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Vers la paix perpétuelle, d’Emmanuel Kant

Ce billet est naturellement dédié à Yves Cadiou qui, j'en suis sûr, va se mettre à lire (un peu) Kant. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

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Voici donc un ouvrage curieux, et indispensable.

Voici un ouvrage curieux, et indispensable.

1/ Curieux, parce qu’il s’agit d’une esquisse. Court (l’ensemble tient en 80 pages, mais on verra qu’on peut se contenter de moins) et bizarrement construit : au premier propos, articulé en deux sections (elles-mêmes déséquilibrées) et tenant en trente pages, succède une annexe 1 (« de la garantie de la paix perpétuelle ») d’une quinzaine de pages, puis une annexe 2 (« article secret ») qui tient en trois pages, puis un appendice 1 (« de la discordance entre morale et politique, eu égard au dessin de la paix perpétuelle », trente pages) et d’un article 2 (« de la concordance de la politique et de la morale d’après le concept transcendantal du droit public », 10 pages). Curieux également car, bien que je ne sois pas philosophe de formation (enfin, comme vous, j’y ai porté de l’intérêt en terminale), je ne garde pas le souvenir d’un Kant très tourné vers la politique, mais plutôt vers une philosophie individuelle, une phénoménologie.

2/ Dès lors, je me suis abstenu de lire les deux appendices, car ils entraient dans des ramifications qui durent en leur temps faire le bonheur intellectuel de Kant, mais qui m’éloignaient de mon sujet. D’où mon conseil : un politiste peut se contenter des quarante premières pages, d’autant plus lisibles que le cher Emmanuel ne s’y sent pas à l’aise, n’a fait qu’esquisser sa pensée sans trop de raffinements intellectuels, et que cette « généralité » permet au lecteur non spécialisé (vous, moi) de ne pas s’y perdre. Yves Cadiou sera donc rassuré : on peut lire Kant.

3/ Mais pourquoi : « indispensable » ? non par snobisme, mes chers, mais tout simplement parce que tous les politistes citent ce texte comme source de l’idéal de la construction européenne : « la paix perpétuelle » par ci, la paix kantienne par là, en veux-tu en voilà : combien l’ont lu ? est-ce vraiment en phase avec ce qu’on nous dit de cette construction européenne, et de cette démarche irénique, que dis-je, irénissime ? Pourquoi s’abriter derrière ce philosophe qui a la réputation d’être ... très compliqué, et qui n’est pas spécialisé dans la philosophie politique, et appeler les mânes d’un texte mineur et, déséquilibré ? pourquoi revendiquer une telle construction intellectuelle ? vous l’avez deviné, j’y décèle du snobisme et surtout la volonté de donner des fondements « intellectuels » à l’idéal « pacifique » qui anime l’Europe, l’ambition pacifique se confondant souvent en un pacifisme dont on connaît les incohérences. Ceci étant dit, passons au texte ! il faut voir si cette opinion se vérifie.

4/ Or, dès l’abord, Kant est lucide. Evoquant un bistrot qui portait sur son enseigne « à la paix perpétuelle », il y voit immédiatement une satire « pour les philosophes qui s’abandonnent à ce doux rêve ».

5/ Dans la 1ère section (« articles préliminaires en vue de la paix perpétuelle »), Kant énumère un certain nombre de principes préalables à la possibilité d’une paix : pas de clause secrète, pas d’annexion d’Etat indépendant (« un Etat n’est pas un avoir. Il est une société d’hommes »), disparition à terme des armées permanentes (puisque « elles menacent de guerre » : il partage l’illusion que c’est l’armée la cause de la guerre, et non l’inverse), pas de financement de la guerre par l’emprunt (visiblement, les Américains ne sont pas kantiens !), « aucun Etat ne doit s’immiscer par la violence dans la constitution ou le gouvernement d’un autre Etat », pas de crimes extrêmes compromettant la confiance future (« recrutement d’assassins, empoisonneurs, violation de la capitulation, instigation à la trahison »). En effet, « la guerre n’est que le triste expédient pour le droit à l’état de nature de s’affirmer par la violence ». On le voit, Kant considère la guerre comme « naturelle », reprenant la notion d’« état de nature » propre à son époque. On peut enfin s’étonner de cette démarche en deux temps, avec des articles préliminaires précédant des articles définitifs, d’autant qu’ils paraissent peu réalistes, surtout si on admet que la guerre est dans l’ordre des choses.

