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Crimes & insécurité

Un article du Figaro de ce matin attire mon attention, et renvoit, d’une certaine façon, au débat sur le déclin qu’on entend régulièrement et auquel j’ai fait récemment allusion.

Je sais : il faut se méfier de l’instrumentation de cette information qui nous apprend que les meurtres et assassinats sont en net recul en France, notamment depuis 2002 : comme par hasard, la source est une étude de la DCPJ, publiée par le Figaro, et alors qu’il y a un débat actuel sur la sécurité depuis 2002. Je ne suis pas dupe. Aussi n’est-ce absolument pas sur ce terrain là que je veux m’engager.

Savoir que le nombre de meurtres et assassinats a reculé en dix ans est important, mais ce n’est pas, au fond, l’essentiel. L’essentiel est de comparer les chiffres avec ceux d’il y a plusieurs décennies, voire siècles. Dans un entretien publié simultanément (non accessible en ligne, seulement sur la version papier), Alain Bauer précise : « il y a quatre siècles, on comptait 150 homicides pour 100.000 habitants. Aujourd’hui, nous sommes tombés à moins de 2 ».

Voilà la donnée essentielle, la tendance de très longue durée, et très lourde : la violence baisse.

Un autre indice : je lisais l’autre jour le premier chapitre de « l’histoire des saint-cyriens » du colonel Camus. Aux premiers temps de l’école, à partir de 1802, il y avait, à la spéciale, plusieurs morts par an. Cela n’émouvait pas grand monde, alors.

Relisez les romans historiques qui fourmillent de détails. Chez Dumas, on ne sort pas la nuit, à Paris, sans être escorté de gardes du corps (de mémoire, « les quarante-cinq ». Autre exemple, le commissaire Le Floch, fin du règne de Louis XV, qui s’émerveille que l’on ait éclairé la route de Paris à Versailles ce qui la rend « sûre ».

Bref, la « réalité » est celle d’une décroissance de l’insécurité. Sauf que….

Sauf qu’il y a un sentiment de maintien de celle-ci, voire d’augmentation (cf. l’affaire de Grenoble, ou celle des villages du centre de la France qui viennent de se dérouler au mois de juillet).

Cela est dû à mon avis à un double phénomène :

  • d’une part, la violence diminuant, on est de plus en plus sensible à celle qui demeure, qui paraît, relativement, encore plus intolérable.
  • D’autre part, la violence semble « localisée » dans des territoires où elle a court. Je ne sais s’il y a une augmentation (en nombre ou en surface) de ces territoires. Il reste que leur présence suffit à accroître le sentiment d’insécurité. (il y aurait ainsi 5% d’opérateurs criminels qui produisent 50 % de l’activité délinquante).

Dernière réflexion. La baisse de cette violence « domestique », de « vie courante » accompagne, d’une certaine façon, la baisse de la violence extérieure, la guerre « conventionnelle ». Et simultanément, la guerre irrégulière correspond à la violence domestique « irrégulière », qui justement ne passe pas (ne passe plus) par des meurtres et assassinats, mais par tout un tas d’autres actes délictueux (qui eux ne sont pas en baisse tendancielle).

Réf :

  • sur les statistiques d'homicides : cette page wikipédia (avec toutes les pincettes liées à wikipedia).
  • de même, ce numéro de "population et société", la revue de l'INED, sur "mes morts violentes dans le monde" paru en 2003, où l'on constate que les homicides bassent avec la modernisation, mais les suicides augmentent.
  • ce numéro est signé de JCl Chesnais, auteur d'une histoire de la violence.. Voici ce qu'en dit la 4ème de couverture, qui rejoint finalement ce que j'évoque : "Contrairement à ce que prétend la rumeur ambiante, amplifiée par les médias et la classe politique, nos sociétés ne sont pas menacées par une irrésistible ascension de la violence. L'idée d'une poussée continue de la grande criminalité est fausse : seules la petite et la moyenne délinquance ont augmenté. Mais plus un mal diminue, plus insupportable paraît ce qui en reste. D'où le sentiment d'insécurité qui semble croître aujourd'hui dans nos sociétés et qui témoigne, paradoxalement, de cette progressive civilisation des moeurs, partie, du temps de la Renaissance, des foyers de modernisation de l'Europe du nord-ouest, pour diffuser lentement à travers tout l'Occident et atteindre toutes les sphères de la vie quotidienne.".

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par

Une explication complémentaire de la baisse apparente, une partie de la criminalité "lucrative" aurait migré sur le net : plus lucratif et beaucoup moins risqué pénalement et physiquement. Sur Internet, pour diverses raisons (caractère transnational, moins de dépôts de plaintes, très grands nombres de petites escroqueries, etc.) les statistiques sont très difficiles à établir...

2. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par VonMeisten

Certains envisagent "une guerre" contre les délinquants en France et récusent ce mot contre un ennemi en Afghanistan. Bizarre, non ?

3. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par

A cela on peut ajouter qu'au Moyen-Âge, une femme sur trois a été violée.
Et que le viol en réunion est alors une pratique fort répandue, surtout chez les bandes de jeunes (diverses chroniques parlent du Quartier Latin à Paris de manière assez effroyable lors de charivaris d'écoliers/étudiants).

Nous vivons dans une société pacifique par rapport même à il y a deux siècles, époque où le bourgeois citadin considérait comme à peine humain le paysan. Quand on pense que les soldats de 14-18 ont été renvoyés chez eux sans autre forme de procès et que l'on met maintenant en place immédiatement une cellule psychologique pour des accidents "ordinaires", cela montre tout le chemin parcouru.

4. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par Christophe Richard

Au delà des chiffres remis dans leur indiscutable objectivité historique, je crains que l'enjeu le plus immédiat des phénomènes dont il est question soit (c'est une évidence mais qui mérite d'être développée) POLITIQUE... au sens premier de ce terme...
Le sentiment d'insécurité est une perception. Cette perception est de nature à nourrir des représentations... Ces représentations sont des ressorts du politique.
- Je reprends volontiers l'idée d'une concentration des faits incriminés sur des "territoires" particuliers.
- Je reprends aussi les idées classiques du politique qui veulent que le lien politique soit avant-tout une relation protection/allégeance. Et formulée par Carl Schmitt que le politique existe dès lors qu'un phénomène prend une intensité telle qu'il donne lieux à une polarisation ami/ennemi.
- Enfin je constate la caisse de résonnance qu'est la "société de l'information".
Et bien permettez-moi de m'inquiéter des évolutions possibles que peuvent entraîner ces phénomènes, car la volonté raisonnable de pédagogie, risque de se heurter au mur de la construction des représentations à l'œuvre dans notre société.

Bien cordialement
égéa : c'est très élégamment dit. Je partage donc votre approche, mais au terme seulement de ce qui a été énoncé précedemment et qui permet d'apporter la sérénité nécessaire au travail que vous recommandez. