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Les propositions d'Hervé Morin sur l'Otan

J'y avais fait allusion hier : l’article paru dans Le Monde, signé Hervé Morin, exprime donc les vues françaises en préparation du prochain sommet de l’Otan. Il s’agit donc de l’expression d’une position, émise à un moment donné et pour des objectifs précis.

Pour dire les choses simplement : pas simplement le concept, mais une radicale réforme de structure. Explications :

1/ Le choix de la date et du moyen (un article), tout d’abord : il s’agit clairement de rendre publique la position française qui a, par ailleurs, été probablement exprimée dans les cénacles officiels et donc discrets. Mais la publicité cherche à influencer le débat public des chercheurs et des spécialistes (comme égéa) et des observateurs (comme vous, cher lecteur). Et le moment intervient alors que la commission Albright a terminé ses séminaires et va procéder à la rédaction de son rapport, qu’elle devrait rendre au Secrétaire général de l’Otan à la fin du printemps. Rien ne dit bien sûr que le nouveau concept reprendra toutes les idées de Mme Albright, mais il en reprendra certaines : autant qu’elles soient en ligne avec les vues françaises, si c’est possible.

Quels sont les principaux points ?

2/ Tout d’abord, le plaidoyer pour une vraie réforme : la France, pleinement intégrée, ne cherche pas à geler l’Otan, au contraire. On note d’ailleurs l’appel au SG « pour une mise en œuvre rapide ». La France est donc dans le camp du mouvement, qui serait opposé, en creux, à un camp conservateur, « atlantiste classique » s’il fallait le qualifier. D’où la première affirmation d’une « nouvelle ambition pour l’Alliance » (mots apparemment convenus) qui reposerait sur un trépied « protéger, dissuader, intervenir » (là aussi très classique).

3/ La nouveauté se traduit par le discours sur le niveau d’ambition : il ne s’agit plus d’un niveau quantitatif (« deux grandes opérations de 60.000 hommes ») qui « est formulé de manière trop abstraite » ; mais de quelque chose de plus opératoire, comme par exemple « une opération de plus de 100.000 hommes », « une opération de stabilisation de quelques dizaines de milliers d’hommes sur une dizaine d’années » puis des tâches supplémentaires (« surveillance maritime, police du ciel, cyberdéfense »). Le commentateur observera que c’est incontestablement réaliste, puisque ça décrit ce que fait actuellement l’alliance. S’agit-il pour autant d’un niveau « d’ambition » ? Il reste que ce « réalisme » amène à l’étape suivante : définir « les capacités utiles pour l’Otan ».

4/ C’est alors que l’on met en jeu les Européens, pour apporter « une contribution réelle à la sécurité et la défense transatlantique » : en clair, pour partager le fardeau. Car « l’Europe de la défense doit renforcer les capacités de l’Otan et la rendre moins dépendante des capacités européennes ». Il faut analyser cet argument : au moment du débat sur le retour de la France dans l’Otan, un des critères consistait à dire qu’il y aurait simultanément une relance de l’Europe de la défense et le retour dans l’Otan. Celui-ci effectué, les choses paraissent changer légèrement, puisque désormais l’Europe de la défense « renforce » l’Otan afin de l’européaniser. On opposera à cette analyse le fait qu’il ne s’agit que de capacités : « c’est en effet dans un réservoir unique, celui des capacités nationales de Etats, que nous puisons pour les opérations européennes et pour celles de l’Otan » ; et après le rappel de la PFUE et son projet de relance de l’Europe de la défense, « cette priorité doit plus que jamais être poursuivie ». On comprend donc bien que les objectifs n’ont pas radicalement changé : la nouvelle expression prête pourtant à confusion.

5/ Le point suivant à trait à la notion de « cœur de métier », puisque « l’Otan doit se recentrer sur son cœur de métier militaire ». Ce propos est important, car il vient contrebattre les tentations de certains de transformer l’Otan en une organisation tout terrain, une sorte d’agence à la fois militaire et civile, capable de répondre aux crises modernes qui demandent des réponses mixtes. La vue française est ici constante, et cantonne logiquement l’Otan dans une organisation spécialisée (puisque l’UE a, au contraire, une compétence générale qui lui permet d’opérer non seulement dans le domaine militaire, mais aussi dans le domaine plus général de la sécurité). Que l’Otan collabore avec d’autres organismes, publics ou privés, certainement ; qu’elle y soit totalement active est considéré par la France comme une erreur.

