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Jouons au DAM

Jouons aux dames. Pardons : au DAM.

Directions des applications militaires ? du CEA ? oui, ça existe, et il y a même un article passionnant du Monde sur le Laser mégajoule qui l'évoque ce soir.

Mais ce n'est pas de ça dont je voudrais parler.

Mais de Défense Anti missile.

1/ Classiquement, il y en a deux :

  • une locale, dite de théâtre : en clair, pour défendre les troupes d'une opération. On comprend : zone géographique limitée (quelques centaines de KM²) face à des missiles peu "puissants" (comprendre, tirés de pas trop loin 1000 à 2000 KM ???, et pas forcément nucléaires). On la dira opérative, pour la distinguer d'une éventuelle DAM tactique (je ne sais si l'idée a du sens, je l'échafaude devant vous) qui comprendrait, en fait, l'artillerie sol-air de papa un peu étendue et adaptée.
  • une plus importante, dite de territoire. Zone géographique plus importante (qui se compte en milliers de Km²) face à des missiles puissants (plus de 5000 km, souvent nucléaire, et avec passage extra atmosphérique). On la dira logiquement stratégique. D'autant plus qu'elle est historiquement datée : Avec le traité ABM de 1972, et toutes les négociations ICBM, puis l'IDS de Reagan, puis la NMD/MD de Clinton, puis la MD nouvelle formule de GW Bush.

2/ A la fin des années 2000, on fait exprès de mélanger un peu les deux : les Américains expliquent qu'ils ont besoin d'un "3ème site" de leur DAM "de territoire", pour se défendre des missiles voyous hiboux choux cailloux, ouh ! les méchants, même si le site choisi est placé juste à côté des Russes et que les missiles iraniens sont loin d'avoir les capacités qu'on leur prête. Du coup, M. Poutine coince, il met l'Evinrude 200 CV dans la bassine à mousse, et sans surprise, ça mousse très fort, on en parle tous pendant deux ans. Elections, au revoir GW, hellobama, l'ami Barrack casse la baraque (si, j'ai osé, elle est très mauvaise, mais de temps en temps c'est drôle) et il abandonne le troisième site.

3/ Oui, mais. Mais en fait, on n'a pas vraiment levé la confusion bushienne. En effet, tout le monde a plus ou moins cru que la défense antimissile de "territoire" était une IDS nouvelle formule, anti ICBM. Or, cette DAM est tournée contre les "petits" missiles des "petits" méchants. Du coup, on est très arrangeant sur la notion de "DAM de territoire". Et l'ami Obama de nous dire : d'accord, on ne met rien en Pologne, mais ce n'est pas grave, on va mettre des petits missiles sur des bateaux en Méditerranée orientale, et ça servira pareil.

4/ Là, je m'interroge, car plusieurs options sont possibles :

  • on affuble cet expédient (des missiles de DAM de théâtre placés sur des bateaux, aux performances plus ou moins gonflées : en fait, autant que les méchants Iraniens gonflent leurs missiles, avec la même perte de précision proportionnelle à l'augmentation de la portée), on affuble donc cet expédient du nom de "DAM de territoire" histoire de faire plaisir aux Européens, sans trop perdre la face, et à peu de coût. Mais ç a n'est que de la comm.
  • il y a vraiment un nouvel étage intermédiaire entre la DAM de "territoire" de papa Ronald et la petite défense locale, et il n'est pas illogique d'appeler ça "de territoire", dans la mesure où il s'agit de se protéger contre des missiles de 3.000 Km de portée, qui partant d'Iran toucheraient les rivages sud-est de l'Europe et de l'Alliance (Turquie, Grèce, Bulgarie, Roumanie, et plus si affinité). Ce qui, dès lors, intéresserait les Russes. Ce qui, accessoirement, permettrait d'attirer des capitaux alliés dans un projet d'origine américaine. Tant pis pour la BITD européenne....

Mais vous l'avez compris : je suis dans l'expectative et attend votre aide pour m'aider à démêler cet écheveau. Car les DAM, c'est presqu'aussi complexe que les échecs : De la jeupolitique....

O. Kempf

Réf : je signale le dernier excellente "proliferation paper" de l'IFRI : "In Search of the Nuclear Taboo: Past, Present, and Future" par William C. POTTER. CE laboratoire, dirigé par E. de Durand, est véritablement excellent.

