes sont libres et égaux. Le pouvoir politique ne doit pas entraver cette liberté (libéralisme politique). IL faut donc des pouvoirs qui s'équilibrent (exécutif et législatif) auxquels Montesquieu ajoutera le judiciaire.

III/ Le XX° siècle a inventé les Etats totalitaires (communisme, nazisme), poussant à leurs extrêmes des idéologies politiques. Ils ont été critiqués par Aron ou A. Arendt. Des auteurs plus récents ont cherché à les dépasser, par exemple J. Rawls (Théorie de la justice) ou Léo Strauss.

Bon. Bof, en fait, car ça ne colle pas trop au sujet.

2/ Une autre façon de l'appréhender passerait pas les sciences politiques, en s'appuyant par exemple sur l'histoire institutionnelle de la France :

I/ La révolution française cherche à mettre à bas un pouvoir absolu, mais se résout dans l'empire bonapartiste, pouvoir lui aussi absolu

II/ Toute l'histoire institutionnelle de Napoléon à la IV° république sera la recherche oscillante d'un point d'équilibre entre un Etat faible mais inefficace, et un Etat efficace mais menaçant les libertés, avec ce goût français pour les Constitutions

III La V° République semble avoir trouvé ce point d'équilibre d'un exécutif fort mais légitime (A), même si la multiplication des révisions constitutionnelles pose la question de la pérennité de cet équilibre (B).

Là aussi, traitement habituel, historique. Il est peut-être plus facile pour le candidat normal du CID, qui n'a pas besoin de beaucoup de connaissances pour arriver à une copie qui se tienne. Mais là encore, c'est un peu éloigné du sujet, même si un traitement habile permettrait d'éviter le piège.

3/ On peut aussi utiliser le prisme d'une sociologie politique, autour bien sûr de Weber.

I/ L'Etat a le monopole de la violence légitime sur un territoire et une population (A) ce qui se traduit par une doctrine de la souveraineté intérieure (police, justice) ou extérieure (défense, diplomatie) (B)

II On s'interroge ainsi sur les conditions d'exercice de ce monopole de la violence : soit qu'il ne soit pas monopolistique (violences concurrentes, sécessionnistes, privées ou révolutionnaires) (A), soit qu'il y ait excès de violence (totalitarisme, Etat policier, big brother) (B)

III Pour éviter ces excès, l'Etat doit donc rechercher la légitimité (A) qui passe par les conditions d'exercice de la démocratie et de ses moyens (B)

4/ Le candidat du CID, féru de géopolitique, pourra enfin utiliser le prisme des relations internationales, avec force exemples, pour traiter le sujet. Par exemple.

I/ Un Etat trop fort est une menace pour son environnement car il l'entraîne dans une dynamique de conquêtes, ce qui provoque sa chute (exemples : tous les systèmes impériaux, jusques et y compris l'URSS, et si on est critique, l'Amérique bushienne)

II/ Un Etat trop faible est une menace pour ses citoyens (Etats faillis, cf Somalie) mais aussi la proie de son environnement (Sudètes, etc.)

III/ Un Etat régulé doit trouver sa place dans une société internationale : là, le candidat choisit selon ses opinions l'exemple retenu, par exemple la construction européenne, la mondialisation libérale, la noosphère theillardienne, ou la communauté onusienne.

5/ Et si on essayait un plan en deux parties ?

I L'Etat doit naviguer entre les excès de son pouvoir

A/ Soit l'abus de pouvoir, qui entraine l'oppression B/ Soit l'absence de pouvoir, qui entraîne l'anarchie

II Il doit donc être encadré par un contre-pouvoir

A/ A l'intérieur, pas l'organisation démocratique B/ A l'extérieur, par la société internationale

On raffine ensuite l'esthétique en plaçant deux paragraphes par sous-parties, avec à chaque fois un exemple (auteur, situation historique ou géopolitique) et le tour est joué, avec équilibre. On ne peut pas se planter (un plan bateau a un immense avantage, il ne coule pas) et le classement dans les meilleures notes se joue dans l'introduction, la richesse pertinente des exemples, et surtout la conclusion (qu'on aura bien pris soin de rédiger au brouillon avant la rédaction du corps du devoir).