6/ Ce cantonnement militaire est suivi d’une proposition à double tranchant. « La structure et l’organisation administrative de l’Otan demeurent marquées par l’héritage du passé » : on sent là une critique en vogue (oui, à la mode) contre les technostructures : cela fait maintenant des décennies que tous les modernisateurs dénoncent l’hypertrophie des structures, quel que soit le domaine. S’agissant de l’Otan, je n’en suis pas forcément persuadé. En effet, le nombre d’états-majors a déjà considérablement baissé depuis vingt ans (passé de plus de 65 à une petite vingtaine) ; ensuite, l’organisation fabrique de l’intégration par les procédures construites en temps de paix, et donc par le travail en commun d’officiers de toute nationalité qui échangent et se découvrent un vocabulaire et des pratiques communes. L’élan « modernisateur » risque donc de casser cet acquis. Qu’il soit possible de réduire un peu les tailles, notamment pour faire quelques économies de fonctionnement, cela est possible : mais il ne faut pas se faire d’illusion, les gains seront marginaux. Une réforme radicale ne gênera pas Paris, puisque la France n’accueille sur son sol aucun état-major et n’aura donc pas à pâtir de suppressions, ce qui explique d’ailleurs l’élan affiché, mais elle aurait aussi des effets néfastes d’affaiblissement de l’outil : il faut rester prudent avec la guillotine à structure. En revanche, la vraie piste réside dans la simplification des agences et des comités de toute sorte (la comitologie otanienne n’a rien à envier à la comitologie européenne) : il y réside de vraies pistes d’économies.

7/ Car M. Morin demande au SG des propositions (modernisation de la gouvernance financière, moins d’implantations, réduction d’effectifs, économie d’échelles, externalisation : une vraie RGPP otanienne) pour la ministérielle de juin : C’est d’ailleurs explicitement dit : « la France a su prendre des décisions courageuses et difficiles pour réformer en profondeur son propre outil de défense ». Ne nous y trompons pas, il s’agit d’obtenir dès juin non seulement l’ébauche du concept, mais aussi les orientations de la réforme de structure, qui devient le principal objectif du sommet de Lisbonne, en novembre prochain.

8/ Ce deuxième objectif constitue ainsi le vrai sens de cet article : la France se présente comme modernisatrice d’une alliance étriquée. Le concept stratégique, annoncé à Strasbourg, paraît devenir un objectif second, quand la réforme de l’alliance serait l’objectif premier.

9/ Comment les alliés réceptionneront ce propos ? Si la Grande Bretagne ou les Etats-Unis peuvent l’appuyer, les autres alliés seront probablement beaucoup plus rétifs. Tout d’abord parce qu’ils ont des états-majors sur leur territoire et qu’ils en tirent profit : une réduction heurte de solides intérêts nationaux. Mais aussi parce que certains pourront reprocher le manque d’ambition, certains pouvant aller jusqu’à estimer que la France veut « casser l’alliance de l’intérieur ». Tout dépend en fait de l’adhésion que cette position recueillera de la part de Londres et Washington : si les Anglo-saxons adoptent une politique réformatrice prononcée, la France sera celle qui l’aura dit suffisamment tôt ; mais qu’ils aient des doutes et préfèrent une certaine stabilité, et les critiques s’élèveront.

Les débats vont donc probablement s’animer, et il sera intéressant d’observer les positions des uns et des autres. Cela confirme en tout cas ce que je pressentais depuis quelques mois : le concept ne sera probablement pas la grande affaire du prochain sommet. Ou, plus exactement, il s’agit plus seulement du quoi, qui précéderait le comment : il faudra certainement concilier à la fois la définition de l’objectif (l’ambition) et les moyens qu’on y alloue (la réforme).

O. Kempf

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