Commentaires

1. Le vendredi 15 janvier 2010, 21:30 par Richi

N'étant pas moi même un spécialiste, je remarque juste 2 choses:
La première est que la capacité de défense "antimissile" française qui devrait naître avec l'entrée en service des missiles ASTER sera en fait une capacité duale liée à un système prévu pour prendre en charge le remplacement du système Hawk.
Cette composante sera au sens littéral du terme opérative, puisque l'armée de terre n'en disposera pas, et qu'elle s'appliquera dans une logique interarmée.
La seconde, que la défense "stratégique" d'un territoire comme l'Europe pose rapidement des problèmes d'ordre politique, qui ne sont pas sans rappeler (toutes choses égales par ailleurs) les débats qui pouvaient agiter les pays de l'alliance sur le nucléaire tactique et moyenne portée

Cela est lié à une question fondamentale qui consiste à choisir entre une logique de "couvercle" (frapper les missiles ennemis dans leur phase d'ascension) qui suppose d'avoir une idée plus ou moins précise du territoire à surveiller... ou de "bouclier" qui consiste à protéger un territoire contre des missiles en phase terminale... Ce qui pose des problèmes politiques liés aux risques inégaux entre les pays qui prendraient part à un système de défense commune de l'Europe par exemple.

Voilà, c'est l'essentiel de ce que je crois avoir compris de ces questions.

Cordialement

2. Le vendredi 15 janvier 2010, 21:30 par CorentinB

En fait la distinction TMD/NMD a été abandonnée depuis quelques années déjà: on parle maintenant de BMD, terme générique que l'on utilisait déjà dans les années 1960, et qui regroupe tous les moyens de défense contre des missiles balistiques. La protection régionale reste encore active, plus que jamais même.

Mais il est vrai que la distinction dépendait des propriétés techniques des systèmes et du contexte bilatéral Russie-UE: sur un plan technique, un système TMD était désigné comme tel parce que son intercepteur n'était pas à même de détruire une tête lancée à plusieurs milliers de kilomètres (et donc rentrant dans l'atmosphère avec un vitesse beaucoup plus élevée), et donc n'avait pas vocation à défendre le territoire national américain puisque celui-ci n'est pas exposé à des menaces de missile balistique de courte portée.

C'était aussi un moyen de poursuivre de la R&D, voire des déploiements, sans aller à l'encontre du traité ABM: en 1997, les US et la Russie (et l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan) ont donc signé un accord faisant la distinction entre les intercepteurs à haute vélocité (plus de 3 Km/s) et ceux à basse vélocité (moins de 3 Km/s), étant entendu que les intercepteurs à haute vélocité auraient de réelles capacités contre des missiles stratégiques et iraient à l'encontre du traité ABM et de l'équilibre nucléaire russo-américain. La distinction a été faite à la demande des US, qui désiraient progresser librement dans le domaine de la protection des troupes projetées, à travers des systèmes comme le Patriot PAC-2, puis 3 ou le THAAD.

Avec la diversification des projets et le retrait de l'administration Bush du traité ABM, la distinction semble avoir perdu de son sens pour les US. Par exemple, un système développé auparavant et identifié comme de la TMD, la "Navy Area TMD", qui devait être portée par les navires équipés Aegis, est depuis passé dans la "zone grise", et dispose de capacités d'interception contre les missiles intercontinentaux. En réalité, les capacités des intercepteurs SM-2, puis SM-3 sont, me semble t-il, bien meilleures que celles des Ground Based Interceptors, sur lesquels se fondait la NMD initiale.

Mais la distinction TMD/NMD est encore employée en France, notamment du fait de la difficile articulation entre une éventuelle défense antimissiles du territoire national et la posture française de dissuasion dite de "stricte suffisance", qui a historiquement toujours vu dans la DAM de territoire un moyen de se soustraire aux forces de dissuasion de l'adversaire. C'est aussi parce que dans le passé, la France était le faible face au fort soviétique, disposant d'un arsenal stratégique de 20 à 30 fois supérieur à l'arsenal français. Maintenant, la situation peut s'inverser et voir la France tenir le rôle du fort n'ayant pas la volonté d'accepter une relation de vulnérabilité réciproque avec une puissance nucléaire régionale, par exemple au Moyen-Orient. De plus en plus d'experts et d'officiels sont plus que conscients de cette situation, néanmoins, mais se heurtent en plus à la question des coûts prohibitifs de ces systèmes.

Bon week end, désolé pour ce commentaire très long et merci pour le lien vers le dernier PP !

EGEA : Corentin, je vois du petit lait : ce commentaire n'est pas trop long, il est éclairé et surtout explique bien à la fois les subtilités techniques, mais aussi les divergences conceptuelles entre le débat US (et donc otanien) et la perception française.... Les colonnes d'EGEA te sont ien évidemment ouvertes.... Quand au dernier PP, il a l'air particulièrement bon....

3. Le vendredi 15 janvier 2010, 21:30 par yves cadiou

Pour parler d’antimissile, l’on doit d’abord se poser deux questions. L’antimissile est-il efficace ? La réponse est non. L’antimissile est-il coûteux ? La réponse est oui.
Après ces deux réponses, il faudra se demander pourquoi l’on en parle périodiquement.

