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De Byzance à Istanbul (Istamboul)

"C'est Byzance !" dit on parfois pour signifier la munificence d'un lieu, d'un repas, d'une décoration. L'expression date-t-elle de la croisade de 1204 qui vit le sac de Constantinople ? Je ne sais. Mais elle vient à l'esprit en visitant ce matin l'exposition "de Byzance à Istamboul", au grand palais : le genre d'exposition qu'un candidat verra avec plaisir, pour avoir à répondre quelque chose d'intelligent à la question "quelle est la dernière exposition que vous avez visitée ?".

photo_byzance_istamboul.jpgC'est une très belle exposition, mélangeant harmonieusement des objets venant d'Istamboul à ceux dénichés dans les collections françaises. Plein de choses superbes, au long d'un parcours dont le plus important, on s'en doute, va entre le II° et le XVII° siècle . Là est d'ailleurs le seul défaut de l'exposition : il n'y a aucune carte ni aucun plan, ni de la ville, ni des territoires contrôlés, ni des peuples rivaux.... Parti-pris de conservateur, ou oubli malencontreux ? je ne sais, et le catalogue est également chiche en carte, même si on en trouve de-ci de-là une ou deux, et une magnifique reproduction d'une carte de Ptolémée, datant du XVI° siècle et possédée, dit-on, par Mehmet II....

Mais outre l'enrichissement de sa culture générale, le géopolitologue y trouve matière à réflexion.

1/ S'agissant du partage de l'empire romain : il est généralement attribuée à Théodose, par une décision de 395 (voir ici et carte ici). Mais elle est fort différente du Traité de Verdun, qui divise l'empire de Charlemagne en trois parts. Dans le premier cas, le partage ne permettra pas aux Etats successeurs de se moderniser suffisamment, à la différence de ce qui adviendra avec les Carolingiens (création de la France et de la Germanie).

2/ Pourtant, la durée est là, puisque "Byzance" et son empire traverseront dix siècles, jusqu'à la prise de la ville par les Turcs. C'est que cet empire n'a jamais su installer de façon pérenne un système économique et fiscal qui lui permette de durer. D'une certaine façon, l'empire c'est la seule ville, et ses murailles. Est-ce un hasard si la ville n'a été prise que deux fois (en 1204 par les Croisés, en 1452 par les Turcs ) ? Or, un Etat ne peut se réduire à une ville (confer Gênes, Venise, Naples, Bruges, ..). Il doit donc bénéficier d'un territoire, et des ressources pour l'administrer. D'où l'importance géopolitique de l'impôt, que j'ai déjà mentionnée à de nombreuses reprises, et qui se trouve dans le cas de Byzance.

3/ En effet, la succession ottomane met en place un système nouveau, établi économiquement et fiscalement. Du coup, le sultan peut payer une armée permanente, ce qui est alors unique. Cette organisation fiscalo-militaire semble ainsi constitue le trait distinctif de l'empire ottoman; celui d'une modernité avérée, et donc d'une transition réussie entre le Moyen-Âge (modèle urbain) et la modernité. Surtout, une tolérance religieuse effective permet d'éviter les guerres de religion qui affaiblissent simultanément l'Europe. Une fois que celle-ci a dépassé ce clivage et surmonté son retard, l'empire ottoman perd son avantage comparatif : c'est à partir du XVIII° siècle qu'il perd sa vertu pour devenir au XIX° "l'homme malade de l'Europe" : A cet égard, on peut comprendre l'expression dans un double sens :

  • celui, couramment accepté, d'homme de l'Europe tombé malade ;
  • l'autre, qui est à mon avis tout aussi exact, exprimant que c'est l'Europe la maladie, car l'homme aurait pu être également malade de la peste, comme certains animaux de La Fontaine....

4/ Cela me mène au dernier point, celui des relations particulières entre l'Europe et ce qu'on a longtemps appelé "l'Orient". Car la Turquie, c'est l'Orient, même si c'est un Orient très mâtiné d'Europe. C'est vrai dès le XVI° siècle, et l'exposition le montre bien, expliquant l'ottomanisme comme un mélange curieux de turquicité, de byzantisme, d'européanisme et d'islam. D'une certaine façon, Ataturk veut dépasser ce mélange, mais il succombe lui-même en reconduisant la recette : celle de la conjugaison d'un "progrès occidental" (la laïcité, l'alphabet) et d'une "turquicité" plus ou moins fantasmée qui se sépare de l'Autre (l'Arménien, le Grec, et pas le Kurde....).

Car Même s'il nous est proche, l'orient demeure toujours l'orient....

Renseignements pratiques : voir ici. Jusqu'au 25 janvier 2010

On lira avec intérêt deux livres, en vente à la boutique de l'expo :

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 19 décembre 2009, 20:03 par ZI

"l'orient demeure toujours l'orient...."
Ce qui amène la question, mais qu'est-ce que l'orient?

EGEA : QUestion qui renvoie en retour à : "qu'est-ce que l'occident ?".

2. Le samedi 19 décembre 2009, 20:03 par RCT

Votre analyse ne manque-t-elle pas un peu d'esprit critique face au parti pris manifestement pro-turc de l'exposition ? Entre les œuvres d'art de l'époque byzantine présentées au rez-de-chaussée et les œuvres d'art de la période turque présentées à l'étage, il y a un net déséquilibre déjà en quantité mais également en qualité. Force est de constater que la première période est beaucoup plus riche...

EGEA : certes, il s'agit d'une exposition dans le cadre de l'année de la Turquie. Certes, il y a beaucoup de choses venant des musées d'Istamboul. Parti-pris ? forcément, mias je ne crois pas qu'il faut y voir du mal. Toute volonté de connaissance mutuelle, passant par des échanges culturels, a forcément une arrière-pensée politique. Mais, d'une certaine façon, tout est politique.

Enfin, je ne me risquerais pas à la comparaison de richesses entre les deux périodes. D'autant qu'on pourrait facilement remarquer que le rez de chaussée couvre une période de15 siècles (avec d'ailluers des creux béants), quand le deuxième étage ne couvre que trois siècles. Et que l'intérêt de ce deuxième tient justement à montrer l'hybridation culturelle ottomane, jamais occidentale mais jamais totalement orientale....

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