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Je ne paye pas assez d'impôts

Je reviens encore une fois (voir aussi ici) sur cette question d’impôt et de démocratie.

Au début du XIX° siècle, le lien était si évident qu’on créa le suffrage censitaire : celui qui payait un certain montant d’impôts acquérait, de ce fait, le droit de désigner les représentants qui décideraient de l’emploi des fonds publics. Il y a bien sûr un aspect « inégalitaire » dans ce procédé, et notamment qu’il ne prend pas en compte les « pauvres » : c’est donc un mécanisme de « riches ».

C’est d’ailleurs pour répondre à cette objection que Guizot répondit, à un député qui lui en faisait la remarque : « enrichissez-vous » : il ne s’agissait pas, comme on le croit souvent, d’un programme de politique économique, mais un programme de politique politicienne : en vous enrichissant, vous acquérez le droit de vote et pouvez contribuer à l’expression collective.

La nécessaire prise en compte de l’intérêt de tous les citoyens (conforme à l’égalité prononcée par la DDHC) amena logiquement à passer à un suffrage universel.

Il reste que ce suffrage censitaire rendait bien compte du lien intime qui existe entre la démocratie et l’impôt : c’est une dimension rarement aperçue dans le jugement qu’on porte sur ce mécanisme de « démocratie bourgeoise ». Aujourd'hui encore, qui paye des impôts est sûr d'être citoyen (qui plus est, on devrait être satisfait de payer des impôts : plus on en paye, plus ce la signifie qu'on est riche : je ne paye pas assez d'impôts !).

Il faut alors comprendre que tous les programmes d’abaissement de l’Etat et notamment de baisse des impôts affectent (je ne dis pas menacent) le fonctionnement régulier de la démocratie. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’à l’inverse, plus d’impôt signifie plus de démocratie….. Seulement qu’il ne faut pas oublier cette liaison forte et pas toujours apparente.

Payer des impôts est chose saine, et au fond impérative en démocratie.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par

Tout à fait d’accord avec vous : 48% des Français ne sont pas assujettis à l’impôt (l’IRPP) et peuvent donc ne pas se sentir concernés par la dépense publique, c’est-à-dire par l’action collective.

J’approuverais volontiers un programme politique qui proposerait de faire payer à tous les citoyens un petit impôt minimal, juste pour le principe, par exemple six ou neuf euros par an en trois tiers de deux ou trois euros. Bien entendu la collecte d’un tel impôt aurait l’inconvénient de coûter plus cher qu’elle ne rapporterait mais ce serait un moyen de réintégrer dans la communauté nationale des gens qui en sont exclus ou qui sont en limite d’exclusion.

2. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par Cadfannan

Il est vrai que le paiement de l'impôt a une forte valeur d'implication dans la vie politique: on fait attention à ce que nos représentants font de notre argent. A contrario, ne pas payer d'impôt peut encourager un comportement individualiste, poussant à profiter des biens publics sans y participer.
Ce phénomène se retrouve, à mon sens, dans celui de l'appropriation de l'Etat. La complexité, toujours croissante, des règles de l'impôt (défiscalisation, exemptions, etc...) fait "décrocher" la majorité des gens. Il faut faire un effort de recherche important pour comprendre les mécanismes de l'impôt, et notamment bénéficier des avantages fiscaux auxquels on peut avoir droit. Il en résulte 2 choses: d'une part, une inégalité devant l'impôt, entre ceux qui ont la connaissance ou l'accès à la connaissance (par des moyens financiers) et qui peuvent donc tirer parti des avantages fiscaux, niches fiscales etc... Et ceux qui paient leurs impôts sans les "optimiser", et donc finalement en paient trop. D'autre part, cette complexité, qui se retrouve à bien d'autres niveaux de l'Etat (lois, règlemention) fait de l'Etat un étranger, voire un adversaire.
Le citoyen se positionne donc contre l'Etat: soit parce qu'il ne le comprend pas, soit parce qu'il fait un effort pour lui donner le moins possible, ce qui le conduit à un état d'esprit de réticence à payer l'impôt.
En conclusion, il me semble que la complexité de la fiscalité, en plus d'être un obstacle à son efficience, participe à la destruction du lien entre le peuple et son Etat. Avec toutes les conséquences sociétales que cela implique...

3. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par Boris Friak

Certes, mais n'oublions pas qu'en France le solde des prélèvements publics pour les personnes physiques est un taux presque linéaire.

En effet, les impôts sur la consommation (TVA, TIPP, part de fiscalité dans tous les prix, etc.) pèsent plus pour celui qui a un taux d'épargne faible.

De plus la structure de consommation des personnes au profil socio-culturel le plus faible entraîne une sur taxation (jeux, carburants, tabac, alcool) alors que les biens culturels et les journaux bénéficient d'avantages fiscaux.