L’antimissile est inefficace non seulement contre une attaque par haute technologie de type SNLE mais inefficace aussi contre les attaques de faible technologie.
Je prends le cas des SNLE français parce que j’en connais les données par la documentation que diffuse la DICOD. Une salve de SNLE, c’est seize missiles comportant cinq têtes chacun. C’est une pluie de quatre-vingt missiles dispersés et échelonnés qui s’abat sur l’objectif. Parmi ces têtes, quelques unes sont équipées pour tromper les antimissiles. Le défenseur ne peut en aucun cas avoir la certitude d’arrêter ou de neutraliser la totalité de la salve. Qu’une seule bombe (dont la puissance est cinq ou six fois supérieure à celle d’Hiroshima) franchisse le bouclier et les dégâts seront considérables : c’est l’échec de la défense. Parmi quatre-vingt missiles, l’on peut considérer avec certitude qu’une dizaine passeront. Mais qu’il n’en passe qu’un minimum de deux ou trois et c’est plus qu’il n’en faut pour que l’attaque soit réussie.
Par conséquent le défenseur ne peut pas compter, quel que soit son niveau technologique et le procédé qu’il emploie, sur une efficacité totale de son bouclier contre une attaque par haute technologie de type SNLE. L’efficacité de la défense est nulle aussitôt qu’un seul missile attaquant arrive à destination en état de fonctionner, s’agissant d’armes nucléaires dont la puissance est de cent à cent cinquante kilotonnes chacune. Il faudrait, mais c’est peu probable, arrêter la totalité des missiles attaquants. Face à cette incertitude, un décideur politique qui prendrait le risque de compter sur la protection de son bouclier serait irrationnel.

Actuellement, les menaces (Iran, Corée) qui servent d’argument pour justifier le déploiement d’antimissiles n’ont rien de commun avec une salve de SNLE : non seulement parce que le nombre de missiles et leur niveau technologique ne sont pas celui de la salve que je décrivais ci-dessus, mais surtout parce que ces Etats, s’ils voulaient attaquer, préfèreraient des moyens clandestins qui leur épargneraient des représailles catastrophiques. Par missiles, l’attaque serait signée.
Mais l’on peut imaginer toutes sortes de moyens discrets pour livrer une bombe qui pèse trois cents kilos et se transporte aisément par voie aérienne, par voie maritime, par voie terrestre. Voici quelques cas de figure simples :
Par voie aérienne : certes nous contrôlons la circulation aérienne au-dessus de notre territoire, mais nous ne contrôlons pas le contenu des avions en transit.
Par voie maritime : lorsqu’un navire de plaisance ayant son port d’attache en France sort en mer pour le week-end, il peut avoir rendez-vous avec un fournisseur hors de vue des côtes. Mais au retour personne ne vérifie que son chargement est anodin.
Nous connaissons tous, sur nos côtes, des plages discrètes où l’été à deux heures du matin l’on ne risque d’être vu que par des amoureux à la recherche de tranquillité. Mais en hiver, il n’y a personne et l’on y débarque clandestinement ce que l’on veut.
Par voie terrestre, la livraison n’est guère plus problématique : douane et police recherchent surtout de la drogue, des immigrés clandestins, des contrefaçons, dont beaucoup passent. Ils ont peu de chances de trouver les composants d’une arme nucléaire qu’ils ne recherchent pas. Rien ne dit qu’en ce moment même une arme nucléaire n’est pas prête à fonctionner sur un simple signal téléphonique dans un garage de l’une de nos villes ou dans la cale d’un navire de plaisance amarré près du Pont de l’Alma. Aucun bouclier antimissile n’y peut rien.

Facile à percer par une attaque de haute technologie, facile à contourner par une attaque de basse technologie, le bouclier antimissile est une fausse protection. Alors pourquoi en entend-on encore parler ?
Sur cette question, l’on ne peut que formuler des suppositions, certainement incomplètes et contestables mais qu’il faut examiner. Pour l’administration W. Bush, il s’agissait probablement s’offrir le plaisir de marcher sur des plates-bandes ex-soviétiques. Pour la Chine, il s’agit peut-être de se situer au même niveau que les Etats-Unis en disant « nous avons, nous aussi, notre bouclier ». En Europe et en Amérique, remettre l’antimissile au goût du jour fait ou ferait l’affaire d’une industrie de haute technologie qui cherche à diversifier ses débouchés au moment où les conflits asymétriques ne sont pas très demandeurs de technologie et où la course à l’espace n’est plus ce qu’elle était. Les systèmes antimissiles sont d’autant plus intéressants pour le vendeur qu’il est sûr que le client ne viendra pas se plaindre.
Pour les décideurs politiques de nos démocraties, c’est un moyen de montrer qu’ils ne baissent pas la garde : le moyen est illusoire mais l'illusion peut fonctionner auprès de citoyens mal informés. On le voit par les photos et schémas de science-fiction qui accompagnent souvent les articles sur ce sujet : les laser méga-joules ont remplacé les si filmogéniques projecteurs DCA de la 2°GM qui, eux, étaient bien réels. De nos jours, les missiles et les antimissiles sont surtout faits pour frapper les imaginations.

EGEA : oui, la cible de la frappe n'est peut-être pas celle qu'on croit

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