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Ethiopie et Nil

Le développement du cours amont du Nil est probablement la grande affaire de cette région de l'Afrique, bien plus importante pour les acteurs régionaux que les bagarres en Somalie, les démêlés au sud-Soudan ou la bande de Gaza.

hydropolitique_du_nil.jpg carte tirée de cet exposé au FIG de Saint-Dié en 2003.

1/ En effet, l'Éthiopie est en train d'aménager le cours supérieur du Nil (voir article ici). Au grand dam de l'Égypte (surtout) et du Soudan, qui revendiquent des droits "historiques" sur le fleuve et dénoncent cet aménagement jugé presque hostile.

2/ On retrouve là l'asymétrie qui existe entre les pays amonts et les pays avals (exposée dans ce billet). D'autant plus vive que l'Éthiopie, à la suite de la sécession de l'Érythrée, est devenue un pays enclavé.

3/ En fait, l'Éthiopie parie sur l'énergie hydroélectrique. Ces grands projets se déroulent à marche forcée, car le pouvoir, issu d'une rébellion marxiste tigréenne, est un des moins corrompus d'Afrique (comme quoi, le marxisme a du bon, parfois) et les projets arrivent à leur terme, surtout que la Chine les finance. On s'attend donc à voir l'Éthiopie exportatrice d'électricité à moyen terme. Le château d'eau de l'Afrique aurait les moyens de son développement.

4/ Mais cela remet en question les accords traditionnels de gestion de l'eau du Nil, qui dataient des Britanniques : l'Égypte utilisait 3/4 des eaux, le Soudan un quart. Mais les autres pays ont entamé une négociation pour un nouveau partage : Éthiopie, Kénya, Ruanda, Ouganda et Tanzanie sont d'accord. La RDC et le Burundi hésitent. Or, les projets éthiopiens, les plus aboutis, ne menacent pas vraiment l'exploitation du NIil : il ne s'agit pas de consommer l'eau à des fins d'irrigation, mais de la stocker avant de la reverser.

5/ En fait, l'Égypte gaspille beaucoup plus d'eau dans le barrage Nasser que ce que pompent les pays amonts. Mais l'Égypte est un enfant du Nil et en dépend tellement que la question lui est absolument essentielle. On comprend que pour Le Caire, ce qui se passe au sud a énormément plus d'importance que ce qui se passe au nord-ouest, du côté de Gaza et au-delà.

6/ Toutefois, l'inquiétude ne réside pas dans l'aménagement du haut-Nil, mais dans les éventuels projets soudanais : on peut en effet pronostiquer la volonté soudanaise de développer des irrigations, ce qui poserait, cette fois, la question des ressources d'eau. Souvenons-nous que la question du Darfour fut aussi provoquée par des assèchements de culture provoquant des compétitions accrues de populations sur des ressources se raréfiant : Khartoum pourrait tout à fait estimer qu'elle "peut" exploiter l'eau pour résoudre les besoins de sa population. Au risque de troubles avec le voisin du nord. Surtout si le sud-Soudan fait sécession, et que le nord doit retrouver un projet national.....

Voici encore un exemple de géopolitique des ressources. Vraiment une affaire de ressources. Vraiment géopolitique.

Réf : fiche de lecture des "guerres de l'eau" qu'il faut lire, assurément.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 12 juin 2010, 22:04 par Thibault Lamidel

Bonjour Egea,

Je tiens à rapprocher la situation de l'Ethiopie de celle d'un autre pays. Ces deux cas présentent la même position d'user des ressources naturelles en position de force. Je souhaite bien sûr évoquer le cas de la Chine. Avec le Tibet, la Chine n'a pas gagné seulement quelques territoires. Elle a acquis la position géostratégique de posséder la source de nombreux fleuves indiens, indochinois et chinois.
Le point commun est que cet état de fait n'est pas inintéressant. D'autant plus que les fleuves dans ces deux régions sont essentiel au développement des collectivités humaines dans les Etats voisins. Ainsi, les construction de barrages posent le même type de problème.
Et de plus, la Chine n'a pas qu'un soutien financier à apporter mais peut être aussi quelques leçons de géopolitiques.

Dans le futur, je ne verrai pas forcément un "problème soudanais". Je considère que l'affrontement se situerait plus entre l'Egypte et l'Ethiopie.

Ce dernier Etat à de longues traditions étatiques, notamment impériales. C'est bien cet Etat qui avait réussi à repousser l'Italie fasciste. Si vous faites la synthèse de ces projets hydriques ou bien des projets économiques, vous pouvez avancez sans grand risque que l'Ethiopie a un projet géopolitique.