6/ J'ai croisé aujourd'hui un ou deux candidats : ils m'ont avoué ne plus lire mon blog depuis une semaine, de crainte de ne pas avoir choisi "le" plan. Ce qui est évidemment idiot, puisqu'il y a mille et une façon de traiter un sujet, mille et une façons d'obtenir une bonne note : on ne cherche pas un corrigé type, mais une façon de traiter, de développer des arguments de façon cohérente et équilibrée, avec ce qu'il faut de culture générale pour illustrer la copie.

Je souhaite pleine réussite aux candidats de cette année, et à ceux qui s'y colleront l'an prochain....

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par N J

Pour ma part il me semble avoir traité le sujet d'une façon semblable à la version quarto (R.I.) mais il reste à savoir si c'est assez bien ficelé pour que le correcteur mette mon devoir dans la bonne pile...Il est vrai que le dogme de la Méthode constitue un carcan qui paralyse un tantinet la plume.

EGEA : n'ayez pas peur, comme disait l'autre. A la décharge de la revue verte, il faut penser à Bach et à l'art de la fugue : une forme extêmement contraignante, qui laisse, quand elle est ultimement maîtrisée, le talent apparaître. C'est vrai du trois parties. Et, ma référence dût-elle en souffrir, du deux parties également. Ce qui compte, ce sont les dizaines de plan construits : la quantité fait la qualité, et la forme révèle le fond. Rassurez vous, la concurrence n'atteint pas (sauf le premier pour cent), les sommets des canons recommandés par l'armée. Tout est donc ouvert..... Meilleurs voeux de réussite.

2. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par arbras

Pour moi qui ne suis pas encore concerné par ce concours, je trouve la somme d'érudition qu'il suppose (philosophie politique, histoire,...) un peu dissuasive. Autant les thèmes que vous abordez dans ce blog sont intéressants notamment pour mettre en perspective le vécu d'un métier avec son environnement géopolitique, autant l'étude exhaustive des disciplines que vous mentionnez comme des "prismes" utiles à l'élaboration d'un plan me semble rébarbative. Les meilleurs d'entre nous ont ils réellement besoin de se soumettre à cet exercice pour être identifiés?

EGEA : oui, je crois que les meilleurs doivent avoir une lecture politique de leur environnement. "Nos seigneurs et maîtres" disent les Anglais. "Que les armes le cèdent à la toge", disaient les Romains. Il faut donc comprendre (com - prendre) le politique pour prétendre à une carrière militaire de haut niveau. Pour le reste, il y a des manuels très abordables de philosophie politique (un seul suffit, voir la collection les fondamentaux) ; quant à connapître l'histoire politico- constitutionnelle de la France depuis la Révolution, cela me semble un préalable. Bon courage.

3. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par Cne

J'ai traité ce sujet de manière un peu mixte (philo, RI, politique) en fait sans pour autant sacrifier le plan en 3 parties.

IM en gros: désormais la citation n'est plus que partiellement pertinente (Etat fort=écrasement: non, Etat faible=péril: oui) compte tenu de l'évolution des RI et de la technologie. Ainsi j'ai davantage axé sur le terme AUJOURD'HUI du sujet. Sinon le risque est grand de traiter uniquement de la pertinence ou non de cette citation sans référence au changement possible que suppose le 'aujourd'hui'

Plan type certes, cependant mais surtout :
1 - certes Etat faible implique toujours peuple en péril (le peuple est trompé: il a accepté de perdre une part de sa liberté dans le pacte ou contrat social mais ne reçoit rien en retour)
2 - cependant Etat fort n'implique pas toujours écrasement du peuple (le totalitarisme est une perversion de la notion d'Etat fort, et l'Etat fort permet de défendre le peuple dont il est l'expression)
3 - Mais surtout désormais la citation n'est plus pertinente car des contre pouvoirs existent (conventions internationales, NTIC médiatisant toute oppression populaire et risquant d'ôter la légitimité d'un gouvernement) et pour éviter l'écrasement des peuples, l'Etat doit être fort (sans donner corps au devoir d'ingérence, notion de responsabilité d'un Etat fort d'intervenir au profit des peuples écrasés par les Etats forts ou faibles: les peuples opprimés se détournent de leur gouvernement et sollicitent l'intervention des Etats forts. Ainsi, l'évolution de responsabilité des Etats les conduit à se renforcer pour mieux garantir le bien commun).

