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Uchronie 1940 : débat Immarigeon - Henninger (I)

Voici qq chose de plus amusant que ce que vous lisez d'habitude : en effet, égéa fournit souvent des monologues, avec quelques commentaires pour animer. Or, à la suite des billets présentant leurs œuvres respectives sur égéa (ici et ici), deux auteurs (J.-Philippe Immarigeon et Laurent Henninger) ont souhaité un débat, à propos de 1940 et de ses leçons.

En voici les règles : ils ont droit à quatre échanges en tout et pour tout. J Phi écrit quatre fois, Laurent écrit quatre fois. Voici la première salve, trois sont à suivre.

Merci à eux, et bonne lecture.

réf :

O. Kempf

Jean Philippe Immarigeon :

« C’est le premier exercice de ce genre et il est essentiel qu’il porte sur la défaite de 1940, ou plutôt sur la poursuite du combat après cette défaite qui finalement n’est pas remise en cause. C’est pourquoi c’est une uchronie très sage. Je me suis toujours demandé ce qui se serait passé si, lors de leur entretien téléphonique le 10 mai à l’aube, Gamelin avait répondu à Georges : « Attendons 48 heures pour voir comment ça se déroule, j’appelle Reynaud pour lui dire qu’on n’envoie que la cavalerie, le gros des troupes reste sur la position frontière » ? Jacques Sapir explique d’ailleurs très bien dans sa présentation pourquoi l’imagination a été bridée, et l’uchronie prudente et même précautionneuse. C’est peut-être dommage. J’ajouterais qu’elle est finaliste : prouver que la lutte pouvait continuer après une première bataille perdue. Bien sûr qu’elle le pouvait.

S’il s’agit alors de montrer que rien n’était déterminé, tordre le cou aux inepties néo-pétainistes d’un Max Gallo ou d’un Claude Quétel sur le châtiment justifié de la France pour ses erreurs passées, tout à fait d’accord (encore qu’il est lamentable qu’il faille, 70 ans après Riom puis les procès de la Libération, redire encore et toujours la trahison de la droite la plus bête du monde, et de ses contemporains épigones par ailleurs mauvais polygraphes). S’il s’agit de montrer que la machine de guerre française était incomplète mais élevée sur des principes de management stratégique inventés en 1916 et que nous copièrent ensuite les Américains, encore d’accord (sous réserve de l’efficience très relative de ce management, du Vietnam à l’Afghanistan). S’il s’agit de montrer que tout résida dans le caractère de chacun, oui bien sûr. Mais cela n’a rien à voir avec le nombre de chars encore disponibles fin juin 1940 : on reste debout ou on se couche, on est de Gaulle ou on est Pétain, et malheureusement la nature humaine étant ce qu’elle est, on est plus souvent Pétain que de Gaulle. »



Laurent Henninger :

Il est difficile de polémiquer face à un propos que l’on approuve à 99 % ! Essayons tout de même… Il est certes lamentable de devoir, « 70 ans après Riom puis les procès de la Libération », expliquer ces événements « encore et toujours », mais c’est ainsi. Dans le numéro de L’Histoire d’il y a deux mois, l’historien américain Robert Paxton a hélas parfaitement raison d’affirmer que, du point de vue de la mémoire de la défaite de mai-juin 1940, « c’est Vichy qui a gagné la guerre ». Il revient donc à notre génération la charge et le devoir de tenter de réparer cette infamie. Tu le regrettes, tu en es scandalisé ; moi aussi.

Avec la Révolution française, la boucherie de 14-18 et l’affaire algérienne, l’humiliation de mai-juin 40 (et l’abjection vichysto-collaborationniste qui en fut issue) constitue l’une des « plaies purulentes » de l’historiographie française qui ne pourront sans doute jamais être cautérisés, ne serait-ce que parce que cela nécessiterait des remises en cause touchant à l’essence même de pans entiers de l’ensemble national. Toutes choses égales par ailleurs, d’autres nations connaissent des problèmes similaires ; ainsi des États-Unis avec leur guerre de Sécession, qui peut être considérée comme une sorte de concentré des quatre exemples français ci-dessus énoncés.

Il est bien vrai qu’au final, les ambitions de cette uchronie sont, d’une certaine façon, très limitées. Et je pense que cela constitue précisément l’une de ses forces. Il s’agissait en effet de montrer (et non pas de démontrer, car c’est impossible à ce niveau), à travers une illustration qui soit également plaisante à lire, que la continuation de la lutte était techniquement et stratégiquement possible. Mais il n’en reste pas moins – et tu as parfaitement raison de le souligner – que, in fine, le cœur du problème fut bel et bien politique (et ce terme inclut, bien entendu, une dimension psychologique et humaine), avec la trahison et la lâcheté d’hommes (et de « groupes ») qui s’avérèrent ravis de l’opportunité historique qui se présentait soudainement (la « divine surprise » du répugnant Charles Maurras, ou le « Je n’ai peut-être pas eu les Boches, mais au moins j’ai eu le régime », du non moins répugnant Weygand, lequel, pour cette seule déclaration, eût mérité le châtiment que Maurras voulait réserver à Blum : être fusillé dans le dos). Une fois réduit à néant le discours pseudo-rationnel visant à prouver qu’il n’y avait rien à faire et que la continuation de la lutte était impossible, nous nous retrouvons devant le vrai débat, la vraie question, le vrai problème de fond : pourquoi et comment certains individus et certains groupes sont-ils parvenus à faire prévaloir leur vision ? Cela, l’uchronie de Sapir/Stora/Mahé et leur équipe ne pouvait y répondre que très partiellement ; ils se sont contentés de nous fournir des outils et des arguments pour mieux penser aux vraies questions. Cette tâche-là ne leur reviens pas, en tout cas pas à eux seuls.

Pour ta remarque sur les Américains, force est de constater que, depuis la guerre de Sécession, ce sont eux qui ont certainement le mieux mené la guerre industrielle et mécanisée à l’échelon stratégique et « grand stratégique », qu’on le déplore ou non. Leur problème depuis les années 60 est qu’ils sont de plus en plus souvent confrontés à des guerres non industrielles et non mécanisées (du moins pour ce qui concerne leurs adversaires) ; du coup, une bonne partie de leur puissance est inopérante et ils ne peuvent plus remporter de victoires claires et nettes, seulement des victoires partielles, fragiles et « bâtardes » (à l’exception majeure de la guerre froide – guerre industrielle et mécanisée virtuelle dans ses aspects militaires –, qu’ils ont remportée haut la main, et ça n’est pas rien !). Mais ça ne les empêche pas de faire toujours beaucoup de dégâts, de tuer beaucoup de monde et même de continuer à dominer la planète… pour l’instant et pour le futur prévisible proche.

(à suivre)

Commentaires

1. Le jeudi 11 novembre 2010, 00:27 par Feld Marjolaine

Je trouve ce débat et ses arguments intéressant.
Je ne m'étais jamais posé la question de savoir si les français auraient pu continuer la guerre en 1940.

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