6/ Dans la 2ème section, Kant expose les articles définitifs. Ils sont au nombre de trois, que nous examinerons successivement.

7/ 1er article : « la constitution civique de chaque Etat doit être républicaine ». Le texte paraît en 1795, il n’y a donc aucune confusion sur le mot républicain, la référence à la France révolutionnaire est assumée. Il précise que cette constitution doit être fondée d’après « les principes de liberté des membres d’une société », puis de « dépendance de tous envers une législation commune », enfin « d’après la loi de leur égalité ». Car « la constitution républicaine (...) offre la perspective de la conséquence souhaitée, à savoir la paix perpétuelle » : Kant propose en fait l’assertion moderne selon laquelle « les démocraties ne se font pas la guerre ». Remarquons juste après que lorsqu’il ajoute « qu’on exige l’assentiment des citoyens pour décider si une guerre doit avoir lieu ou non », cela annonce le maître Clausewitz et sa merveilleuse trinité, incluant désormais le peuple comme acteur de la guerre.....

8/ Oui, mais... Mais Kant précise alors : « pour qu’on ne confonde pas (comme cela arrive communément) la constitution républicaine et la constitution démocratique »... et il distingue les formes de l’Etat selon la détention du pouvoir et selon l’exercice du pouvoir. Pour lui, « le républicanisme est le principe politique de la séparation du pouvoir exécutif (le gouvernement) et du pouvoir législatif ». La démocratie étant elle considérée comme despotique « parce qu’elle fonde un pouvoir exécutif où tous décident au sujet d’un seul », en clair, la loi de la majorité.

9/ 2ème article : « le droit des gens doit être fondé sur un fédéralisme d’Etats libres ». Après avoir évoqué l’idéal d’une « alliance des peuples », Kant remarque que « chaque Etat place précisément sa majesté dans le fait de n’être soumis à aucune contrainte extérieure légale » : il s’agit en fait de la doctrine de la souveraineté. Mais comme la guerre ne se termine jamais totalement par le droit (« un traité de paix peut bien, il est vrai, mettre fin à la guerre présente mais non à l’état de guerre qui est à la recherche incessante d’un nouveau prétexte »), « il faut qu’il y ait une alliance d’une espèce particulière qu’on peut nommer l’alliance de paix (...) qui chercherait à terminer pour toujours toutes les guerres ». J’en retiens que Kant pense comme si la guerre était naturelle et qu’il ne s’agit que de la brider, de l’enfermer dans un tabernacle d’où elle ne sortira pas : on est loin de l’illusion encore trop fréquente qui, constatant l’absence de la guerre depuis cinquante ans, la déclare scandaleuse, la condamne et la met hors-la-loi.

10/ L’alliance ne vise pas « à acquérir une quelconque puissance politique, mais seulement à conserver et à assurer la liberté d’un Etat pour lui-même ». Je crois qu’on est ici au cœur du propos, Kant laissant apparaître une contradiction entre la puissance et la liberté. D’où « cette idée de fédération qui doit progressivement s’étendre à tous les Etats et conduire à la paix perpétuelle » : la paix est contagieuse car la fédération « assurera ainsi un état de liberté entre les Etats et insensiblement, grâce à plusieurs liaisons de cette espèce, elle s’étendra de plus en plus ».

11/ 3ème article : « le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle ». Il s’agit en fait de critiquer la colonisation. La chose est remarquable, puisqu’à l’époque, la colonisation ne s’entend que comme colonisation d’exploitation, et non comme la colonisation à prétention civilisatrice du XIX° siècle. Il y a quelque mérite (et cohérence) à dénoncer, sur la raison de l’égalité du genre humain, la colonisation de l’époque qui était parfaitement admise. Il conclut : « on est arrivé au point où toute atteinte au droit en un seul lieu de la terre est ressentie en tous. Aussi bien l’idée d’un droit cosmopolitique n’est pas un mode de représentation fantaisiste et extravagant du droit ». C’est tirer les conséquences du constat : puisqu’il y a universalité des conditions, il y a universalité du droit. Kant affirme ici la mondialisation des règles qui s’ébauche en ce XXI° siècle planétisé.

