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Les guerres du climat

Je l'avais évoqué, je l'ai lu : il me semble opportun d'en parler, à la veille de la conférence de Copenhague. Il s'agit du livre de Harald Welzer, "les guerres du climat" (titre original : Klimakriege), sous-titre "pourquoi on tue au XXI° siècle", NRF essais, Gallimard, 362 p. octobre 2009 (fiche amazon ici).

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1/ Une précision en premier lieu : l'auteur est un anthropologue. Son ouvrage n'est donc ni celui d'un stratégiste, ni même celui d'un géopolitologue, tendance géographique, climatologique ou RI. Il est de plus allemand. Autant dire que le bain culturel du livre est très éloigné de ce à quoi les lecteurs habituels de ce blog sont accoutumés. Cela est gênant pour de multiples raisons, et en même temps ce la apporte des aperçus nouveaux qui ne sont pas inutiles. Ces précisions expliquent, pour une bonne part, le sentiment mitigé que j'ai eu de la lecture de ce livre.

2/ Toutefois, cela ne suffit pas. Il y a en effet plusieurs imprécisions et incohérences qui ne me satisfont pas. Et en même temps, des éclairs et des illuminations passionnantes. Le livre est exigeant, autant le dire tout de suite : c'est un ouvrage d'intellectuel, et il n'est pas grand public. C'est un ouvrage d'idées et de concepts. Or, le principal champ conceptuel de l'auteur est celui de l'anthropologie. Et c'est une anthropologie qui s'intéresse à la violence, chose qui n'est pas, je crois, habituelle dans cette discipline, plus tentée par le décryptage des habitus sociaux qui réunissent que par ceux qui séparent. De ce point de vue, le livre est un utile contrepoint aux ouvrages de René Girard, qui se présente d'abord comme anthropologue de la violence. Il y a incontestablement une différence profonde entre les deux approches.

3/ Allons tout de suite à l'essentiel : va-t-on à des guerres du climat ? c'est ce que prétend le titre, et on attend une réponse. Elle est pour lui positive. Or, elle est bien plus ambiguë. Car le raisonnement de l'auteur est plus compliqué que le simplisme du livre ne le laisse entendre: le changement climatique provoque une tension sur les ressources, il augmente donc la violence sociale au niveau local, mais provoquera aussi des migrations qui seront soit la cause d'affrontements, soit la cause de répressions. On a donc un livre pessimiste, imprécatoire, légèrement paranoïaque, dégoulinant de pathos, parfois confus.

4/ Surtout, on est extrêmement rétif à certaines articulations logiques.

  • Un seul exemple de guerre du climat est donné, celui du Darfour : outre qu'il est contestable de l'attribuer au seul dérèglement climatique, faire une loi d'un seul exemple est pour le moins spécieux.
  • Il y a surtout la permanente confusion entre la guerre et la violence, qui ne saurait satisfaire le stratégiste.
  • Il y a le biais malthusien permanent, présenté comme une évidence (cf. mon billet) alors qu'on pourrait être, pour le moins, plus nuancé.
  • Il y a enfin la conséquence guerrière" de ces dérèglements, qui ne convainc pas.

En fait, on est devant une pensée totalisante, qui encourt les défaut du genre, dénoncés en son temps par Popper : toute pensée qui n'admet pas une contradiction logique interne est, par construction, erronée. Tout exemple est présenté comme une preuve irréfutable, sans qu'il soit permis de discuter ni les données de fait, ni surtout les conséquences qu'on en tire. Surtout, l'auteur mélange des domaines où il est visiblement compétent (l'anthropologie), d'autres qu'il a un peu parcours (l'écologie) dans une juxtaposition parfois décousue.

5/ Plus gênant : on décèle une articulation logique qui, à la réflexion, n'est pas si étonnante : celle entre le malthusianisme (déjà mentionné) et la Geopolitik allemande à l'ancienne, celle du darwinisme étatique, celle du Lebensraum : il est curieux de voir un auteur pourfendre le nazisme et verser pour cela dans certains de ses soubassements intellectuels.... Et pour le coup, il est malthusien de considérer que chaque être vivant a droit à une certaine quotité territoriale, justifiant les déplacements de population, du "dominé" vers le "dominant", cette fois.