J'ai estimé que l'intérêt du sujet portait bien sur le terme aujourd'hui et non seulement sur la pertinence en général de la citation de Valéry.

EGEA : chic, un sixième plan.... QUi se tient, bravo. Privilégier le "aujorud'hui" est toujours un moyen de sortir d'une citation. QUant au traitement mixte, n'est-il pas suggéré par mon billet ? Mais ça tient la route.

4. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par N.J.

Je crois que mon raisonnement plus proche de celui de "Cne" que du quarto, notamment pour ma dernière partie quasi identique...
Quant aux inquiétudes d'Arbras, bah ! N'étant pas un grand érudit ni un champion à la culture générale (ou politico philosophique) surdimensionnée, je ne regrette pas d'avoir un peu élevé mon esprit quelques mois car il faut reconnaître qu'avec un métier comme le notre on a souvent un peu le nez dans le guidon.

EGEA: c'est une belle philosophie... Encouragements

5. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par fidèle

Un sujet faussement simple qui permet néanmoins, et le nombre de plans proposés sur ce site le montre, de faire ressortir les quelques réflexions d'une année (ou plus) de préparation.
La bataille des plans en deux ou trois parties me rappelle néanmoins la querelle habituelle sur le nombre de temps d'un ordre initial (sic). Au delà de la structure revue d'étude, personnelle ou d'une écurie de préparants, l'épreuve de culture générale repose sur une forme (une figure de style) qui permet facilement de sortir du lot en montrant son originalité, sa maîtrise de la démonstration qui s'enchaine sans faillir et son style personnel.
Bon courage à mes camarades qui préparent l'oral en aveugle (contrairement aux marins, "aériens" et gendarmes).

6. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par

Grâce au commentaire de « fidèle » je découvre aujourd’hui ce sujet qui m’avait échappé et qui est, hélas, trop significatif. Par politesse, mais par politesse seulement, on peut dire comme Olivier Kempf que ce sujet « sied bien à un concours militaire ». Au-delà de la politesse, il faut dire qu’un tel sujet est trop significatif quant à la place du Soldat dans la Nation.

Paul Valéry est bien sympathique mais, outre que son aptitude au commandement est plus que douteuse, le choix d’un tel sujet, et surtout la diffusion publique de ce sujet dévalorisant pour ceux qui doivent s’y soumettre, confirme que l’on veut tenir nos chefs militaires en état d’infériorité sociale.

Olivier Kempf disait la même chose avec beaucoup plus de diplomatie : « on est surpris qu'il n'y ait pas de lien avec l'actualité, sur la crise, ou sur l'écologie, ou sur Obama... »

Bien entendu, l’on sait que « la véritable école du commandement, c’est la culture générale ». Mais c’est affligeant de voir un tel sujet être utilisé pour sélectionner nos officiers supérieurs. Je ne sais pas qui choisit les sujets, j’imagine que c’est « au plus haut niveau ». Sélectionner les chefs militaires sur leur aptitude mondaine à répondre correctement à une mauvaise question, et surtout le faire savoir urbi et orbi, les maintient en état d’infériorité sociale. De cette façon, ils ne pourront pas se permettre de faire de l’ombre aux autorités politiques et n’oseront pas réagir sainement lorsque tel ou tel cacique du parti majoritaire se permettra, parce que ça l’arrange, d’insulter l’armée.
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La place du Soldat dans la Nation n’est pas brillante et il faut réagir : vingt ans de carrière civile m’ont bien montré que l’état d’ « ancien militaire », même sorti de Saint-Cyr, ne suscite que des préjugés défavorables qu'il est difficile de surmonter. Je connais des officiers supérieurs qui cachent leur situation professionnelle pour ne pas être déclassés dans la société civile. Il est temps de prendre conscience du problème et de le résoudre.