12/ L’annexe I s’intitule : « de la garantie de la paix perpétuelle ». Kant constate tout d’abord que la nature a répandu les hommes à la surface de la terre, y compris, « par le biais de la guerre (...) dans les contrées les plus inhospitalières » et qu’elle les a contraints, par le biais de cette même guerre, à nouer des rapports plus ou moins légaux ». Ainsi, la guerre est non seulement naturelle, mais elle a même des effets positifs puisqu’il s’agit, au fond, d’une forme de dialogue entre peuples. Forme imparfaite qu’il faut certes dominer et dépasser, mais dialogue. Ce « réalisme » ne me semble pas partagé par tous les pacifiants qui se réclament de Kant : trop souvent pour eux, la guerre est une anomalie, une exception quand pour Kant, la guerre est une nature qu’il s’agit de maîtriser. Dans un cas, on est dans une fiction naturelle, dans l’autre, on accepte l’artificialisation du genre humain : la différence est de taille, on en conviendra.

13/ Cette friction des peuples, ce frottement naturel, impose alors l’Etat : la remarque est ici très profondément géopolitique : « chaque peuple, trouvant devant lui un autre peuple voisin qui le refoule, doit, contre lui, se constituer intérieurement en un Etat pour constituer une puissance armée contre lui ». Kant annonce Weber, définissant l’Etat comme ayant le monopole de la violence légitime (remarquons au passage que Weber ne se distingue de Kant que par l’ajout de la légitimité : là est le principal apport wéberien, ce qu’on oublie trop souvent). Du coup, « l’idée du droit des gens suppose la séparation de nombreux Etats voisins, indépendants les uns des autres, et bien qu’un tel état soit déjà en soi un état de guerre, celui-ci vaut encore mieux que la fusion des Etats en une puissance dépassant les autres et se transformant en une monarchie universelle ». Le « risque de fusion des Etats etc... » est celui de l’empire. Ainsi, mieux vaut une fédération d’Etats libres que le risque impérial.

14/ Mais la nature n’est pas seulement à la source de la guerre : elle a un autre effet. « C’est l’esprit de commerce qui ne peut coexister avec la guerre et qui tôt ou tard s’empare de chaque peuple » : le libéralisme est ici annoncé très clairement, avec ce présupposé (non vérifié aussi universellement qu’on le croit couramment) que le commerce empêche la guerre. Kant précise : « Comme en effet, parmi tous les moyens subordonnés à la puissance de l’Etat, la puissance d’argent pourrait bien être la plus fiable, les Etats se voient forcés de promouvoir la noble paix ». Et donc, coup de baguette magique, « c’est de cette manière que la nature, par le biais des mécanismes des inclinations humaines elles-mêmes, garantit la paix perpétuelle ». Kant me fait penser à Mandeville et à sa fable des abeilles, qui annonce la main invisible : même si les Etats ne le veulent pas, la paix s’installe inéluctablement. Sans aller jusqu’à exposer les démentis de l’histoire, on peut évoquer la critique marxiste de cette proposition, qui voit l’intérêt pécuniaire des puissances d’argent comme très impérialiste (je précise aussitôt, si besoin était, que cela ne revient pas à valider le marxisme). Mais pour Kant, la paix universelle est une paix de marché. On conviendra que la chose est discutable !

15/ Qu’en tirer ? que le projet kantien repose sur la présomption de l’état naturel de guerre : je ne suis pas sûr que ses thuriféraires contemporains partagent cette proposition de départ. A supposer que la paix s’établisse localement, le commerce est le moyen de la préserver : cela, en revanche, je suis persuadé que les néo-kantiens l’admettent volontiers. Mais il est sûr que les propositions de Kant sont certainement plus complexes et articulées que ne le croient ceux qui le citent en bêlant.

En conclusion, j’aimerais signaler un lapsus, significatif comme c’est l’usage. Je crois surtout qu’il est partagé par mes contemporains. Dans ma mémoire, je croyais que le titre s’intitulait « vers la paix universelle » : elle n’est que perpétuelle. L’objet n’est donc pas de bannir la guerre de la surface du globe, mais de la bannir de régions particulières. Le rêve européen est perpétuel, son inspiration n’est pas universelle : ce qui est bon à l’Europe n’est pas forcément applicable au reste du monde.

Je vous laisse, sinon philosopher, du moins méditer là-dessus, très chers...

