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Renouveau des religions ? pas vraiment

On évoque souvent, ces dernières années, un renouveau des religions... surtout à la suite des attentats du 11 septembre interprétées à la lumière d'Huntington. Le plus souvent, on entend surtout un "renouveau" de l'islam. Tout ceci me semble peu explicatif.

1/ Je vois au contraire non pas un renouveau, mais une crispation des religions. C'est particulièrement vrai de l'islam, mais pas seulement. On voit ces crispations partout : dans l'islam, bien sûr, avec l'islamisme. Mais aussi chez les juifs (Israël se prétend désormais un "Etat juif", et la place des "ultra-orthodoxes" y est évidente et patente). Et chez la plupart des chrétiens : orthodoxes, avec la multiplication des églises autocéphales ; protestantes, avec le développement des fondamentalistes américains, créationnistes et autres évangélistes simplistes ; et catholiques, avec les intégristes. Je connais moins les autres religions, mais il me semble qu'on assiste également en Inde à des crispations religieuses (Sikhs et Hindous).

2/ La plupart du temps, ces crispations sont explicables par un rapport délétère à la modernité.

3/ C'est que derrière ce rapport à la modernité se discerne un rapport délicat à la politique. De ce point de vue, on assiste d'une certaine façon à la fin de l'histoire évoquée par Fukuyama, en ce sens qu'on aboutirait à une société tendanciellement post-historique (lire à ce propos l'article de Claude Leborgne dans le dernier DNSC, qui écrit avec précision ce dont j'avais maladroitement rendu compte au colloque, et qui avait quand même suscité débat, voir ici et ici). Cette modernité, constituée de la démocratie et de l'économie de marché, ne trouverait pas de rivale à sa mesure qui puisse prétendre à améliorer le sort des hommes. Elle aurait donc une tendance universalisante, qui gomme les différences. Nombre d'humains souhaiteraient alors fonder leur résistance identitaire sur la religion.

4/ Si cette hypothèse est bonne, la religion ne serait donc pas ce qu'on croit qu'elle est, une spiritualité personnelle, mais un outil au service d'un dessein politique, en opposition plus ou moins consciente à la modernité. C'est bien pour cela que je parle de crispation.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 23 août 2009, 23:00 par

Vaste et vieux débat sociologique : l’importante, fictive ou réelle, de la religion dans les relations humaines. Heureusement, en France et dans la plupart des pays d’Europe l’Histoire nous a calmés à ce sujet et l’on peut presque partout en débattre sans se jeter des goupillons à la tête. Après que l’Ulster s’est assagi, il ne reste en Europe (restait ?) que l’ex-Yougoslavie où les clivages religieux semblent avoir de l’importance.

Ailleurs, oui, il y a des renouveaux apparents qui ne sont que des crispations. Cette idée de crispations face à une « modernité » est féconde. Parce qu’elle nous renvoie à ces fausses évidences que nous ferions bien de remettre en cause si nous voulons comprendre 80% de l’humanité. « Modernité » et son voisin « Occident », sont de ces mots qui recouvrent des concepts très vagues mais si forts dans notre inconscient collectif que leurs nombreux contraires nous font aussitôt charger comme dans la Cavalerie : avec vigueur mais sans savoir où l’on va. Par exemple en ce moment, très à la mode en Afghanistan quand on est « occidental », la lutte contre l’obscurantisme. L’obscurantisme est évidemment le contraire de la modernité mais ce sont deux contraires qui ont un fondement commun, c’est que ni l'un ni l'autre n'a une signification claire (la Démocratie et l'économie de marché qui constitueraient la modernité, je ne suis pas sûr que ces importations soient très convaincantes pour les étudiants en religion partout dans le monde).

Pour tous les autres, pour tous les braves gens qui nous semblent tristement exotiques parce qu'ils ne sont pas dans la « modernité », c’est vrai que lorsqu'ils rencontrent notre arrogance d’occidentaux modernistes, ils se crispent tout naturellement.

Alors les pauvres gens agressés par nos soins se regroupent autour de ce qu’ils ont en commun et que nous n’avons pas, nous qui pourtant avons tout. Ils se regroupent autour de ce qui fait leur différence : une religion différente.
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Mais, au-delà d'un "esprit de clocher" qui semble universel, il est difficile de dégager une explication valable pour toutes les régions du monde.
Pour l'Inde, je ne sais pas.
En Chine, il semblerait, d'après certains analystes dont la compétence me dépasse, que l'exacerbation de l'Islam aux marches de l'Empire soit une volonté du gouvernement de Pékin pour regrouper les "vrais" Chinois autour de lui.
Les exemples des églises dissidentes aux Etats-Unis n'entrent pas dans le schéma de crispation : elles sont protégées par la Loi, intégrées et non en opposition. Elles sont soucieuses à la fois de prospérer et de ne pas être rangées au nombre des ennemis de l'Amérique.
Au contraire les églises dissidentes en Afrique Noire, dont on parle moins car elles sont dangereuses pour l'intrus qui y regarde de trop près, entrent à double titre dans ce schéma de différenciation : elles cherchent plus ou moins consciemment à se différencier des religions importées que sont le Christianisme et l'Islam.

Sujet intéressant parce que, en nous interrogeant sur des sociologies et des mentalités très différentes des nôtres, nous sommes conduits à porter un regard critique sur nos propres évidences et certitudes. L’on oublie trop souvent de se demander « comment peut-on être Persan ? »

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