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L"Etat fait la guerre et la guerre fait l'Etat (Ch. Tilly)

Cette citation serait du sociologue américain Charles Tilly, que je viens de découvrir. Il dit tout simplement ce dont j'ai l'intuition mais que je n'avais encore jamais formalisé. Il y a un lien indéfectible entre la formation de l'Etat et le fait guerrier.

Attention : je ne connais pas le reste de l'œuvre de ce sociologue que je viens de découvrir. Mais je suis persuadé qu'il y a une liaison forte entre l'État et la guerre. Tilly aurait en fait traduit en sociologie politique la découverte de C. Schmit en philosophie politique (la politique c'est l'ennemi)

Réf:

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Thibault Lamidel

C'est vrai que le fait guerrier influence la structure de l'Etat. Je pense que le partage des tâches entre "super-ministre de l'Armement" dévolue au Premier Ministre et "Chef des Armées" dévolues au Président est l'aboutissement des expériences des Guerres françaises au XXe siècle. Le ministre de la Défense étant le grand artisan du temps de paix.
Il me semble aussi intéressant de voir comme on est passé d'un Roi guerrier, combattant sur les champs de batailles, à un Roi dirigeant depuis sa place politique. Ce basculement s'est fait sous Louis XIV.

2. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Thibault Lamidel

http://www.lemonde.fr/international...

Cet article illustre peut être le fait que le risque guerrier, la nécessité de Guerre est là pour influer la construction de l'Etat. On n'ouvre pas les archives si elles portent discrédit aux armes de l'Etat.

3. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Pierre AGERON

Bonjour,
Cette remarque se situe à mon avis dans le prolongement de la phrase célèbre de Weber : "L'Etat a le monopole de la violence légitime" qui est à la fois monopole interne, à l'intérieur des frontières, et historiquement aussi dirigée vers l'extérieur. Le développement des guerres irrégulières au XX ème a fait exploser cette deuxième acceptation qui me semble historiquement vérifiée.
Cf Histoire de la diplomatie francaise , Perrin et le Chapitre de F. Autrans sur le diptyque guerre et diplomatie au moyen age ou encore la thèse de P. Contamine "1972. Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France, 1337-1494".
A l époque moderne également, la guerre et les annexions renforce le pouvoir du Roi me semble t-il. Elle légitime le régime politique donc l'Etat qu'il construit.


égéa : oui, mais je pense que Tilly va plus loin que Weber (auquel je me réfère souvent). Weber part du principe que l'Etat est. Logique post westphalienne ou post hobbesienne. J'ai le sentiment que Tilly explique que la guerre est à la source de l'Etat. Ou plus exactement : la guerre se complexifiant impose une complexification de l'organisation qui la soutient. Cette complexification aboutit à l'Etat : cités grecques, empire romain, système chinois contre les invasions mongoles (la muraille de CHine) puis l'émergence de la féodalité : alors Contamine prend son sens et vous avez raison de le citer.

4. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Christophe Richard

Bonjour, cette idée de la guerre à l'origine de l'état me semble pertinente.
Prenons l'exemple des cités de la Grèce antique, les légistes tels que Lycurges ou Dracon posent les bases du fonctionnement de l'état en organisant la violence. Violence externe avec l'organisation militaire, mais aussi violence interne en sublimant la guerre privée autour de la vengeance par la justice rendue au nom de la communauté politique.

Cela se vérifie aussi en Chine au travers de l'organisation sociale des royaumes combattants qui conduisent à l'unité de la Chine.

C'est en outre ce que prédisent pour la post-modernité les théoricens de la guerre de 4e génération, qui tels William Lind annoncent l'avènement d'un nouveau moyen-âge, où des hommes se battrons au nom de groupes non-étatiques auxquels iront leurs allégeances premières...
La pensée de Schmitt appliquée à un nouveau Nomos...celui d'une Mondialisation qui pousse à la dérégulation.

Bien cordialement

5. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par

"La France fut faite à coups d'épée" : ainsi débute le livre de Charles de Gaulle "La France et son armée"

égéa : certes mais : l'Etat est-il la France ?

6. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Laurent

1. Thibaud Lamidel a raison de rappeler qu'un tournant majeur s'est produit au 17e siècle. Il convient pour cela de lire les travaux de John Lynn et d'Hervé Drévillon (en vente dans les bonnes librairies, comme on dit, ou tout simplement sur Amazon), mais également d'André Corvisier. Cela tient aussi au fait que la guerre se complexifiait (combinaison des armes, notamment) et surtout que les champs de bataille se dilataient de plus en plus dans l'espace. Cela dit, la tradition tactique de la monarchie française a toujours été de confier la direction tactique de la bataille à un spécialiste compétent, et ce même lorsque le roi combattait physiquement sur le champ de bataille (pour donner l'exemple et entraîner les troupes). Ainsi de l'hospitalier Frère Guérin à Bouvines, ou du connétable de Bourbon et de l'ingénieur Pedro Navarro à Marignan, ou même du maréchal de Saxe à Fontenoy (dernière bataille de notre histoire où un roi de France - en l'occurrence, Louis XV - ait été physiquement présent - mais sans pour autant combattre).

