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Paradoxe turc

Le projet de loi qui vient d'être déposé par le gouvernement turc illustre le paradoxe de la vie politique d'Ankara.

(article publié aussi dans AGs, à l'issue du thème du mois)

En effet, on fait face à une contradiction très apparente en ce XXI° siècle, et qui retourne les présupposés du XX° siècle.

1/ Au XX° siècle, le moderniste était kémaliste : Ataturk avait réformé la Turquie, afin de dépasser l'ottomanisme. Pour cela, les minorités (grecques, arméniennes) avaient été chassées (sauf le cas kurde...) d'Asie mineure, l'Anatolie (plus la Thrace) étant présentée comme le lieu des Turcs : un foyer national turc, selon la doctrine de l'époque du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Ceci explique au passage l'affinité avec Israël, qui s'est bâti à la même époque, selon la même logique.....

2/ Ce modernisme passa par la mise au rebus d'un certain nombre de "signes extérieurs" de ce qui était considéré comme d'arriération : l'islam, d'une part, avec donc la promotion d'une laïcité militante ; la langue d'autre part, avec l'abandon de l'arabe et la création d'un nouvel alphabet, basé sur des signes latins.

3/ Cette "modernité" a rencontré longtemps une faveur réelle en "Occident", tout particulièrement en France mais pas seulement. En outre, le choix précoce de l'Otan et la candidature dès 1963 à la CEE marquaient un attachement occidental qui validaient le modèle kémaliste.

4/ Or, l'arrivée au pouvoir des démocrates musulmans de M. Erdogan a fait craindre, à la lumière de l'islamisme (arabe ? ) post 11 septembre, à une menace contre cette laïcité. Donc à une régression.

5/ Ce n'est pourtant pas ainsi qu'il faut interpréter les choses. Car la politique de M. Erdogan vient en fait "moderniser" la Turquie, et dans les faits l'adapter au XXI° siècle, quitte pour cela à remettre en question l'héritage kémaliste.

6/ Tout d'abord, le choix délibéré de l'intégration européenne conduit le pays à adopter les réformes de transparence. Ainsi, la mise aux normes européennes et donc la création d'un état de droit vient mettre bas le dispositif de contrôle politique et judiciaire mis en place par le kémalisme, et qui s'accommoda longtemps d'entorses au principe démocratiques : les procès Ergenekon ou le projet de loi proposé hier ont pour objet d'abattre le pouvoir exceptionnel et, il fat bien le dire, non démocratique des militaires et des juristes. C'est une politique dangereuse mais qui pour l'instant fonctionne.

7/ Cette même logique incite à développer à l'extérieur un néo-ottomanisme, qui touche les tabous kémalistes : Arméniens et Kurdes, mis aussi Syrie et prise de distance avec Israël. Ce néo-ottomanisme doit être considéré dans la perspective de relation avec l'Europe : pour intégrer celle-ci, il faut non seulement adopter le droit communautaire, il faut non seulement équilibrer la situation institutionnelle du pays, il faut aussi normaliser ses relations avec les voisins.

8/ La dernière pierre de touche réside dans le dossier de Chypre. Quand Ankara bougera sur Chypre, le kémalisme aura vécu !

9/ Ainsi s'exprime le paradoxe turc de ce XXI° siècle : un laïcisme passéiste, en train de vivre ses derniers feux ; un musulmanisme réformateur, en train de transformer radicalement la Turquie.

Le progrès n'est au fond pas là où on l'attend !

O. Kempf

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