Réf:

Pour aller plus loin :

  • billet de Serge Carfantan sur cet ouvrage
  • billet d'Olivier Lalonde

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 31 janvier 2010, 20:58 par

Cher Monsieur Kempf,
Vous me faites trop de faveur en me dédiant ce billet qui vous a pris votre week-end. Rappelons-en l’origine : vous aviez interprété comme un défi mon commentaire pourtant innocent du 29 janvier où je classais Kant dans la même catégorie que Clausewitz : celle des « auteurs qu’on ne lit que fictivement ». Vous m’aviez répondu « je vous prouverai ce week-end que j'ai lu Kant, avec une petite fiche de lecture, histoire d'aider les ambitieux à frimer devant leurs supérieurs, et accessoirement de papoter avec les idéalistes européens.»

Voilà qui est fait. Heureusement, dans votre billet je crois déceler aussi à mon égard une légère ironie qui me rassure : l’on peut donc lire Kant réellement et non fictivement (du moins, quarante pages de Kant) sans perdre le sens de l’humour. Mais je viens d’avoir un peu de difficulté à écrire « Kant » et « humour » dans la même phrase parce que mon traitement de texte, trop perfectionné, signalait une erreur.

Rassuré aussi d’apprendre que « la paix perpétuelle » était le nom d’un bistrot. Grâce à cette opportune évocation d’un « café du commerce » de Prusse orientale au XVIII° siècle, tout devient aussitôt moins rébarbatif sinon plus accessible.

Vous observez à juste raison qu’il y a du snobisme autour de Kant. C’est probablement, de mon côté, l’un des éléments qui me fait évoquer Kant lorsque l’on évoque Clausewitz, lui aussi entouré de snobisme. Je suis de ceux qu’un autre snobisme, symétrique de celui que vous évoquez et en réaction à celui-ci, incite à nier avoir lu ces auteurs. Le prétexte avancé est que ces auteurs sont illisibles et superflus. Mais il n’en est rien, je vous le concède.

Kant serait donc utilisé à titre de fondement « intellectuel » de l’Europe. C’est qu’il présente avec quelques autres personnages illustres, comme par exemple Beethoven, l’avantage d’être acceptable par tous sans trop évoquer les sujets qui pourraient fâcher (encore que Kaliningrad serait un de ces sujets). On est loin de l’Europe des Six, tacitement liée par une parenté culturelle datant des institutions napoléoniennes : évoquer la France à 150 départements (avec des préfectures jusqu’à Hambourg, Barcelone et Rome), sur un territoire assez comparable à celui de l’Europe des Six, c’était une référence qui pouvait déplaire. Avec Kant comme avec Beethoven, les risques de fâcheries sont moindres.

Merci en tout cas pour cette fiche de lecture qui est aussi utile au perpétuel dilettante qui veut, pour lui-même, combler un retard en fin de parcours qu’elle sera utile aux préparants en phase d’acquisition de connaissances. Elle permettra peut-être aussi aux ambitieux, du moins ceux qui ne lisent que par procuration, de frimer devant leurs supérieurs.
Cordialement

EGEA : vous vouliez parler de Koenigsberg, n'est-ce pas ? et à propos de l'Europe des 6, plutôt que Napoléon, ne vaut-il pas se référer à la vieille Carolingie ?

2. Le dimanche 31 janvier 2010, 20:58 par

Königsberg / Kaliningrad / Królewiec / Karaliaučius, la multiplicité de ses noms est bien l‘indice d‘un sujet qui pourrait fâcher.

Quant à l'Europe des Six, je ne fais pas allusion à la trop vieille Carolingie. Celle-ci fit d’ailleurs déjà l’objet en 1944 d’une tentative de récupération politique par la création, pour le front de l’est, d’une Division nommée « Charlemagne » http://fr.wikipedia.org/wiki/33e_di...

Mais je fais allusion à l’Europe avec la France à 134 départements, contemporaine de Kant, s’appuyant pendant un temps sur les principes napoléoniens et le Code Napoléon. Cette culture commune qui a survécu à son instaurateur est fondatrice parce que, outre qu’elle est relativement proche de nous dans le temps, elle résulte de l’adhésion populaire en Europe (dans ce « populaire » il faut inclure Kant, Beethoven et d’autres noms illustres) aux valeurs de la Révolution issues du Siècle des Lumières.

3. Le dimanche 31 janvier 2010, 20:58 par

Juste sur le point 8) : lorsque Kant oppose république et démocratie, ce n'est pas, enfin je peux me tromper, à la loi de la majorité qu'il fait allusion comme principe identifiant, mais au système représentatif versus démocratie directe. Et là il s'éloigne de Rousseau pour qui le régime représentatif est un pis aller (plus l'Etat s'agrandit etc...) alors que pour Kant il est indispensable. Chez les deux il y a bien un risque de despotisme majoritaire, sauf que chez Jean-Jacques il est supportable lorsque le peuple décide directement (Athènes, Suisse) sinon c'est la volonté de quelques-uns qui s'applique à la masse, alors que chez Immanuel c'est au contraire la médiation de l'Assemblée représentative qui le rend supportable sinon c'est la dictature du populisme.

