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Quelques lectures sur le Moyen orient et Kandahar

Je vous signale deux lectures particulièrement intéressantes.

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La première est due à Pierre Razoux, spécialiste du Proche et du Moyen Orient, directeur de recherche au Collège de défense de l'Otan à Rome, qui vient de publier un compte-rendu du sémianire qu'il a organisé début décembre sur "l'Otan et la sécurité du Golfe". L'intérêt, disons le, ne tient pas tellement à l'Otan (l'Initiative de Coopéation d'Istamboul, ICI, joue localement un rôle très mineur); bien plus à l'appréciation des intérêts des différents acteurs de la région, qui parlent sans fard grâce aux règles de Chattam House (on peut dire ce qui se dit, mais on ne cite jamais nommément l'auteur). C'est passionnant. Accessible à cette page, cliquez sur le lien "l'Otan et la sécurité dans le Golfe" de décembre 2009.

La seconde est due à Jacques Follorou, qui explique très clairement l'importance géopolitique (pour une fois, le mot n'est pas abusif) de Kandahar dans la situation afghane.

Le voici : (verbatim)

Lorsque l'on parle de l'Afghanistan, les yeux du monde sont rivés sur sa capitale, Kaboul. C'est là que se concentrent les lieux de pouvoir et où se détermine, en principe, son avenir. C'est aussi là que sont réunis les commandements des forces civiles et militaires internationales envoyées sur le sol afghan pour lutter contre l'insurrection et aider le pays à se reconstruire. Mais, à y regarder de plus près, Kaboul n'est qu'une façade. Face à un Etat inexistant, une structure du pouvoir afghan encore clanique, des tribus restées puissantes face à une démocratie artificielle importée de l'extérieur, la vraie légitimité ne vient pas de Kaboul.

La géographie du pouvoir afghan aujourd'hui oblige à dire qu'une bonne partie des clés du destin de la population afghane se trouve au sud, en terre pachtoune, dans une cité hostile aux étrangers, foyer historique des talibans, Kandahar.

Kandahar est la terre d'origine du clan Karzaï et de sa tribu, les Popalzaï. Hamid Karzaï, président afghan, tient son pouvoir du poids de son clan dans la région. Mi-novembre 2009, dans la grande maison de son frère, Wali, à Kandahar, se pressaient des chefs de tribu venus de tout l'Afghanistan, les piliers de son réseau. L'objet de la rencontre : faire le bilan post-électoral après la réélection contestée de son frère à la tête du pays.

Parfois décrié pour ses liens supposés avec la CIA et des trafiquants de drogue, Wali Karzaï joue un rôle politique méconnu. Il a organisé la campagne de son frère, et ce jour-là, à Kandahar, se jouait, sous sa houlette, l'avenir de ceux qui avaient soutenu ou au contraire refusé leur soutien à Hamid. Chef d'orchestre chargé du clan du président, Wali est la personnalité forte du sud du pays.

Les Karzaï adossent leur influence à celle de Kandahar dans l'histoire de l'Afghanistan. Lorsque Ahmad Shah, le fondateur du pays, en 1747, conquit la ville, il en fit sa capitale. "Jusqu'en 1979, lors de l'invasion soviétique, Kandahar a incarné le mythe de la création de l'Etat afghan, les Kandaharis considèrent qu'ils ont un droit divin à diriger le pays", résume Mariam Abou Zahab, experte du monde pachtoune. "Kandahar, c'est l'Afghanistan, explique à ceux qui l'interrogent Tooryalaï Wesa, gouverneur de la province. La politique s'y fait et, encore aujourd'hui, la politique sera dictée par les événements qui s'y dérouleront."

Cette emprise de Kandahar s'évalue aux places prises au sein du gouvernement par "ceux du Sud". La composition du nouveau gouvernement, le 19 décembre, n'a pas changé la donne. D'autant moins que les rivaux des Karzaï, dans le Sud ou ailleurs, n'ont pas réussi à se renforcer au cours du dernier mandat du président. L'autre terre pachtoune, le grand Paktia, dans le sud-est du pays, à la frontière avec le Pakistan, qui a fourni tant de rois, ne dispose plus de ses relais dans la capitale.

Kandahar pèse aussi sur l'avenir du pays, car s'y trouve le coeur de l'insurrection qui menace le pouvoir en place. L'OTAN, défiée depuis huit ans, n'a cessé de perdre du terrain dans le Sud, où les insurgés contrôlent des zones entières. Les provinces du Helmand et de Kandahar sont les zones les plus meurtrières pour la coalition et l'OTAN semble dépourvue de stratégie cohérente. Kandahar est la terre natale des talibans. Ils sont nés dans les campagnes du Helmand et de Kandahar, et le mouvement taliban s'est constitué dans la ville de Kandahar, où vivait leur chef spirituel, le mollah Omar, et où il a conservé de profondes racines.

La pression sur la vie quotidienne des Afghans est croissante. Les talibans suppléent même le gouvernement dans des domaines tels que la justice quotidienne. Ceux qui collaborent avec les étrangers sont stigmatisés, menacés, voire tués. En guise de premier avertissement, les talibans collent, la nuit, des lettres sur les portes des "collabos". "La progression talibane est un fait dans le Sud, relate Alex Strick van Linschoten, unique spécialiste occidental de la région et du mouvement taliban à vivre à Kandahar sans protection. L'insécurité, l'absence de travail poussent vers Kaboul ceux qui ont un peu d'éducation et de compétence, seuls restent les pauvres et ceux qui veulent faire de l'argent."

En réaction à cette détérioration, les Américains ont décidé, sans l'assumer ouvertement, de reprendre le contrôle de situations confiées officiellement par l'OTAN aux Britanniques dans le Helmand et aux Canadiens dans la province de Kandahar. Le mouvement a été progressif, mais, depuis un an, les Etats-Unis n'ont cessé d'envoyer des renforts américains, au point d'exercer aujourd'hui de fait la direction des opérations dans cette région. Une tendance qui se renforcera encore avec l'arrivée des troupes supplémentaires promises par Barack Obama.

L'histoire a montré que, pour gagner en Afghanistan, il fallait tenir les campagnes de Kandahar. Les Britanniques l'ont expérimenté de façon cuisante lors de la seconde guerre anglo-afghane à la fin du XIXe siècle et les Soviétiques n'en sont jamais venus à bout. "On sait comment cela s'est terminé pour eux, on va essayer d'éviter de faire les mêmes erreurs", observait, mi-novembre, optimiste, un officier supérieur américain. Par Jacques Follorou, journaliste au Monde, paru le 2 janvier 2010.

O. Kempf

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