A propos de la directive Mc Chrystal, et des CDG

Le général Gambotti m'adresse ce commentaire sur la dernière directive du général Mc Chrystal, commandant les troupes américaines en Afghanistan, et disposant la stratégie COIN qui sera mise en place là-bas. Cela parle de Centre de gravité, et de Clausewitz, bien sûr. J'ajoute à l'issue un petit commentaire....

Verbatim :

Sur le chemin de Canossa.

Puisque « tout ce qui est excessif est insignifiant », je ne dirai pas que l’ISAF Commander’s Conterinsurgency Guidance du général McChrystal acte la défaite de la pensée stratégique américaine ! Mais je pense que nous devons saisir cette effarante opportunité pour nous interroger sur les déficiences de la noosphère civilo-militaire américaine responsable de facto de la stratégie occidentale, des ses objectifs, de ses voies et de ses moyens. Comment cette superstructure intellectuelle la plus experte du monde, avec ses hommes éminents, ses remarquables universités, ses centres de recherche dédiés, ses think-tanks de toutes obédiences, ses organismes militaires spécialisés et ses brillants officiers -PhD pour certains ! - a-t-elle dû se résoudre à prendre le chemin de Canossa, avec comme viatique cette Directive qui aurait pu être signée de Lyautey, Beaufre ou Galula ? Pour fouailler un peu plus la plaie, ajoutons que quiconque réfléchit sur les guerres irrégulières conclut aisément et nécessairement que le centre de gravité de théâtre tourne autour de la population, alors que le général McChrystal , huit ans après le début de l’engagement en Afghanistan se voit contraint de construire et d’ordonner son Plan de campagne autour de cette banale évidence.

Tout ça pour ça ! Cette agrégation vertigineuse d’intelligences neuronales et tous ces Téraoctets d’intelligence artificielle pour conclure, comme Clausewitz en 1813, pourtant isolé dans ce combat, à la centralité du Landsturm dans la défense du pays envahi et ce faisant à l’importance cardinale de la population.

Pour ma part, en dérisoire observateur de ce méga- système que j’estime déficient, je ne peux qu’apporter une réponse de mécanicien de centre d’opérations, une appréciation d’artisan en quelque sorte. A mon sens, le diable est dans la conception de l’action, et dans ce qu’elle a de plus essentiel, la détermination du centre de gravité. Les opérations de guerre imposent, pour leur maîtrise, l’observance des règles fondamentales de la guerre, et de la première de ces lois, d’origine clausewitzienne, la guerre comme confrontation de deux centres de gravité. La détermination du centre de gravité adverse est donc d’une nécessité dirimante et sa méconnaissance devrait interdire l’engagement de la force pour résoudre les conflits. Tous les concepteurs et planificateurs américains sont culturellement persuadés de cette nécessité, mais mon hypothèse réside dans le fait que cette détermination au cours du processus de planification n’est pas faite avec toute la finesse nécessaire et qu’ainsi le centre de gravité n’est pas toujours pertinent. Trop souvent le choix de ce centre de gravité procède d’un calcul stratégique trop sommaire et consiste à désigner l’outil le plus évident de la puissance adverse – les exemples sont nombreux- alors qu’il est d’une essence plus subtile. C’est l’élément qui fédère l’ensemble des forces jusqu’à la synergie, et qui fait que la puissance de l’adversaire est la résultante optimisée de ces forces. Si j’osais un conseil de « petite main » pour la détermination du centre de gravité, je dirais qu’il faut chercher le foyer du champ de forces considérées. Pour risquer l’exemple de l’Afghanistan je pense que le centre de gravité de théâtre n’est pas la population, mais l’adhésion active de la population. La stratégie de la Force en Afghanistan consisterait donc à gagner cette adhésion et à l’interdire à l’adversaire. L’ISAF CC Guidance est sur cette ligne, la population est à la fois environnement, objectif, et lieu du centre de gravité. Ainsi cette guerre n’est-elle pas simplement une guerre au sein des populations- cette formule qui a fait florès est insuffisante- et pour approcher la vérité il faut faire encore appel à Clausewitz et à « la guerre comme un caméléon » ; dans ce type de guerre, dans ce jeu de «la petite tactique » selon la formule de Jomini, le caméléon est cul par-dessus tête et dans toute tentative pour raisonner ces guerres de limite de spectre il faut absolument considérer cette réalité irréductible : « dans ces guerres irrégulières, l’avant est d’abord l’arrière ».

J’ajouterai pour terminer que j’ai utilisé le mot « population », mais je pense qu’il faut réfléchir à lui substituer le mot « peuple ». Ainsi mon discours serait-il réintégré dans la trinité clausewitzienne de la guerre et l’adhésion du « peuple » afghan à la coalition, voire sa participation assumée à la lutte pour son propre destin, serait la certitude d’une victoire totale, parce que militaire et politique.

Fin de citation du Général Gambotti.

J'aouterai les remarques suivantes : selon ce qu'observent les officiers qui ont l'expérience de ces choses là (CID et MIEDEX d'Oberamergau), les planifications réduisent immanquablement le CDG à "la capacité du pouvoir à poursuivre la guerre avec l'adhésion de la population" (ou formulations similaires, que le général synthétise très bien) : en clair, et cela m'apparaît bien plus clairement aujourd'hui : le CDG est toujours politique !

C'est d'ailleurs une des raisons qui me pousse à ces études "géopolitiques", fondement, me semble-t-il, de la guerre et tout particulièrement de la guerre moderne.

O. Kempf

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