2. Il y a de cela une vingtaine d'années, lorsque l'excellente "Histoire militaire de la France" était publiée aux PUF, le "Monde des Livres" en avait fait un compte-rendu dans ses colonnes, CR qui était titré : "L'armée, cette accoucheuse d'Etat". J'ai adoré l'expression, et je la reprends désormais de façon systématique. Cela dit, il s'agit là de l'armée, et pas de la guerre, ce qui signifie que le temps de paix est également inclus dans le processus.

3. Je ne voudrais pas faire le cuistre, mais il me semble que la citation de Carl Schmitt n'est pas "la politique, c'est l'ennemi", mais, de mémoire, "la politique, c'est l'art de définir puis de désigner l'ennemi", ce qui n'est pas DU TOUT pareil...

égéa : pour Schmit, là aussi je l'ai dit de mémoire. Je dois d'ailluers pondre qq chose dessus un de ces jours......

7. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Thibault Lamidel

A travers l'aventure coloniale, où la France s'est définit pour exporter, implanter son "modèle", nous avons appris une chose : la France est une grosse machine étatique. La Nation, c'est l'Etat qui la construit.

Que reste-t-il alors entre l'Etat et la Nation d'une part, et la France d'autre part ?

8. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par TM

Sur ce sujet, le - volumineux - ouvrage "les cycles de mars" de Fortman décortique très exhaustivement la thèse de Tilly. Son analyse s'étend de la Renaissance à nos jours et apporte un certains nombres de nuances. L'analyse comparée du phénomène en France et en Angleterre à l'époque moderne est très enrichissante. Sûrement incontournable pour quiconque s'intéresse à la relation guerre/Etat.

égéa : voici la référence

9. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Laurent

Désaccord avec Thibaud Lamidel : le processus est dialectique ; il "joue dans les deux sens"... Si l'Etat a (eu) un rôle majeur et même central dans la formation de la nation, il n'est pas le seul acteur. Il existe en effet à l'opposé (c'est-à-dire cette fois dans un mouvement bottom-up, et non plus top-down) de multiples phénomènes et processus de construction de segments d'identité nationale et même de nation qui émanent directement des populations elles-mêmes (et que, le cas échéant, l'Etat aura ou non l'intelligence/possibilité/clairvoyance d'intégrer dans son "agenda", comme disent les Anglo-Saxons).

C'est d'ailleurs aussi sur ce point que le livre de Fortmann cité par TM pèche sérieusement, car il n'envisage précisément que l'aspect top-down de la révolution militaire de la Renaissance, et il s'avère du coup incapable de voir et de comprendre les processus bottom-up qui se produisent dans le même temps, comme la renaissance de l'infanterie dans les deux derniers siècles du Moyen Age, renaissance qui est le produit des luttes sociales et politiques menées par les couches populaires (urbaines ou rurales, selon les cas) d'Europe occidentale et centrale contre les pouvoirs féodaux et nobiliaires.

Attention donc à ce travers des milieux conservateurs français depuis maintenant des siècles : croire que tout se fait et se décide "en haut" et "par en haut", en ignorant tout simplement avec superbe et candeur l'action des acteurs populaires. Et je précise qu'il ne faut voir ni populisme ni démagogie dans mon propos.

10. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Christophe Richard

Bonjour, je n'ai pas encore pris le temps de m'attaquer au livre de Fortmann, mais d'emblée je serai attentif aux réservés formulées par Laurent...
Il me semble que cette approche bottom-up constitue la logique des travaux de Lind, dans sa description des phénomènes qu'il rattache à la G4G, mais là l'excès est peut-être inverse en niant les capacités des états à réguler les évolutions.
Cordialement

11. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par TM

Dans son livre, Fortmann explique le déclin de la chevalerie principalement par le fait que la noblesse se détourne peu à peu du métier des armes, dangereux et surtout trop peu rémunérateur.