6/ A s'arrêter ici, on considérerait que le livre ne vaut pas la peine d'être lu. Et pourtant, il mérite l'effort. Tout d'abord parce qu'il est influent, si j'en crois le nombre de fiches de lecture qui existent sur le sujet (voir une brève recension ci-dessous) : il y a fort à parier qu'on ne pourra s'abstenir de parler de la stratégie de l'environnement sans, malheureusement, s'y référer comme une évidence. D'autant que le discours post-marxiste rencontrera les faveurs d'un mouvement écologiste qui n'a pas l'habitude de penser la stratégie.

7/ Au-delà de ces considérations, l'ouvrage a des vertus. Tout d'abord en démontant les mécanismes de conformisme qui amènent les membres d'une communauté à admettre des procédés de violence collective ; ensuite en présentant la notion de shifting baselines (ou modification des références chronologiques); enfin en insistant sur une vérité pas toujours évidente, celle du rôle du politique dans la résolution des conflits.

Au total, un livre exigeant, souvent agaçant, mais qui est simultanément enrichissant. L'amateur éclairé peut oublier de le lire. Celui qui réfléchit à la géopolitique de l'environnement ferait mieux de le lire, mais avec un oeil critique.

O. Kempf

Quelques fiches de lecture : ici, ici, ici, ici, ici.

Commentaires

1. Le mardi 1 décembre 2009, 20:36 par

Je pense que ce sujet pourrait constituer un prochain thème du mois intéressant pour l'AGS, éventuellement à regrouper sous un chapeau "défense et ressources naturelles"...

EGEA : en janvier ?

2. Le mardi 1 décembre 2009, 20:36 par

Ce livre s’inscrit dans le dogme de notre époque. Chaque époque produit un dogme dont il n’est pas bon de contester l’universelle évidence : nous avons maintenant le climatisme.
Ce que j’appelle dogme correspond, me semble-t-il, à ce que vous nommez « pensée totalisante ».

L’auteur semble surtout avoir voulu enfourcher une chimère porteuse. Le livre doit être replacé dans le contexte qui l’inspire :

  • 1/ l’existence d’un postulat pseudo-scientifique que l’on serait mal venu de contester : les activités humaines sont la cause du réchauffement climatique, puisqu’on vous le dit ;
  • 2/ l’existence d’un coupable désigné : nous-mêmes, comme toujours ;
  • 3/ le châtiment inéluctable que nous aurons mérité en ne commençant pas immédiatement à nous repentir.

Ce livre n’apporte pas grand-chose de nouveau, au fond, si ce n’est montrer que le raisonnement itératif que l’on a toujours entendu s’appuie maintenant sur un postulat nouveau. Le climatisme est le conformisme du XXI° siècle. Du moins pendant ces prochaines années, le temps de vendre quelques bouquins recyclables.
Il faut y prêter attention car ces bouquins donnent, pendant un moment, du grain à moudre sans trop d'effort à tous les polémologues de deuxième ou troisième année et ils deviennent de ce fait, jusqu’à ce qu’on les oublie, des parcelles de l’inconscient collectif.
Que j’en ai lu, depuis cinquante ans, de ces savantes annonces de conflits inéluctables que la réalité a démenties mais qu'en leur temps il fallait admettre sous peine de mauvaises notes à l'écrit ou à l'oral ! Le principal danger de ces ouvrages, c'est qu'ils font diversion.

EGéA : je suis d'accord avec vous. Je le dis d'autant plus qu'ayant signalé le livre à beaucoup de lecteurs, je ne voulais pas pour autant qu'on le tienne pour une référence indiscutable (avis aux préparants de tout poil). Pour autant, il est nécessaire de réfléchir au sujet de la défense et de l'environnement. Je vous promets quelques initiatives plus cadrées dans les mois à venir. Mais patience....

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