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Thé populiste

1/ L'autre jour, un de mes étudiants américains désignait de "fasciste" les mouvements d'extrême-droite européens. Je lui répondait que le mot fasciste, très polémique, devait être conservé pour la désignation historique du XX° s et qu'il valait mieux parler, en ce XXI° siècle, de populisme : et je prenais l'exemple des "tea party", ce mouvement ultra-conservateur qui regarde Fox News aux États-Unis, pour faire la comparaison. J'ai senti beaucoup de surprise et de perplexité dans les yeux de mon Américain, qui n'avait jamais songé à cette assimilation.

2/ Cette perplexité m'a fait également réfléchir.

A la suite notamment de mon billet récent sur le populisme en Europe. Souvenez-vous ; je cantonnais ça à un certain noyau péri-carolingien. L'exemple des tea-party me fait penser à une autre hypothèse.

3/ En effet, tous ces mouvements refléteraient le trouble de populations "occidentales' marquées par un déclin, ressenti (la question n'est pas ici de discuter de la réalité du déclin, autre sujet), et qui s'élèveraient contre elle par cette expression radicale.

4/ En effet, je note un déclin américain, que je dessine à petites touches au long de ce blog. Je constate aussi (de façon très nette depuis ces trois derniers mois) un déclin européen. Bref, les deux pôles de ce qu'il est convenu d'appeler l'Occident perdent leur influence relative. Rien de bien nouveau. Mais on voit bien que ce déclin est consécutif à la mondialisation entamée au cours des années 1990. Et que cette ouverture internationale, si elle profite à certains, ne profite pas à l'ensemble des "Occidentaux' (là encore, avec les guillemets d'usage).

5/ On aurait ainsi une inversion du vocabulaire politique. Une droite autrefois "protectionniste" et conservatrice qui est désormais partisane d'une ouverture maximale (libéralisation); une gauche autrefois internationaliste qui doit désormais évoquer la protection pour exprimer sa solidarité. Or, cette inversion ne se retrouve pas encore dans les programmes des uns et des autres. Devant ce vocabulaire politique brouillé et donc opaque, beaucoup des classes "populaires" se réfugieraient dans des comportements "populistes".

Le populisme que je croyais circonscrit à certains lieux européens serait alors un phénomène "occidental" : un refus de l'évolution du monde tel qu'il se bâtit depuis vingt ans.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 5 avril 2010, 22:06 par VonMeisten

"Le populisme que je croyais circonscrit à certains lieux européens serait alors un phénomène "occidental" : un refus de l'évolution du monde tel qu'il se bâtit depuis vingt ans."

Je ne dirais pas refus, mais peut être prise de conscience de la réalité des événements en cours suite à la mondialisation (paupérisation relative, perte progressive d'influence). La mondialisation (heureuse) vendue par les dirigeants n'est pas là pour tout le monde ! La divergence d'intêrets entre les différentes strates (castes ?) des sociétés occidentales ne peut qu'amener un intérêt pour des solutions (ou plutot des pseudo-solution) extrèmes.

2. Le lundi 5 avril 2010, 22:06 par

Les questions qui se posent au sujet de ce « populisme » si difficile à définir me permettent de resservir une idée qui m’est chère : l’époque actuelle est très comparable à ce que fut le XVI° siècle européen. Rome n’était plus au centre du monde parce que la Terre était brusquement devenue ronde en 1492. Ce ne serait qu’au début du XVII° siècle, après plus d’un siècle de réflexion et de désordres, que l’on retrouverait un nouveau centre du monde : Calderon de la Barca 1635 (la vie est un songe), Descartes 1637 (tout est douteux excepté l’action de penser qui est le seul fait avéré). L’égocentriste respecte totalement le monde qui l’entoure parce que ce monde est créé par sa propre pensée, je le rappelle pour ceux qui voudraient « tuer Descartes » à cause d’une confusion entre égocentrisme et individualisme.

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Revenons à notre populisme. Il faut d’abord constater le détournement de vocabulaire. Pour ne pas choquer, l’on dira « un emprunt au vocabulaire littéraire » plutôt que détournement. Le populisme est d’abord un style littéraire puis cinématographique. Le genre littéraire « populiste » consiste à décrire assez durement la misère matérielle visible des petites gens. Les auteurs y ajoutent la misère morale et spirituelle qui est supposée engendrée par la misère matérielle. Certains romans de Zola sont populistes, de même que le film « des gens sans importance » d’Henry Verneuil (1955).

Naturellement, les auteurs comme les spectateurs sont totalement certains de ne pas être, eux-mêmes, des gens sans importance : au temps de Zola la lecture, comme en 1955 le cinéma, n’étaient pas à la portée de n’importe qui. Ce genre littéraire ou cinématographique est sous-tendu par une condescendance apitoyée envers les pauvres gens.

La même condescendance se retrouve dans l’utilisation politique du mot. Cette utilisation est péjorative : est qualifié de populiste par ses adversaires tout mouvement supposé exploiter la bêtise et l’inculture des électeurs. Il fait partie de ces mots qui remettent insidieusement en question la Démocratie.

