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Rapport Albright (IV et fin)

Voici la fin de mon analyse du rapport Albright , avec sa conclusion générale. Il y a vraiment des suggestions révolutionnaires, notamment sur le système de décision.

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A lire avant la réunion des ministre de la défense qui doit évoquer la réforme de structure....

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O. Kempf

9/ Le chapitre sur les forces et les capacités de l’alliance est assez long, de la p. 39 à la p. 40. Il rappelle que les initiatives précédentes « ont donné des résultats mitigés », « principalement par manque de ressources » (p. 39). Les « progrès ont été faits en réponse aux besoins des théâtres ». C’est dû à « l’insuffisance des dépenses et des investissements de dépense en Europe » et « un fossé particulièrement large s’est creusé ». (p. 40). Or, il faut « un dispositif militaire souple, déployable, soutenable et en réseau ». Pour remplir les quatre « missions » déjà évoquées, l’alliance devra posséder plusieurs types de capacités.

91/ Des capacités de défense conventionnelle, tout d’abord, car il faut « rassurer sur l’engagement au titre de l’article 5 », façon on ne peu plus limpide de reconnaître que la solidité de cet engagement suscite des inquiétudes. La « déployabilité » (qu’est-ce que je n’aime pas ce mot !) suppose des moyens de transport stratégique : « le consortium C 17 est un pas dans la bonne direction » la « création d’une agence Otan des déploiements une idée intéressante ». Une toute petite mention est faite à la NRF (souvenez-vous de Prague, en 2002, lorsqu’elle était présentée comme l’alfa et l’oméga de la modernisation), « traiter les C4ISR comme le ciment opérationnel de l’Otan » (p. 42), renforcer Forces spéciales, ACT et transformation, et « améliorer la connaissance de la situation maritime », seul moment où le rapport évoque le grand Nord. Dans ce dernier cas, on voit à quel point les puissances arctiques de l’alliance, et le Canada au premier plan, refusent à l’Otan une quelconque responsabilité, alors qu’ il y aurait pourtant là un projet mobilisateur de tous les alliés...

92/ Les réformes et mesures d’efficience. Ceci paraît anecdotique, et ce sera pourtant une des principales sources de différends du sommet. D’abord, une telle insistance détonne par rapport aux concepts précédents. Ensuite, on peut penser que la recommandation de « formations véritablement multinationales », de « mutualisation des moyens », d’ « augmentation du financement commun », de poursuite de « la spécialisation des pays », de la « création d’une agence OTAN UE des capacités de défense » ou d’une nouvelle revue de la structure de commandement de l’Otan » constituent des passages obligés. Je crois qu’il n’en est rien, et que là résidera l’un des principaux enjeux du sommet.

93/ Approche globale. Le thème est en vogue chez les alliés : citant la CPG (adoptée à Riga en 2006), les sages rappellent que l’Otan « n’a pas besoin de développer des capacités destinées à des fins civiles ». Mais « l’Otan ne trvaille pas aussi bien qu’elle pourrait – ou, à vrai dire, qu’elle le devrait – avec les organisations civiles » (p. 44).

Le rapport propose alors un certain nombre de novations intéressantes : une « petite unité de planification civile », « des mémorandums d’entente à jour avec des institutions clés comme l’ONU, l’UE et l’OSCE (...) et avec les grandes ONG », un processus de planification de défense qui » devrait recenser les capacités civiles – OTAN ou non OTAN », ... Cette dernière proposition est la plus audacieuse : prenant appui sur la rénovation de la planification de défense, décidée au dernier sommet, elle pousse le curseur un peu plus loin en y incorporant toutes les capacités d’intervention : le moyen d’incorporer les moyens nationaux et UE, dans une forme rénovée d’intégration, non des moyens militaires mais civils : ceux qui poussèrent des cris d’orfraie lors du retour, dénonçant une intégration qui n’avait plus cours depuis la fin de la guerre froide, auraient ici quelques raisons de poser des questions : pas forcément pour refuser, d’ailleurs, mais pour orienter le débat autour des points de rupture.

94/ Armes nucléaires et maîtrise des armements. On reste interdit devant la phrase suivante : « L’évolution des menaces pour l’Alliance a élargi la notion de dissuasion, ce qui a permis à l’Otan de réduire considérablement les types, la quantité et les rôles de ses forces nucléaires » (p. 45). Cette formulation est au pire fausse, au mieux très imprécise. Mais derrière cette justification peu solide, il faut voir l’essentiel : « l’Alliance devrait conserver une composante nucléaire », et donc décider du « maintien de certains systèmes sur le sol européen », au titre du « partage des risques. La demande allemande (soutenue par les Belges, les Néerlandais et les Norvégiens) est donc sèchement repoussée. Mais cela nécessitera de prévoir la modernisation des systèmes, tant des bombes que des porteurs : cela impose des investissement, alors que les finances sont basses. Surtout, cela entre en contradiction avec la volonté affirmée plus loin de développer un système anti-missile. Il reste qu’il faut bien garder quelque chose à échanger dans le dialogue avec les Russes : et ceux-ci sont sensibles à la chose nucléaire, même s’ils ne demandent pas particulièrement le retrait des armes sub-stratégiques.