A ceci s'ajoute que le quotient familial n'a pas d'effet sur les impôts indirects et que la gratuité de la scolarité publique profite plus à ceux qui en bénéficient longtemps.

Le principe du consentement à l'impôt pourrait être réaffirmé en organisant, en parallèle de chaque élection présidentielle, un référendum sur le taux global de prélèvements étatiques et avec chaque élection locale (municipales et régionales) un référendum sur les prélèvements (et donc le niveau de prestation) respectifs. 25%, 33% ou 50% me semblent être les bon paliers.
égéa : oui  à la dernière proposition....

4. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par VonMeisten

Oui, mais là, on se limite à l'impot direct, palpable, celui qui fait mal :)
Or, ce dernier est marginale dans le budget de l'Etat. La majorité des impots sont travestis (TVA par exemple). Il serait certainement utile de rééquilibrer l'ensemble.
égéa : oui.... un des problèmes est la diversité, et donc l'opacité fiscale.

5. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par

On ne peut pas exactement qualifier, comme le fait VonMeisten, l’IRPP de « marginal » car ça représente quand même 26% du budget de l’Etat.
Mais bien entendu, la proportion est beaucoup moins forte au regard du total des prélèvements obligatoires.

L’on a déjà mentionné ici, lorsque nous parlions du budget des armées « deuxième budget de l’Etat » (ici et sur le forum de La Saint-Cyrienne) que le budget de l’Etat n’est qu’une part des prélèvements obligatoires et que l’addition des différents budgets publics n’est jamais faite. En l’absence de cette addition, l’on peut effectivement parler d’opacité.

L’on retrouve ici l’idée directrice de votre billet : la liaison forte entre impôt et démocratie.

6. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par

Vous rejoignez là Aristote qui dit que dans sa "Politique" (Livre III ?) que deux choses sont nécessaires à la vie d'un Etat : des soldats et des contribuables. :)

La France a peu usé du suffrage censitaire, que ce soit pour ses Républiques ou ses Empires (en 1848, on est déjà dans l'ère du suffrage universel), au contraire de l'Angleterre, où la transition vers la démocratie a été beaucoup plus lent.

égéa : Angleterre plus précoce aussi... Et me voici aristotélicien... !

7. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par Augustin Sersiron

Avis modeste d'un khâgneux:

* Il me semble que le suffrage censitaire était initialement pensé aussi comme moyen de s'assurer que les citoyens votant étaient libres, au sens où leur situation financière aisée (puisqu'ils payent le cens) garantit leur "indépendance d'esprit": une personne trop pauvre pour payer le cens est généralement employé, domestique ou autre, donc sous l'influence de son "employeur", de son maître, et est de ce fait incapable de voter librement. Ceci va dans le sens du lien entre impôt et démocratie (d'ailleurs on note que le droit de vote est conquis par les femmes françaises après la Seconde Guerre mondiale, et leur participation à la vie économique qui les a émancipées).

** De plus, la Corée du Nord (République populaire démocratique de Corée) se dit fière d'être le seul pays du monde où l'on ne paye pas d'impôt, et quelle exemple de démocratie, en effet !

Je crois savoir qu'en Roumanie, les contribuables peuvent décider de la destination de leurs contributions: si l'impôt est obligatoire, il permet à chacun de se sentir investi dans le processus démocratique.

*** Dernière remarque, mais peut-être la plus importante: nombre de contribuables (la quasi totalité, j'en ai bien peur) qui payent beaucoup d'impôts à cause de leur hauts revenus se plaignent que celui-ci est "confiscatoire" : "Non mais tu te rends compte ? Je travaille un jour sur deux pour l'Etat, il me prend 50% de ce que je gagne ! "
Présenté comme ça, en toute sincérité, le taux d'imposition pratiqué en France parait abusif. Quand le gouvernement se mêle alors d'espionnage et d'encouragement à la délation à propos de la liste des titulaires de comptes en Suisse, il est traité de "gestapiste" (j'ai entendu personnellement cette accusation, dans la bouche d'un bourgeois par ailleurs honnête, catholique, etc.).