Et je ne suis pas le seul à le considérez. Il serait intéressant de savoir qui fait entrer des armes légère en Ethiopie depuis le Soudan, et pour équiper qui ? Et j'en veux aussi pour preuve les Etats qui ont eu intérêt à détacher l'Erythrée de l'Ethiopie. C'est le bon exemple du fait qu'il serait dérangeant pour la circulation commercial en mer Rouge qu'un Etat indépendant puisse prendre un semblant d'ascendant. Pire si cet Etat a un projet stratégique autonome et indépendant !

La situation changera peut être radicalement. La Somalie est un Etat failli. Et l'Ethiopie pourrait ainsi se dégager de nouveau une façade maritime. L'Egpypte, pion anglo-saxon depuis plus d'un siècle sera l'agent censé empêcher tout ascendant géopolitique de l'Ethiopie. D'où peut être la prédominance négociée et laissée à la discrétion de l'Egypte sur le Nil. Mais même un traité, aussi bon qu'il soit, ne peut rien contre les réalités géographiques.

Votre billet appuierai un peu ma thèse. L'Ethiopie a bien réussi à se rallier "une coalition de bonnes volontés" pour contester l'ancien traité qui régissait le partage des eaux. L'Ethiopie aurait déjà une ère géopolitique ? Les interventions en Somalie ne concernaient peut être pas le seul besoin de stabilité de cet Etat; Peut être un "au cas où" il y aurait de la façade maritime à récupéré.

Et en définitive, pour qui travaille le Soudan ? Simple arrière cour égyptienne ?

Concernant la gestion de l'eau, la Libye avait de grand projet. Abandonnés depuis ?

Cordialement,

Thibault Lamidel

égéa : j'attends avec impatience que Sonia Le Gourriellec, spécialiste de la région, vienne commenter tout ça.

2. Le samedi 12 juin 2010, 22:04 par

Bonjour,

J’avoue être plutôt d’accord avec ce commentaire même si j’y apporterais quelques nuances.

-Tout d’abord sur le rôle de l’Egypte dans la région. Il est évident que l’Egypte est confronté à un stress hydrique et considère comme une menace stratégique toute diminution de son quota tel que prévu par le traité de 1959. 85% du Nil provient du territoire éthiopien. Addis-Abeba souhaiterait imposer sa vision de l’aménagement du Nil en empêchant Le Caire de réaliser ses grands projets hydriques et en le forçant à s’asseoir à la table des négociations. Les tensions entre l’Egypte et l’Ethiopie ont failli dégénérer plusieurs fois. Mais plutôt que de se combattre directement, ces deux pays s’affrontent par ennemis interposés. La dernière lettre de l’Océan Indien (12 juin) explique d’ailleurs que l’Ethiopie a très mal vécu la médiation Qatari entre l’Erythrée et Djibouti (délimitation de la frontière à Doumeira) voyant dernière cette intervention la patte de l’Egypte.

-Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire que l’Erythrée a un « projet autonome et indépendant ». La politique d’Aferworki réagit aux circonstances. En 2001 il avait encore des échanges avec les Américains et souhaitait même accueillir la base américaine (finalement à Djibouti) mais le manque de soutien de la communauté internationale pour appliquer les décisions sur la délimitation de la frontière avec l’Ethiopie l’a poussé à se marginaliser et à soutenir tous les ennemis de l’Ethiopie. Finalement le mouvement se vit toujours comme un mouvement de libération nationale. La logique qui anime sa politique à l’égard de la Somalie depuis 1998 consiste à miner la position éthiopienne et à affaiblir ses ambitions hégémoniques dans la région. L’Erythrée héberge, arme et entraine les opposants islamistes de l’ARS-Asmara (mouvement issu de la scission de l’ARS après le processus de Djibouti l’autre parti du mouvement est dirigée par l’actuel président somalien).

-Enfin je ne pense pas que la politique Ethiopienne en Somalie soit menée pour « se dégager de nouveau une façade maritime. » De fortes minorités Somali vivent à l’Est du pays (Ogaden) et Addis Abeba craint une jonction de l’intégrisme somalien avec les guérillas somali et oromo au sud. Son but aujourd’hui est de contenir les milices islamistes en zone Hawiye (Sud Somalie). Après l’intervention directe contre les tribunaux islamiques en 2006 (avec le soutien américain) elle tente désormais de renforcer les effectifs somaliens à la frontière. Son accès à la mer elle le trouve plutôt au Somaliland (port de Berbera) d’où son soutien à la reconnaissance de ce quasi-Etat. A l’inverse les pays arabes (Ligue Arabe et Egypte en tête) s’opposant à cette reconnaissance.
Il y aurait tellement de choses à dire pour expliquer cette région complexe et stratégique où se mêlent les intérêts de nombreux Etats. Le débat est ouvert…

égéa : merci pour ce point de vue de spécialiste. et bravo : c'est le millième commentaire d'égéa !

3. Le samedi 12 juin 2010, 22:04 par Thibault Lamidel

Bonsoir,

Pardonnez-moi, je me suis mal exprimé. Je souhaitais dire que l'Ethiopie avait, par constances historiques, un projet autonome et indépendant (c'est que j'aurais voulu qu'on comprenne).

Et Egea tu avais raison de souhaiter qu'elle le commente, c'est enrichissant d'avoir son point de vue, plus nourri que le mien !

" Son accès à la mer [de l'Ethiopie] elle le trouve plutôt au Somaliland (port de Berbera) d’où son soutien à la reconnaissance de ce quasi-Etat. A l’inverse les pays arabes (Ligue Arabe et Egypte en tête) s’opposant à cette reconnaissance. "

J'adore ce passage, on tient là peut être le résumé d'une partie des relations de la région.

En relisant mon commentaire, je souhaiterai encore accentuer le rôle de la Chine. Du grand temps maritime de l'Empire du Milieu (XIe - XIV d'après mes souvenirs), la flotte chinoise allait au moins jusqu'à Aden.
Une Ethiopie historiquement lié à l'URSS aurait quelques dispositions à s'allier avec la Chine. Cette dernière a les moyens et les besoins d'assurer la sécurité par ce détroit, sans subir le chantage d'autres puissances. Et cette hypothétique implantation chinoise, dans un hypothétique Somaliland annexé, changerait les rapports géopolitiques de la région. D'où un changement de rapport de force face avec l'Egypte.

Pour ouvrir sur le problème du contrôle des territoires de la corne d'Afrique pour contrôler l'entrée de la mer Rouge, il faut s'attendre à un retour... De la Russie. Doucement mais sûrement, la flotte russe de la mer Noire se réinstalle en méditerranée (Syrie au moins). La Russie aurait une place de choix pour arbitrer en revenant sur l'île de Socotra (sud des côtes du Yemen, ancienne base navale soviétique).

Si vous comptez en plus la présence de la France via Djibouti et Abu Dhabi en soutien.

Vous obtenez une région avec anglais et américains en recul. Certes il garde le contrôle du Canal de Suez avec le partenariat stratégique avec l'Egypte. Mais il y aurait nécessité d'un contrôle au sud de la mer Rouge. D'oû le problème de l'Erythrée. D'où les implantations, peut être, des américains et de leurs alliés à Djibouti (espagnol, japonnais) aux côtés des chinois d'ailleurs. Et d'où l'intéressante envie d'aller intervenir au Yemen.

Pour raccrocher à la question stratégique des ressources, il faut dire que l'Ethiopie est château d'eau vis-à-vis des pays du Nil... Tout aussi vis-à-vis des pays riverains du sud. En revoyant mes cartes, on se rend compte que le Kenya par exemple (et la Somalie il me semble) est en situation de dépendance. Cela aide à trouver quelques accords.

Il me semble donc qu'il faille relié la question de la gestion des ressources, qui est la manière de réguler les rapports géopolitiques entre Etat africain et leurs alliés, et celles des questions navales qui affecte le besoin de contrôler les abords de la route commerciale qui passe par la mer Rouge.

Cordialement,

Thibault Lamidel

égéa : oui, Sonia écrit une thèse sur la corne de l'Afrique : et en plus, elle est ravie de voir qu'il y a des observateurs qui en débattent.

4. Le samedi 12 juin 2010, 22:04 par Thibault Lamidel

P.S. à mon commentaire :

" L'ouverture d'une fissure géante dans la croûte terrestre en Ethiopie pourrait marquer le début de la formation d'un océan, selon une équipe de scientifiques internationaux. "

http://www.lefigaro.fr/sciences-tec...

C'est le fameux futur Océan de "dans un million d'années".
Mais en attendant, peut être qu'une puissance viendra aider la nature ? Qui sait ? Peut être que le défi de construire un canal de nos jours est d'une plus grande ampleur que les réalisations passées ?
Quand les phénomènes géologiques rencontrent la géopolitique ?

égéa : en son temps, j'avais été fasciné par cet article? J'avais hésité à en faire un billet, et n'avais pas aperçu comment le tourner. Mais il y a qq chose de saisissant dans ces "bouleversements" géologiques, symboles des bouleversement géopolitiques.

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