Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Clausewitz (IV, 3) L'engagement en général. (pp. 235-236)

1/ Nous voici donc passés au quatrième Livre de "La guerre". Il traite de l'Engagement. Précisons d'emblée : je sais que le général Gambotti passe son temps à m'expliquer les subtilités de la pensée clausewitzienne, moi qui la découvre au fil des pages. Qu'il me pardonne de continuer d'affirmer que ce livre sur l'Engagement fait, comme par hasard, suite à celui sur la Stratégie. Je persiste à penser qu'il n'y a pas de coïncidence, même si je veux bien accorder au général qu'il peut y avoir plusieurs niveaux de lecture.

Pour faire simple : a/ selon moi, en premier décryptage, engagement vaut, en langage clausewitzien, tactique en langage kempfien (??? !). b/ cette distinction ne saurait bien sûr recouvrir ni l'étendue de ce qu'entend CVC de la stratégie, ni ce qu'il entend de l'engagement/tactique (on verra dans ce chapitre qu'il y a quand même une similitude troublante entre les deux termes) c/ oui, seul le livre I est réellement achevé, les livres suivants étant des ébauches et, qui sait, des recherches inabouties dont l'interprétation est en soi sujette à caution si on ne les relie pas au Livre 1 :mais à ce compte là, autant s'arrêter à la 107 ème page..... Bref, je continue a/ à lire b/ à interpréter, au risque d'être dans l'erreur, mais c/ comme tout le monde.

clausewitz_portrait.jpg

2/ Et puisque nous en sommes à ces considérations méthodologiques, on remarquera également que ce premier chapitre porte en fait le numéro 3 :comme s'il y avait deux chapitres auparavant. J'ignore si ces deux chapitres n'ont pas été sélectionnés par le traducteur (j'en doute) où s'ils ont été coupés par l'éditeur original (Mme veuve CVC). Je le note en passant, sans plus de commentaire que cela : un lecteur averti voudra bien nous donner la solution.

3/ Lisons, donc. Car ce chapitre mérite une lecture attentive, on l'aura compris à la longueur de cette présentation.

"L'engagement est un combat, dont le but est l'anéantissement de l'adversaire" (p. 235). "Quant à nos guerres, elles sont faites d'une infinité d'engagements; grands et petits, simultanés ou successifs". "La fin ultime de nos guerres, leur but politique, n'est pas toujours d'une simplicité parfaite (...) la fin ne peut plus être atteinte au moyen d'un unique et énorme acte de guerre, mais à travers une accumulation d'actes diversifiés, qui se rattachent à l'acte général. Chaque élément fait partie d'un tout". Si on suit mon interprétation, la guerre se compose d'une multitude d'éléments, qu'on appellera tactiques : il y a continuité. Mais ce qui est intéressant, c'est que la logique clausewitzienne est descendante : il part de la guerre pour la décomposer en unités tactiques, quand d'autres penseurs procèdent inversement, par agrégation de combats tactiques pour parvenir à une unité stratégique. Filons la comparaison (hasardeuse comme il se doit) : CVC serait plutôt platonicien (l'idée) quand d'autres (Jomini ?) seraient aristotéliciens...

4/ " Tout engagement, petit ou grand, a son objectif propre, subordonné à l'ensemble. SI tel est le cas, l'anéantissement et la défaite de l'adversaire ne sont que les moyens d'atteindre l'objectif. C'est bien sûr vrai. Mais cette conclusion n'est vraie que formellement : elle ne vaut qu'en raison de la solidarité interne de la chaîne des idées; nous ne l'avons soulevée que pour nous en débarrasser" (p. 236) Notons ici la prédominance, entrevue, donnée à la destruction de l'adversaire : on a déjà vu que cet usage ordonné de la violence est pour CVC constitutif de la guerre : il est remarquable de voir que chacun des éléments ou, pour aller encore plus loin, chacun des "atomes de guerre", est lui aussi inspiré par cette volonté de destruction. Cela nécessite bien sûr discussion, que l'on poursuivra dans le prochain billet, qui traitera de la fin de ce chapitre si important.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 14 septembre 2009, 21:49 par Dark Vador

Bonjour,
Je ne sais pas ce que le general Gambotti va dire, mais il me semble que reduire l'engagement chez Clausewitz a la dimension tactique est reducteur.
L'engagement, pour moi,dans Clausewitz fait reference a la confrontation, la rencontre de deux adversaires. Chaque engagement a ses caracteristiques tactiques propre et rentre, par agregation, dans un confrontation plus grande qui elle meme a ses caracteristiques tactiques propre. Un ensemble au sein du quel le resultat de chaque "micro affrontement" va a la fois influer sur la problematique tactique du "macro affrontement" mais aussi sur la question strategique. Le macro affrontement etant, par exemple une bataille incluant plusieurs armes (infanterie, cavalerie, artillerie...) mais aussi plusieurs regiments, plusieures compagnies, pelotons... Jusqu'au trinome.
Et c'est la que reside tout l'interet de Clausewitz : sa capacite a dissequer la guerre avec un modele qui est valable tant au niveau de l'etat majors que du trinome, ou chacun des segments, des element interagit avec l'autre et sur les memes parametres.
EGEA : fort bien, mais alors, Clausewitz ne parle pas de tactique..... ou si peu : n'est-ce pas problématique ?

