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L’identité nationale, une énigme par M. Détienne

Ce court livre est paru à la fin du printemps 2010, à l’issue du débat sur l’identité nationale qui faisait rage depuis six mois. D’une certaine façon, il met un terme au débat. Car il s’agit de remettre en cause cette notion d’ « identité nationale », à travers les âges et les civilisations. Cet essai comparatif de l’anthropologue en a les vertus : la distance, mais aussi les défauts : la distance ; autrement dit, une volonté d’être tellement éloigné des contingences qu’on en oublie l’incarnation.

Le style est assez précieux sans être abscons. On sent l’auteur content de soi et ravi de sa capacité intellectuelle. C’est malheureusement un défaut commun à ceux qui se piquent d’écrire, et je ne dois pas échapper à ce reproche, parfois…. (souvent ?).

Le premier chapitre, « Entrevoir » expose le projet : « en termes simples mettre en perspective des fictions du passé ou du présent » : on en déduit que l’identité est forcément une fiction : pourquoi pas, après tout ? Mais l’assertion sent la formule et l’esprit de système. Le deuxième chapitre, « Les métamorphoses de l’autochtonie au temps de l‘identité nationale », est, entre nous, casse-pied.

Le troisième, en revanche (« La dette envers les morts ») est excellent. On y évoque la mystique, Barrès, le « raciné » (invention barrésienne), puisque « pour fonder une nation, il faut un cimetière et un enseignement d’histoire », formule barrésienne là encore (p. 56). Car « en créant le cimetière comme institution religieuse, le catholicisme romain diffuse dans une grande partie de l’Europe, entre le XII° et le XIX° siècle, la représentation de l’Eglise comme une société spirituelle formée des vivants et des morts » (p. 58).

Les chapitres suivants ne sont pas inintéressants : IV (« Fictions de l’historicité »), V (« L’histoire nationale : une singularité ») où l’on évoque l’invention valaque, et la différence entre le modèle allemand (le sang germanique et l’héritage des ancêtres) et le système lavissien qui a une vertu, puisque « c’est un peuple de formation politique » (p. 103) même si on lance, en fin, une pointe contre « la mystique républicaine portée par les liturgies de la commémoration » (p. 129). Le sixième chapitre s’intitule « du mystère au ministère, la honte républicaine » et se poursuit par un chapitre conclusif :« en résumé, un nationalisme ordinaire ».

On l’aura compris, M. Détienne est un esprit fort. Son regard universel et comparatif lui permet de relativiser, signe indéniable d’intelligence. L’homme ne voit pas que des désavantages au système français, à tout prendre pas si idiot : quel dommage que tant de citoyens n’aient pas un esprit aussi éclairé et distancié que le sien ! Car là est au fond le principal défaut de ce livre, plein d’énormément de citations et d’aperçus intéressants : il témoigne d’un élitisme tout à fait désagréable pour quelqu’un qui est, je n’en doute pas un seul instant, absolument persuadé d’être démocratique.

L’identité nationale, une énigme

Par Marcel Détienne, Folio histoire, 2010

Réf : on lira une critique beaucoup plus positive dans Le Monde du 28 mai 2010.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 16 juillet 2010, 19:02 par

J'ai du mal à voir comment le catholicisme (romain ou pas) peut avoir inventé le cimetière comme institution religieuse. L'auteur l'explique-t-il plus avant dans son livre ?

Maintenir les morts dans le quotidien des vivants, ça se faisait bien avant le christianisme (et j'ai de nombreux exemples).

égéa : en fait, l'auteur explique que le cimetière est une "territorialisation" au cœur de la cité. Mais je crois avoir laissé paraître mes réserves. Il reste que le bouquin présente un certain intérêt, pour par exemple se dégager d'une lecture trop charnelle de l'identité.

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