C'est pourquoi lorsqu'il parle de République, il parle effectivement de la France qui est, merci Siéyès, en système représentatif.

Mais alors question que j'avais déjà posé : en 1795 il existe une autre expérience de république représentative, non...? Pourquoi aucun philosophe de l'Aufklärung ne s'y intéresse, si vraiment le modèle américain est meilleur que le français ?

4. Le dimanche 31 janvier 2010, 20:58 par

Pour faire suite au commentaire d’Immarigeon, c’est effectivement (sauf erreur ou omission de ma part) en 1835 seulement qu’un auteur européen (Alexis de Tocqueville) s’est intéressé à la Démocratie en Amérique.
Et pour revenir maintenant à l’actualité et au futur proche, il faut noter que la démocratie qui est, comme on le sait, « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » souffre d’une fâcheuse tendance, lorsqu’elle est démocratie représentative, à se transformer en « régime des partis ». C’est-à-dire que les élus préfèrent voter selon les directives du parti qui les a fait élire et les fera réélire en leur accordant son investiture, plutôt que voter selon le sentiment le plus largement partagé par les citoyens qu’ils sont supposés représenter.
Ce système était fustigé il y a cinquante ans parce que les partis, nombreux et chacun de faible effectif, étaient devenus des coteries dont les alliances et combinaisons changeantes n’avaient plus rien d’une démocratie représentative.
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Aujourd’hui, le décalage entre l’opinion des citoyens et les votes de la Représentation Nationale est encore sensible mais la situation à cet égard est fort différente de ce qu’elle était sous la IV° République.
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Cette différence n’est pas nécessairement rassurante : notre intervention en Afghanistan réunit beaucoup de paramètres qui pourraient (je suis prudent, je ne prédis rien) déclencher une crise institutionnelle. La conjugaison de trois éléments qui se développent crée une sorte de « triangle du feu » (combustible + comburant + chaleur) :
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La drogue : on n’en parle guère pour le moment, mais l’idée se répand qu’elle est au cœur du problème. Non pas seulement du problème afghan mais de notre politique concernant l’Afghanistan. Je cite René Cagnat (2007) : « le trafic porte chaque année sur des dizaines de milliards de dollars. Il suscite des profiteurs directs, éminemment condamnables, mais aussi et surtout des bénéficiaires indirects qui ne se sentent pas coupables. À Istanbul, Londres, Rome ou Paris, sur la Côte d’Azur ou la Costa Brava, des institutions influentes, financières ou commerciales, ont pris l’habitude de fonctionner avec un argent douteux et n’entendent guère voir disparaître ce revenu. » http://www.defnat.com/pdf/CAGNAT2.p...
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Le financement de nos partis politiques. Longtemps sujet tabou, il est désormais entré dans tous les esprits que ce financement est parfois suspect. Le mot « corruption » reste toujours choquant, mais il a été édulcoré en « lobbying » et en « rétro commissions ». Édulcorer le vocabulaire n’atténue pas la réalité mais au contraire renforce, en le banalisant, le concept dans l’inconscient collectif.

Les comptes des partis politiques, parce que ce sont des organismes privés, ne sont pas systématiquement contrôlés et l’on n’a donc aucune garantie de leur moralité.

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La Toile, troisième élément du triangle, fait que l’on publie aisément (comme ici) et surtout que l’on trouve rapidement et opportunément, par des mots-clés, le débat que l’on cherche. Alors que jusqu’à présent l’on ne pouvait connaître l’opinion de ses concitoyens que par les journaux, les sondages et des conversations de salon ou de comptoir, le panel est désormais beaucoup plus large. De ce fait, si le décalage entre l’opinion des citoyens et les votes de la Représentation Nationale devient trop important, les citoyens réagiront. Et ce d’autant plus vigoureusement qu’ils feront le rapprochement avec les deux points que j’ai évoqués aux deux paragraphes précédents.
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Vous aviez raison, cher Monsieur Kempf : Kant est indispensable, voyez comme ses lumières nous mènent loin de la paix perpétuelle.

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