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Les questionnements du XXI° siècle concernant le populisme politique (est-il de Droite, est-il de Gauche, est-il occidental, est-il populaire, est-il national, est-ce un néofascisme, est-il moralement tolérable, etc.) démontrent seulement, et c’est déjà beaucoup, que les références qui ont dominé le XX° siècle ne fonctionnent plus.

Nous sommes, comme au XVI° siècle, à la recherche d’une référence que nous pourrions considérer comme universelle. Une référence qui nous donnerait un ancrage pour tout expliquer, comme naguère au XX°siècle l’on expliquait tout par l’antagonisme Est-Ouest, tant la course à l’espace que les déstabilisations africaines ou le clivage Droite-Gauche. De temps en temps un événement venait un peu casser le raisonnement binaire (le différend russo-chinois, l’attaque vietnamienne sur le Cambodge, la guerre des Malouines), mais il suffisait d’oublier ces exceptions et c’était confortable. C’était un peu pesant : le jour du concours aucun candidat n’avait intérêt à sortir du schéma géopolitique binaire ; dans les années 80, faire observer que l’Afghanistan était un conflit Nord-Sud et qu’une défaite des Russes n’était pas à souhaiter, ça vous exposait aux pires soupçons. Un peu pesant mais stable.

A l’époque cependant, certaines questions nous ont pris au dépourvu parce qu’elles n’entraient pas dans le schéma binaire : l’immigration, la crise du pétrole. Il en est de même aujourd’hui avec ce « populisme » dont on ne sait pas très bien ce qu’il signifie ni même s’il existe parce qu’aucun de nos vieux systèmes de référence ne s’y adapte. Attendons-nous, au XXI° siècle, à beaucoup d’instabilité.

Le populisme présente deux analogies avec le fascisme de 1920, comme avec les religions nouvelles du XVI° siècle : il est inclassable parce qu’il ne se réfère pas aux schémas en vigueur, prenant ainsi à contre-pied les systèmes qui l’ont précédé. De ce fait, il a de la difficulté à se faire entendre par les canaux politico-médiatiques habitués à fonctionner dans des schémas établis. Pour exister dans un monde qui se passerait volontiers de lui, il doit user du scandale et de la provocation. C’est ainsi qu’il est qualifié « extrême », ce qui permet à la fois de le situer par référence au binaire et de montrer qu’il est excessif.

Cher Monsieur Kempf, je ne suis pas sûr que le prétendu « populisme » existe mais si c’est le cas l’on s’apercevra, avec un peu de recul, que ses ressorts consistent, comme le fascisme il y a un siècle et comme les religions réformées au XVI° siècle, à démontrer l’inadéquation des explications du monde, classifications, références, généralement admises antérieurement à son apparition.

Egéa : cher Yves Cadiou, bravo pour cette analyse pondérée et de haute vue. Oui, il y a difficulté à appréhender la grammaire qui est en train de se mettre en palce : c'est d'ailleurs la raison de mes hésitatiosn. Et oui, le vieux monde du XX° siècle à disparu. Votre reférnce au XVI° siècle me paraît tellement pertinente que c'est alors qu'on a inventé l'Etat nation, et le régime westphalien : or, ce régime touche, évidemment à sa fin. Et ce qui est visible (même si pas forcément "compréhensible" ) au niveau "inter" national, a logiquement des répercussions au niveau "infra" national. Il n'est pas anodin enfin que ce phénomène touche l'Occident, puisque c'est lui qui imposa ce régime westphalien, qui est d'abord une représentation géopolitique.
Allons plus loin : la surprise stratégique est proche, et l'ère irénique dans laquelle nous baignons devrait bientôt être déchirée, comme le voile du temple.....

3. Le lundi 5 avril 2010, 22:06 par Jean-Pierre Gambotti

Une vision très partielle du populisme.
Si j’en crois les dictionnaires du web, populisme et démagogie ont beaucoup de gènes communs…Dans chacune de ces démarches politiques déviantes il s’agit de circonvenir le peuple pour se l’attacher. Soit en le flattant pour sa lucidité politique et le suivre plutôt que le guider, soit en opposant par calcul le bon sens populaire aux ratiocinations des élites pour mieux le manipuler.
A mon sens cette chimère, cette popu-gogie ou déma-lisme comme on voudra, est le produit et le démultiplicateur du dérèglement de notre système démocratique à l’ère de la sur-médiatisation. Maitrisables quand la politique se fait autour de l’Agora, le populisme et la démagogie sont redoutables quand la parole politique est mise en abyme par des milliers de miroirs à la vitesse de la lumière. Quand le discours politique perd ses bons censeurs, ses vrais sophistes, ses Socrate, quand on accepte comme une vérité la parole du citoyen sur d’autres sujets que son expertise, quand l’approximation dix mille fois répétée devient une vérité, alors vient le temps du démagogue et du populiste. Ni de droite, ni de gauche, ce sont des philocrates pathologiques, des politiques selon Machiavel, mus par la seule volonté d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir…
Encore est-ce une vision édulcorée du démago-populisme, dans le nord de la Hongrie un article du Monde place le mouvement Jobbik à l’extrême droite, pas très loin de l’appréciation de votre étudiant américain.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

