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Revoir "Apocalypse now"

1/ J’ai revu, trente ans après, Apocalypse now. C’était la version longue, qui introduit 20 mn où le capitaine passe quelques heures dans une micro-communauté française, bizarre résidu d’une colonisation jugée désuète. On a déjà tout dit des qualités formelles, et chacun a le souvenir des scènes d’anthologies (les hélicos walkyries, le pont illuminé comme à la foire, le concert rock au milieu de la jungle,..) ou les répliques les plus fameuses (« j’aime l’odeur du napalm au petit matin »). Je n’y reviendrai donc pas.

2/ Le plus passionnant réside en fait dans le voyage initiatique :

2/ Le plus passionnant réside en fait dans le voyage initiatique : c’est un road movie ou, plus exactement, un « river movie », un easy rider du fleuve. Initiation à la vacuité de la guerre, à son absence de logique interne, la seule façon de la dominer consistant soit de sombrer dans la folie ordinaire (mener une action hélico sur fond de Wagner pour aller surfer sur un spot, défendre un pont alors qu’il n’y a plus de chef pour commander), soit de sortir des lois ordinaires (le but de guerre, la domination du pouvoir politique) pour s’abandonner à la seule logique de la guerre, celle d’une violence qui impose sa loi). On peut bien sûr critiquer cette représentation : mais il s’agit d’une œuvre artistique, qui ne cherche pas à dire le vrai, mais à illustrer une perception.

3/ On est très déçu de la dernière heure, celle où le capitaine Willard rencontre enfin le colonel Kurtz. Au fond, cela n’apporte rien au film, l’essentiel a été dit avant. Du coup, au sens propre, Brando en fait trop.

4/ C’est qu’il faut comparer Apocalypse now au Désert des tartares, de Buzatti (voir ce billet sur les frontières mortes) : dans ce cas, le héros quitte les lieux quand les combats commencent : on sait qu’ils ont lieu, mais on n’a pas besoin de savoir ce qui s’y passe. L’événement n’a pas d’importance. Il aurait dû en être de même dans AN : l’important était le voyage, non la visite du zoo de folie. D’ailleurs, il y a une profonde similitude entre les œuvres de Coppola et Buzatti : dans un cas, il s’agit de l’attente de la guerre et dans l’autre, de sa réalité. AN est la suite du Désert des tartares.

5/ dernière remarque : l’anachronisme. L’action se passe en 1969, et on a l’impression que c’est déjà irrémédiablement foutu. J’ai le sentiment d’une reconstruction anachronique, une fois qu’on connait la fin de l’histoire. Sans connaitre l’histoire de la guerre du Viêtnam, j’ai l’impression que la défaite s’est réellement dénouée plus tard, dans les années 1970 : et que l’affaire du Watergate a eu une influence déterminante sur le sort de la guerre.

Une autre critique, historique : ici

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 3 février 2010, 21:48 par

Dans l'opinion américaine c'est à partir de 1967-68 que ça comme à sentir le roussis. En 1970 on commence à parler du massacre de My lai, c'est aussi l'année de la fusillade de Kent State( plusieurs étudiants tués pendant une manif). En 71 c'est la sortie des pentagon papers qui montre que les administrations US avaient une conception élastique des faits.

En 1969 il y a des manifestations, la contestation étudiante,etc. Watergate, c'est la fin de l'histoire, le retrait commence en 71, en 72 c'est les accords de Paris.

La période 1965-1975 est une décennie assez spécial à tout point vue dans l'histoire US.Elle mérite un paquet de bouquin (qui doivent sans doute exister).

2. Le mercredi 3 février 2010, 21:48 par

Effectivement, cher Monsieur Kempf, vu quarante ans plus tard « Brando en fait trop » comme vous le dites. Mais c’est probablement voulu : à l’époque ce « trop » passait inaperçu et il était même indispensable pour que le réalisateur ne soit pas accusé de faire l’apologie d’une guerre.

Celle-ci commençait à être ostensiblement mal considérée dans certains milieux américains capables d’influencer l’inconscient collectif (Jane Fonda, Joan Baez, Bob Dylan…) notamment auprès des jeunes Américains assujettis au Service militaire obligatoire.

Ceux-ci sont représentés dans le film par le jeune surfeur affolé qui hurle « j’veux pas y aller ! » et, dans l’hélico pendant l’assaut, par ceux qui ne font pas partie du 1rst Cavalry (bien que la séquence soit assez brève, l’expression de la trouille des conscrits qui ne sont pas aguerris est à mes yeux l’une des réussites du film). D’autres Appelés sont aussi représentés, près du pont, par ceux qui effacent leur peur en étant visiblement drogués, remède que le surfeur emploiera par la suite.