La principale faiblesse de nos généraux est de n’avoir jamais exercé d’activités civiles. Pour compenser ce sérieux défaut, il leur faut acquérir des connaissances concrètes concernant le fonctionnement réel la société. Quelques exemples : connaître les systèmes de financement des partis politiques ; les responsabilités concrètes des élus et des préfets en matière de plan d’occupation des sols et de lutte contre la propagation des incendies ; étudier de près l’aspect juridique de tous les cas récents où des militaires ont été mis à contribution sans qu’il soit question d’usage des armes ; savoir faire la différence entre « chef des armées » et « commandant en chef » ; examiner les règles d’ouverture du feu en opex ; commenter la blogosphère stratégique... Il y a matière.

A lire cette citation de Valéry, sujet lénifiant mais supposé sélectif, l’on comprend soudain pourquoi le ministre s’inquiétait des répercussions que pourrait avoir sur les petits stagiaires du CID, probablement simplets, un livre d’Aymeric Chauprade.

En fait, ce sujet a un lien avec notre actualité française : la place du Soldat dans la Nation.

7. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par N J

On peut certes regretter le manque d'actualité du sujet voire le trouver 'lénifiant', mais il ne s'agit pas de chercher parmi les copies un chef d'œuvre de réflexion et encore moins d'originalité. Pour ma part je l'ai pris comme un exercice de style (des maths appliquées au français comme l'ont écrit mes anciens) et de rigueur.On attend aux candidats de montrer a minima leur aptitude à rédiger des fiches en Etat-major et pas forcément de participer immédiatement au renouveau de la pensée stratégique. Peu importe la qualité finale de mon travail, le grand jury pourra toujours juger ma pertinence, ma culture générale ou mes qualités lors de l'oral à venir.

EGEA/ précisons : la qualité finale du travail importe. En revanche, on se fiche un peu des thèses développées et de votre thèse... Beaucoup de candidats ont du mal à le croire, mais c'est exact : il n'y a pas  de "solution", à la différence des maths. Tout est défendable (enfin, presque : on ne défend pas l'esclavage, même si on au texte de Platon qui le fait), pourvu que cela soit défendu pertinemment. 

Il reste que comme Yves Cadiou, je trouve le sujet un peu "quelconque", plat en un mot.

8. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par ciara nicki

Moi, j'ai eu à traiter ce sujet sur trois parties. Sur la première,je montrai que la violence de l'Etat était liberticide pour la nation. Ensuite, je montrai dans la deuxième partie que même si l'Etat n'était plus violent, ce serait nous qui nous détruirions car nous sommes de nature violents. Enfin dans la troisième partie, je montrai que ces différentes violences( de l'Etat et de l'homme lui même), n'étaient pas toujours mauvaises pour la nation car les violences étatiques servent souvent à rétablir l'ordre et les violences révolutionnaires servent souvent à instaurer de nouvelles sociétés plus justes.

9. Le lundi 29 juin 2009, 17:42 par oodbae

Bonjour,
Moi, je n'ai pas eu à traiter ce sujet mais cela est normal car je n'ai pas présenté ma candidature.
Cependant, je répondrais, si on me posait la question quant à mon jugement de cette ANALYSE de Paul Valery "Si l'Etat est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons", que cette analyse me paraît un peu courte jeune homme, mais qu'à question courte, réponse courte, soit non, je ne la trouve pas pertinente, et j'estime que cela devrait vous suffire comme analyse, parce que ma poésie, c'est pas celle des métaphores, c'est celle des canons qui crépitent, des sirènes qui hurlent, des blessés qui gémissent. Vous me reposerez la question sur le champ de bataille, Sir.

désolé,

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