Quant au sujet en lui même, il est vrai que l'auteur tourne principalement autour du concept de révolution dans les affaires militaires et sur ses aspects techniques. Ainsi l'arrivée de la poudre à canon modifie complètement le visage de la guerre à l'époque de la Renaissance. Avec elle arrive de nouveaux équipements ce qui implique une logistique de plus en plus lourde. L'Etat doit donc s'adapter à ces nouvelles données et changer ses structures. Les guerre devenant plus longues et plus couteuses, il doit étendre ses capacités (notamment en terme de collecte d'impôt - l'ouvrage contient d'ailleurs des parties entières consacrées à l'évolution de la fiscalité) et se fait donc de plus en plus présent dans la société.

Même si tout cela reste "top down", je pense que ça ne doit pas être négligé. En fait, en choisissant la problématique de la RAM, il est compréhensible que Fortmann ce concentre plus sur cette approche et moins sur les aspects sociaux.

égéa : En fait, ce que vous dites rejoint un autre aspect : plutôt que la révolution dans les affaires militaires (parlons simplement de complexification des techniques guerrières - mais c'est un autre débat), il faut noter un autre déterminant de l'Etat, qui est celui de la maîtrise des structures économiques qui, elles aussi, se complexifient. Le modèle d'économie (chasseur cueilleur, éleveur, nomade, cultivateur, industriel, réticulaire, ..) évolue, tout comme l'espace où cette économie s'installe (notion d'économie monde chère à Braudel). Autrement dit encore, il n'y a pas une seule explication à l'émergence de l'Etat - ou plutôt, s'il y a fait guerrier, il n'est pas seulement dû aux techniques de guerre, mais aussi aux conditions rendant cette guerre possible.

12. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Laurent

À "TM" : Mais je n'ai jamais dit que cela devait être négligé !! Je suis parfaitement au courant de tous les aspects "top down" de la RM de la Renaissance, merci. En revanche, je pense que les aspects "bottom up" sont au moins aussi importants - ce que Fortmann néglige - et qu'ils ne sont pas de simples "aspects sociaux", comme vous le dites de façon un peu légère.

13. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par Christophe Richard

Bonjour, pour rebondir sur la discussion autour du processus de transformation, je signalerai un passage de la préface du général Poirier à l'ouvrage " Stratégie" (Tempus) de Liddell Hart
Il exposait une triade systémique faite d'une organisation, d'énergie, et d'information.
Toute évolution d'une des composantes entraîne celle des deux autres.

Bien cordialement

14. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par

Olivier, John Keegan dans son Histoire de la guerre développe un peu sur le "modèle d'économie" que tu évoques en lien avec les premières formes de guerre autour (et au-dessus) de "l'horizon militaire" il y a quelques millénaires.

15. Le mardi 3 août 2010, 21:23 par

C'est notamment la Première Guerre mondiale qui accélère la construction de l'État interventionniste. J'appuierai ce qui a été dit plus haut, l'histoire de la fiscalité semble s'accélérer avec les moments de guerre. (Il faut attendre la Grande Guerre pour que l'impôt sur le revenu soit voté).

EXTRAIT d'un cours :

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Les périodes de guerre se sont traduites, pour certains auteurs, par l’émergence puis la constitution de système de sécurité sociale. L’État-providence serait directement le fruit de la guerre.
Ceci a été appliqué et confirmé par le cas de la France de l’Entre-deux-guerres, par un économiste démographe, historien de l’économie, Alfred Sauvy.
L’État protecteur est né avec le choc de la PGm. La structure du budget de l’État en a été modifiée. Sur 100 hommes actifs, 10 sont morts à l’issu de la guerre. On retrouve les mêmes proportions en Allemagne et en Autriche. En G-B, le fardeau démographique a été moins lourd (5%), tout comme pour les É-U (0,2%).
Des pays dans lesquels la tradition étatique s’affirme, par une forte couverture sociale, sont les pays dans lesquels la ponction des hommes actifs a été sans précédent (Allemagne, France, Autriche).
En France, on se retrouve après la guerre dans une situation nouvelle. Les femmes ne travaillent pas dans la sphère monétarisée. En 1922, il y a 486.000 veuves et orphelins ; l’État doit s’occuper d’eux, des 180.000 invalides également. Les « ascendants » plus en âge de travailler, ont perdu leurs enfants, qui leurs assuraient un revenu.
D’un système qui ne pensionnait personne, on passe à un système qui doit pensionner plus de 2 millions de personnes.
À l’occasion des guerres l’intervention publique qualitative franchit des seuils considérables. Le CE accepte une intervention de l’État en matière économique, accepte que l’on porte atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie au nom de ce qui va devenir la théorie de l’ordre public.
En 1915, il y a pénurie de main-d’œuvre. Des offices de la main-d’œuvre sont créés dans chaque département ; ils centralisent les offres et les demandes, et les affectent selon nos priorités.
La guerre légitime un effort fiscal particulier et la création d’institutions de protection sociale.
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