AN, c’est aussi l’époque du western « Little Big Man » (1970) où, pour la première fois, les Indiens tiennent le rôle des gentils dans un monde qui cependant est toujours binaire. Les états d’âme qui clôturent AN sont mièvres en dépit des efforts pathétiques de Brando pour leur donner l’importance voulue par le réalisateur. Pour leur donner d'autant plus d’importance, ils sont plusieurs fois annoncés lorsque Sheen (j'avais oublié le nom du capitaine Willard) prend connaissance de sa mission en cours de trajet. Sans la manifestation de ces états d'âmes inconsistants qui font regretter Hemingway, le film aurait été ce qu’il voulait être : un pur spectacle.

Mais ce spectacle n’aurait pas pu « passer », dans l’ambiance de l’époque, si Coppola n’avait pas noyé le poisson en faisant mine de vouloir démontrer quelque chose : le rôle de Brando n’est ici qu’une diversion. Quarante ans plus tard, avec un nouvel éclairage, la ficelle est bien visible. Au contraire, Désert des Tartares ne vise aucunement à faire du spectacle et a réellement quelque chose à dire.

Cher Monsieur Kempf votre analyse, en définitive, met en valeur par contraste l’excellent mais trop discret Désert des Tartares : AN est un pur spectacle qui fait un effort laborieux pour s’inscrire dans son époque et cache méthodiquement qu’il n’a rien à dire.

3. Le mercredi 3 février 2010, 21:48 par Jean-Pierre Gambotti

A mon sens, malgré son caractère grand public et son succès planétaire continu, Apocalypse Now est un film férocement élitiste si l’on veut bien considérer que c’est l’adaptation- sous acide, selon Coppola lui-même, d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Pour argumenter cette affirmation un peu brutale, je vous renvoie aux giga-octets d’analyses, exégèses et autres critiques de ce qu’on peut considérer comme un film de rupture dans un cinéma jusqu’alors …plan-plan, pardon pour cette astuce de béotien.
Parmi ces critiques je vous conseille la lecture de celle de Saad Chakali dans Cadrage.net, http://www.cadrage.net/films/apocal... à laquelle je ne me permettrai qu’un emprunt qui me semble particulièrement éclairant : « Ce n’est pas la guerre des gouvernements enchaînant leur peuple respectif de gré ou de force dans les rets de leurs ambitions antagoniques et de leurs intérêts divergents qui intéresse Francis F. Coppola dans Apocalypse Now , mais celle que se livrent au sein même de la puissance de feu impériale et circulaire (de Willard à Kurtz et retour à l’humanité de la base) ceux qui l’utilisent à des fins strictement personnelles (comme Kurtz) et ceux qui, en mettant un terme à l’activité de tels individus, régularisent ainsi leur situation propre en participant à l’autorégulation de la puissance qu’ils servent anonymement. Mission accomplie pour Willard qui a préféré, à l’occupation du trône désormais vacant mais hier encore possédé par un homme qui avait régressé au point d’être possédé par la rêverie archaïque, maladive et fatale de l’homme mortel devenu dieu vivant, revenir parmi les humains et les simples vivants qui occupent militairement un territoire souverain. »

Cet extrait, qui apparait un peu ésotérique hors texte, notamment la notion « de puissance impériale et circulaire », permet quand même de resituer le film au cœur de la problématique de Conrad , et de comprendre que l’épisode Kurtz est fondamental. Mais il faut convenir, et je m’appuierai sur des lectures un peu lointaines, que le tournage en Thaïlande fut une aventure humaine et cinématographique délirante, que les relations de Coppola avec Brando furent délicates, que le nerf de la guerre manquât, et que le film, artistiquement, a souffert de devoir rentrer dans des normes temporelles acceptables par le marché. Bref je ne suis pas certain que la deuxième partie, l’Apocalypse selon Conrad- Coppola, logorrhéisée par Brando, ait été bien maitrisée !
Ainsi pour la majorité des spectateurs c’est de la guerre dont il s’agit dans ce film, et les images de la First’Cav dans sa chevauchée walkyrienne, font déjà partie de l’histoire du cinéma et ont marqué des générations de soldats, pourtant c’est de l’homme en pleine hubris jusqu’au délire et qui « retourne à la sauvagerie en y entrainant l’humanité » qui est véritablement l’objet du film. Robert Duvall en cavalier fou de surf, prend effectivement sa part dans cette apocalypse, mais le grand ordonnateur et maître d’œuvre est bien Kurtz-Brando .
Pour terminer je dirai qu’à mon avis le génie de Coppola a été aussi dans le mixage de la voix et de la musique de Jim Morrison avec le bruit des rotors d’hélicoptères, l’insomnie alcoolique de Martin Sheen qui ouvre le film fait partie des grands moments du cinéma mondial.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

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