4. Le lundi 5 avril 2010, 22:06 par

Jean-Pierre Gambotti a raison de rapprocher les mots « populisme » et « démagogie » car ils ont effectivement beaucoup de points communs.
L’un comme l’autre est péjoratif : personne ne dit jamais « je suis populiste » ni « je suis démagogue » mais l’on dit « il est populiste ! » ou « il est démagogue ! ».

En accusant son adversaire de populisme ou de démagogie, on l’accuse implicitement d’exploiter la médiocrité du peuple supposé ne rien comprendre. L’accusation est toujours floue et tente de convaincre par l’invective plus que par la logique : par exemple, le prétendu « populiste » ou « démagogue » est accusé de « circonvenir le peuple par une démarche politique déviante mettant à profit l’ère de la surmédiatisation ». Encore faudrait-il définir et légitimer les axes de référence qui permettent de qualifier une démarche de « déviante », définir aussi ce qu’est « la médiatisation » et a fortiori « la surmédiatisation ».

Quand un journal français fondé en 1944 qualifie de « populiste » et de « profasciste » (qu'est-ce à dire ?) le mouvement hongrois Jobbik qui récolte plus de 17% des suffrages en se revendiquant lui-même clairement de l’extrême-droite, ça démontre seulement que ce journal est vieux et croit encore pouvoir imposer à ses lecteurs les évidences et préjugés qui étaient en vigueur dans l'environnement particulier de sa naissance.

Aujourd'hui comme hier l’accusation de « populisme » ou de « démagogie » consiste, insidieusement, à contester le principe démocratique : celui-ci affirme au contraire que le Peuple est souverain.

Qu’il soit compétent ou qu’il ne le soit pas, le Peuple-souverain détient la légitimité. Tel est le principe qui fonde la Démocratie.

Bien évidemment la légitimité démocratique au motif de l’incompétence populaire est fréquemment contestée par ceux qui s'imaginent qu'il existe une autre légitimité, celle qu'ils croient eux-mêmes détenir : technocrates, journalistes, moralistes, « bons censeurs », tous bons apôtres autoproclamés mais avec pignon sur rue. Les accusations de « démagogie » et de « populisme », faute de pouvoir contester trop ouvertement la légitimité démocratique, insinuent volontiers que celui que l’on qualifie (toujours sans l’accord de l’intéressé) de populiste ou de démagogue est coupable de tricherie en « circonvenant le peuple par une démarche politique déviante ».

Mais de quelle « tricherie » s’agit-il ? En fait l’on accuse le tricheur populiste de remettre en question, par des arguments nouveaux, les situations acquises qui se réfèrent à des valeurs que l’on voudrait immuables mais qui ne le sont pas.

Le « populisme » ne conteste cependant pas les règles qui faisaient consensus jusqu’alors : pas de « lutte finale », pas de bourrage d’urnes, pas de menaces physiques sur les électeurs. Le populiste est démocrate, son élection est régulière.

Le populisme est à la démocratie ce que l’arquebuse (encore ce XVI° siècle !) fut à la tactique. Face à une remise en cause des situations antérieures, ceux qui ne comprennent pas ou n’acceptent pas l’évolution naturelle du monde ont recours à la censure : le Pape, pressé de le faire par la Chevalerie, interdit l’arquebuse ; de nos jours la calomnie maudit ceux qui, tout en respectant formellement les règles en vigueur, accumulent les suffrages. Dans les deux cas l’on condamne l’argument nouveau (l’arme nouvelle), l’on refuse de réfléchir et de s’adapter.

En 1524 le Chevalier Bayard est mort d’une arquebusade.

5. Le lundi 5 avril 2010, 22:06 par br

Juste pour alimenter le débat...
Eric Zemmour dans son ouvrage Mélancolie française développe l'idée que le populisme, traduit actuellement par des "jacqueries électorales", prend sa racine dans la perte de repère ressentie par la société autour des notions de frontière, de protection et plus largement d'identité. Pas d'inversion du vocabulaire politique, mais un vocabulaire devenu illisible. Zemmour montre comment les idéologies de droite et de gauche ont conduit à l'abolition de la notion de frontière. La gauche et l'extrême gauche ont longtemps exalté les citoyens du monde en faisant l'éloge du nomadisme. Préparation de l'opinion qui a permis à la nouvelle droite capitaliste décomplexée de prôner l'abolition des frontières...
egea : je n'ai pas lu Zemmour.... mais je vois que les grands esprits se rencontrent, ou plutôt que les idées flottent dans l'air, et appartiennent à qui veut bien les saisir.

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