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Terre, mort et crémation

Vous connaissez comme moi l'œuvre éponyme de Barrès, "la terre et les morts". Il identifiait le "moi national" à l'héritage des anciens, symbolisés par les cimetières qui assemblaient à la fois la terre et les morts, dans ce double enracinement à la fois géographique et historique et toujours très proche et intime.

N'y a-t-il pas, dans la vogue contemporaine de la crémation qui remplace en partie l'enterrement d'autrefois, une sorte de "déracinement" fort symbolique exprimant un malaise plus général ?

Et cette évolution est-elle européenne ou particulièrement française ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 2 juillet 2010, 22:20 par VonMeisten

Je dirais européenne : la négation de la mort me semble proche de la négation de la guerre. La guerre est lointaine (dans le temps et l'espace), tout comme la mort. Elle est de plus en plus sous-traité, ou confiée à des spécialistes formés pour cela (personels médicaux / militaires). On a évacué la mort et la guerre, tout simplement.

2. Le vendredi 2 juillet 2010, 22:20 par Thibault Lamidel

Il y a-t-il une évolution si néfaste ? Pour en avoir un peu parlé à nos compatriotes du troisième âge, beaucoup refusent l'idée d'une tombe. Ils ne veulent pas ennuyer leur enfant à entretenir une tombe après leur départ. D'ailleurs, peu de mes anciens, voir aucun, ne m'a vraiment emmené au cimetière.

Nous avons évolué sur un autre point : la mobilité géographique. Il n'est plus si rare de quitter la ville où résident les tombes de notre famille. Peut être que la crémation en est une conséquence.
Il serait intéressant de savoir comment les rites mortuaires évoluent aux Etats-Unis.

De plus, certains évoquent l'hypothèse que cette perte d'intérêt pour le cimetière était inscrit dans son code génétique. Un cimetière français, c'est une usine à cercueils. Un cimetière américain, c'est plus libérale comparé à nos usines : aux Etats-Unis c'est tout vert, tout acceuillant.
" Il identifiait le "moi national" à l'héritage des anciens, symbolisés par les cimetières qui assemblaient à la fois la terre et les morts, dans ce double enracinement à la fois géographique et historique et toujours très proche et intime ". Ce double enracinement intime et proche évoqué est loin d'être aussi poétique dans les cimetières.

De plus, la crémation est-elle un moyen de remplacer l'enterrement ? J'ai souvent entendu dire qu'il n'était pas simple de savoir quoi faire des cendres.

égéa : oui pour votre remarque sur la mobilité, qui est incontestablement un facteur explicatif : mais il explique aussi un phénomène de "déracinement" qui vient troubler les mieux disposés.

3. Le vendredi 2 juillet 2010, 22:20 par Christophe Richard

Bonjour,

La relation aux morts est souvent perçu comme aux fondements de la civilisation. Il est normal qu'elle constitue un thème interressant la géopolitique. Sans trop développer je mentionnerai juste deux faits.
- Le saccage des tombeaux des rois de France lors de la révolution, qui témoigne sans doutes d'une volonté de rupture en détruisant ce qui reliait à l'ordre ancien.
- Les profanations de tombes qui ont eu lieu dans les Balkans, en accompagnement de la purification ethnique. Il s'agissait sans doutes de déraciner l'autre afin de s'approprier définitivement le territoire.

Plus récemment les actes de vandalisme commis en France sur des tombes et visant spécifiquement des communautés créent indéniablement le malaise au-delà de la résonnance médiatique donnée à ces évènements.

En s'attaquant aux morts, on s'attaque aux ressorts les plus intimes des identités. Nous appartenons aux morts au moins autant qu'ils nous appartiennent.

L'engouement pour la crémation pourrait alors être perçue comme un symptôme concret des évolutions sociétales vers le post-modernisme, où l'homme cherche à se détacher des responsabilités du passé, et n'envisage guère l'avenir au-delà de sa propre existence... Voilà, mais il s'agit plus d'un sentiment que d'une analyse rigoureuse.

4. Le vendredi 2 juillet 2010, 22:20 par

Une réflexion en passant : la crémation offre la liberté du choix du lieu (de la date, du rituel...) de dispersion (ou de conservation) des cendres, contrairement à l'inhumation.

égéa : oui, cette liberté est fort "individuelle", détachée donc de toue contrainte "sociale" à la différence de l'inhumation qui paraît beaucoup plus "insérée".

5. Le vendredi 2 juillet 2010, 22:20 par archibald

L’évolution de la spiritualité, de la relation aux morts et de la relation à sa propre mort, est certainement une cause du développement de la crémation. Sans contredire les hypothèses ci-dessus, mais en les complétant, je vous expose deux explications personnelles. Les deux sont de l’ordre des sentiments, mais la première est respectueuse alors que la seconde est cynique. Je vous les propose sous anonymat pour que personne ne se sente visé voire accusé dans mon entourage.

Nous sommes à une époque où la plupart des gens meurent à la ville mais sont nés quand la population était majoritairement rurale. La crémation est un moyen de ramener le défunt à son village natal. Ainsi sa « dernière demeure » est dans le cimetière et le caveau où sont enterrés ses ascendants plutôt que parmi des inconnus. Or le transport d’un corps coûte excessivement cher alors que le transport d’une urne ne coûte rien.

Cette même génération (et là je deviens moins sympathique) est aussi celle qui ne divorçait pas. Ainsi il y a beaucoup de vieux couples qui se détestent sincèrement. Pour le conjoint survivant, la crémation est le moyen d’achever la destruction de celui qui a eu la malchance de mourir le premier. Bien entendu, le conjoint survivant n’avoue pas ce mauvais sentiment et se couvre par ma première hypothèse.

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