95/ La défense contre les missiles balistiques. « L’Alliance devrait avoir un rôle plus affirmé face à la menace balistique émergente » (p. 46) : il est précisé qu’il s’agit de s’opposer aux « missiles balistiques du Golfe menaçant l’Europe » : là encore, l’argument est très faible. Il n’empêche : « L’Otan devrait inscrire la défense antimissile territoriale a nombre des missions essentielles de l’Alliance ». Territorial, et non de théâtre, qui était jusqu’à présent la ligne de l’Alliance, soutenant qu’elle avait besoin juste de défense antimissile localisée, éventuellement joignable à des systèmes multi-couches pouvant, à terme, parvenir à une DAM de territoire. Les sages ne s’embarrassent pas de ces subtilités et affichent d’abord le but, la défense multicouche n’étant que le moyen. On peut n’y voir qu’un changement de perspective : il y a surtout un changement d’ambition – qui ne règle rien, ni les aspects techniques, ni les aspects décisionnels, ni surtout les aspects financiers.

96/ Répondre aux dangers non-conventionnels. Il s’agit tout d’abord de la lutte contre le terrorisme. Il y a huit ans, l’Alliance s’interrogeait sur son rôle en la matière. Le rapport Albright est clair, et proclame l’évidence : « dans la zone du traité, le contre-terrorisme relève principalement des autorités e police et d’autres services intérieurs ». Autrement dit, ce n’est pas une mission de l’Otan : on croit lire, avec deux semaines d’avance, la rhétorique lucide de la nouvelle Strategic defense review : on ne fait pas la guerre contre une tactique. Et donc, le terrorisme n’est pas au cœur de s préoccupations de l’alliance, même si l’Otan joue un rôle crucial en Afghanistan « contre l’extrémisme violent » (p. 47).

Il s’agit ensuite de capacités de cyberdéfense. Quand on a suivi les débats préparatoires, tous les commentateurs, en mal d’inspiration et voulant démontrer leur sens de la modernité, voyaient là une nouvelle mission essentielle de l’Alliance. Le rapport est plus circonspect et mesuré : « à terme, l’Otan devrait envisager de se doter d’une panoplie de moyens de cyberdéfense parfaitement adaptés, comprenant des éléments passifs et actifs » (p. 48).

Autre sujet en vogue depuis trois ou quatre ans, la sécurité énergétique. Le rapport précise bien qu’il s’agit de la question des approvisionnements, évoque l’article 4 et rappelle que la politique énergétique relève des pays. Mais le discours est plat et mesuré, bien éloigné des enthousiasmes peu convaincants entendus ailleurs. Le rapport évoque enfin le changement climatique, et « l’aide de l’Otan pourrait cependant être sollicitée pour faire face à des défis de sécurités dus aux effets du changement climatique, comme la fonte de la calotte glaciaire dans la région polaire ou la multiplication des grandes tempêtes et d’autres catastrophes naturelles ». Aucune recommandation n’est faite.

La conclusion du rapport est courte.

10/ Ainsi, ce texte paraît assez équilibré, et en fait plus réaliste et subtil que ce qu’on pouvait craindre : il n’y a pas d’affirmation trop idéologique ni de posture mondiale, mais la recherche d’un discours équilibré. Il se concentre en fait sur la zone de sécurité pan-européenne, sans trop s’attarder à l’Afghanistan ou à la contre-insurrection, qui était le premier risque. De même, il ne propose pas tout un tas de nouvelles missions, aussi visibles que non praticables : le discours sur les menaces non-conventionnelles paraît assez modéré.

On remarque toutefois quelques imprécisions ou absences : il n’est presque pas fait mention du rôle des Etats-Unis, ce qui n’est pas très surprenant dans la mesure où l’on sent bien que le gouvernement Obama se sent moins concerné par le lien transatlantique. Le discours nucléaire est assez net (maintien des armes et développement du bouclier) à défaut d’être très convaincant. Les propos sur les partenariats paraissent également peu concrets.

Le plus novateur réside dans l’ouverture faite à la Russie, et dans les réformes organiques, qu’il s’agisse du mode de décision, de la réforme de l’organisation ou de la planification de défense aux moyens civils. Nul doute que ce sera dans ces dossiers techniques que résideront les innovations majeures : mais il n’est pas sûr que cela soit reflété dans le concept.

Commentaires

1. Le dimanche 6 juin 2010, 16:33 par

Merci d’avoir ingurgité ce pavé pour vos lecteurs.

J’ai particulièrement porté attention à ce que vous écrivez sur les processus de décision à l’OTAN parce que l’opacité des prises de décision en compromet la légitimité démocratique. Chez nous, « légitimité démocratique » est un pléonasme comme je le rappelais lorsqu’on a parlé du populisme, mais je crains qu’à l’OTAN la légitimité soit technocratique voire léonine.

J’espérais qu’à l’occasion de son retour dans l’OTAN, la France avait posé des conditions concernant cette légitimité. Elle aurait été fondée à le faire : lorsque l’OTAN bombardait la Yougoslavie, l’on n’a jamais très bien su qui décidait des objectifs qu’il fallait détruire, question pourtant importante lorsqu’il s’agissait d’infrastructures civiles. A cause de l’opacité de ces décisions, des méchantes langues ont pu dire que les objectifs étaient choisis selon le positionnement des entreprises américaines sur le marché de la reconstruction.

Je crains que rien n’ait changé. Pour en avoir le cœur net je vais me plonger dans ce rapport Albright parce que vous nous affirmez : « 83/ Tout à fait novatrice, en revanche, est la proposition concernant les procédures décisionnelles » (billet 3) ; « il y a vraiment des suggestions révolutionnaires, notamment sur le système de décision. » (billet 4). La fonction « recherche » du traitement de texte est une belle invention pour le lecteur paresseux.

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