2. Le lundi 14 septembre 2009, 21:49 par Jean-Pierre Gambotti

Malheureusement c’est la première de vos hypothèses qui est la bonne, l’édition de « De la guerre » que vous commentez depuis quelques mois est l’édition abrégée et présentée par Gérard Chaliand, traduction de Laurent Murawiec. Ce n’est pas très important si l’on considère qu’il faut lire, relire et méditer Clausewitz et qu’il faudra nécessairement remettre périodiquement son « De la guerre » édition non expurgée sur sa table de chevet, votre entreprise conserve tout son intérêt culturel tant Clausewitz est méconnu, « souvent cité et si peu lu », selon la formule qui a fait florès.
Mais vous avez raison ce Livre IV est important et les chapitres sur l’Engagement qui traitent de la bataille et de sa place dans la guerre sont fondamentaux. Même si l’insistance de Clausewitz sur la nécessité de l’anéantissement de l’adversaire comme objectif incontournable de la bataille peut être aujourd’hui discutée, il y a des fulgurances dans ces chapitres qui laissent pantois. Je n’en citerai qu’une pour ne pas déflorer vos prochains billets : « Le concept même de la guerre, tout d’abord, mais également l’expérience, nous enseignent qu’il ne faut chercher la décision que dans la bataille. »
Pour ce qui concerne la partie du Chapitre 3 que vous analysez ce que je retiendrai pour ma part c’est l’approche que fait Clausewitz de ce que nous appelons aujourd’hui « l’unicité de la manœuvre ». C'est-à-dire cette organisation de l’action qui permet à tous les échelons de conduire les opérations à leur niveau dans le respect absolu de l’idée de manœuvre du commandant en chef. Cette construction gigogne des objectifs et des engagements que préconise Clausewitz se traduit dans notre méthodologie terrienne des opérations actuelle par la prise en considération de l’effet-majeur de l’échelon supérieur comme objectif à atteindre par l’échelon subordonné. ( En vue de …, je veux, décliné )
Pour terminer, permettez-moi de revenir sur votre petite perfidie concernant mes commentaires ! Soyez certain qu’hormis le plaisir de confronter nos idées c’est aussi pour moi une sorte d’autodidactisme : argumenter est un bon moyen de mieux comprendre ce texte reconnu depuis sa parution comme complexe et ardu.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

EGEA : méthodologie terrienne, et dorénavant interarmée, puisque le niveau tactique (commandement de composante) dot intégrer les "je veux" de l'échelon opératif, lui même articulé en fonction de l'échelon stratégique. Quant au commandement de composante, à l'intérieur de son "milieu" (TAM), la cascade descend (de la grande unité jusqu'à la brigade) selon le même principe.

Se pose dès lors, dans les opérations contemporaines, la question de cet emboîtement, que je me suis très souvent posée : pour des raisons d'harmonie conceptuelle (le "en vue de" d'un échelon donné étant le "je veux" de l'échelon supérieur), n'est-on pas amené à "compliquer" les choses ? En clair, ce principe d'unicité conceptuelle ne provoque-t-il pas des précisions (au mieux) ou chicaneries (le plus souvent) qui ralentissent la prise de décision (toujours) et donc l'esprit d'intiative du chef au contact ?

3. Le lundi 14 septembre 2009, 21:49 par Jean-Pierre Gambotti

A mon sens depuis que la violence comme moyen d’imposer sa volonté à l’adversaire par l’utilisation de groupes armés s’est affirmée, le chef s’est posé, entre autres, ces deux questions :
- Mes ordres seront-ils été bien compris et répercutés jusqu’à l’échelon le plus subordonné?
- Resteront-ils pertinents quand le chaos de la bataille succèdera à la première confrontation ?
Le concept d’idée de manœuvre répond pour moi à cette double interrogation, à condition que la méthodologie soit respectée avec toute la rigueur qu’impose la gestion de la guerre.
En effet, la première interrogation est celle de l’unicité de la manœuvre, tous les efforts de tous n’ont de sens que s’ils concourent à l’atteinte de l’objectif d’ensemble. Clausewitz utilisera dans le Chapitre XI l’image du « point focal d’un miroir concave…toutes les forces de la guerre se réunissent pour exercer la force la plus concentrée.. »- et cet effet ne peut être obtenu que si les pions élémentaires portent dans leur idée de manœuvre une partie de l’idée de manœuvre du commandant en chef. Cette mécanique gigogne est effectivement celle que vous rappelez, cette distribution de l’effet majeur du chef jusqu’au niveau du combattant, faisant de l’effet majeur de celui-ci la déclinaison la plus élémentaire, mais aussi la plus indispensable pour la réalisation et le succès de la manœuvre du chef. La partie est dans le tout, mais le tout est dans la partie.
La deuxième interrogation est celle de la pertinence de la planification quand l’action est engagée. Quid de la manœuvre si bien conçue quand tombent les premiers boulets ? A mon sens dans les désordres de l’engagement tout peut être caduc fors « l’effet majeur ». Dans la bataille la subsidiarité doit prendre toute sa consistance et l’idée de manœuvre rester le fil rouge de l’action de tous les niveaux. Ce faisant, imprégné de l’idée du chef par le processus distribué de l’idée de manœuvre, tout niveau de combat devrait pouvoir produire l’action ad hoc au moment pertinent.
Je suis donc un inconditionnel de cette méthode et précisément de l’effet majeur. D’ailleurs si notre Ecole de guerre avait quelque gratitude elle baptiserait un de ses amphis du nom de ce génial concepteur, encore faudrait-il le connaître ! Mais pour terminer sur ce sujet je pense que nous devons préserver absolument ce concept et même le défendre contre certains thuriféraires un peu trop rigides du centre de gravité. D’ailleurs je pense que ces deux notions,effet majeur et centre degravité, à condition de les débarrasser de quelques calcifications et de quelques scories dues à un usage immodéré et sans esprit critique, pourraient être unifiées comme je l’ai suggéré dans un billet publié dans Théâtre des opérations et Doctrine, me semble-t-il.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/316

Fil des commentaires de ce billet