Le problème est évidemment que le marché du travail, qui obéit à la logique de l'intérêt et de la rentabilité (sans soucis intrinsèque de justice sociale, à moins que l'Etat ne s'en mêle, ou que les dépenses sociales, écologistes, humanitaires, etc. ne deviennent elles-mêmes rentables) crée des inégalités croissantes de revenu (qui augmentent diachroniquement de façon structurelle puisque l'augmentation de salaire est relative et non absolue: plus on avance dans la vie plus, à niveau d'âge et d'ancienneté dans l'entreprise égal, l'écart entre les hauts salaires et les bas salaires augmentent). A cela s'ajoute les revenus du patrimoine, l'héritage (par essence inégalitaire et reproducteur des inégalités sociales), etc. Finalement, la redistribution par l'impôt, via un taux d'imposition croissant, ne vient qu'après coup, comme un petit bricolage étatique tentant vainement de limiter les inégalités, pour fournir autant de chances à tous les citoyens dans une (mythique?) méritocratie. Si l'on se souvenait de Ford à propos de l'écart de salaire entre le patron et le plus pauvre de ses employés, si dès la départ les inégalités de revenus étaient inférieures, le taux d'imposition des plus riches le serait aussi, et paraitrait moins confiscatoire !
Tout le problème réside dans le fait que le niveau de revenu est fixé non par la politique dans une optique de justice sociale, mais seulement par les lois du marché. Ainsi, il parait légitime aux plus aisés d'entre nous de gagner tant, et illégitime d'en donner 50% à l'Etat, alors que selon la justice sociale, les écarts de revenus sont tellement disproportionnés dès l'origine, que même l'action de l'Etat peine à les rendre moins scandaleux.
Il en va exactement de même pour l'héritage: un capital reçu à la mort des parents par ceux qui ont déjà bénéficié d'une jeunesse dorée n'entre en rien dans la modèle de la méritocratie, aussi l'Etat taxe-t-il l'héritage. Mais cette taxe a paru scandaleuse à tous les Français, puisqu'elle vient prendre après coup ce qui a été reçu "légitimement": ainsi, il n'y eut AUCUN débat publique lors de l'abaissement des taxes sur l'héritage, alors que cette mesure est économiquement défavorable à l'écrasante majorité de la population, laquelle n'en fut jamais vraiment informée !

Ceci dit, on pourrait craindre l'avènement du communisme, à vouloir que l'Etat s'ingère dans la fixation du niveau de revenu du travail et du capital, se substituant à la sacrosainte "liberté" du marché. De plus, l'imposition d'un salaire maximum entrainerait vraisemblablement une fuite des cerveaux à l'étranger (quoique nous avons la chance, dans ce monde globalisé, de ne pas parler anglais: la barrière linguistique et culturelle en retiennent plus d'un sur le long terme, et tout le monde n'est pas ce qu'Attali nomme un hyper-nomade, dans ce monde qui nous incite à la mobilité et au déracinnemment permanent, au zapping et à l'instabilité). De même, une augmentation du salaire minimum handicaperait lourdement la compétitivité prix de la production française nécessitant beaucoup de main d'œuvre, la taxation du capital ferait fuir l'Oréal en Suisse... La justice est à ce prix, qui nous parait trop cher.
Mais ce point reste à creuser, en particulier l'information à la population pour relégitimer l'impôt, ou changer carrément la structure de répartition des revenus, sans sombrer dans l'erreur égalitariste du communisme (la catastrophe économique et démocratique de l'égalité de tous les revenus) mais en trouvant un entre-deux mêlant méritocratie, solidarité égalitaire fondamentale (SMIC, RSA, etc) et inégalité injustifiées mais nécessaire à l'économie de marché, qui in fine profite à tous, à condition de garder le sens des proportions...

Ah, il est loin, le temps où feu mon grand-père refusait de se faire rembourser ses (lourdes) dépenses médicales en vertu du fait que, contrairement à d'autres, il avait de quoi les payer lui-même !

8. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par Frédéric

Seulement 2,7 millions d’habitants sont assujettis à l'impôt au Pakistan, soit 1,8% de la population totale mais seuls 60 % ont effectivement payé ceux ci pour l'année fiscale 2008-2009 :

http://www.ambafrance-pk.org/france...

Ceux qui fait que ce gouvernement soit sous perfusion mondétaire des diverses institutions internationales et de nations comme les USA.

9. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par yves cadiou

A la fin du mois de mars on est à la saison de la déclaration de revenus. C’est donc le moment de revenir sur la liaison forte entre impôt et démocratie pour faire observer que, et se demander pourquoi, les indemnités d’élu ne sont pas imposables.

Et dans un autre registre mais sur le même thème, il faut observer que c’est à titre de résident, et non pas au titre de la nationalité, que l’on paie des impôts : par conséquent le droit de vote devrait être accordé à toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui paye des impôts en France parce qu’être contribuable donne logiquement un droit de regard sur la dépense publique.
égéa : moui, mais les Français hors de France votent, me semble-t-il

10. Le mercredi 19 mai 2010, 19:33 par oodbae

Comme Francais hors de France, on vote à l'élection présidentielle et aux élections parlementaires (depuis peu je crois), pas aux élections cantonales ou autres. De plus, hors de France, on n'a pas droit aux allocations familiales, ni à la sécu sociale francaise, ni aux autres aides de l'état ou des conseils généraux (sauf dérogation que je ne connais pas) dont ne peuvent bénéficier que ceux-là qui, précisemment, sont établis en france et payent donc leurs impôts en France.

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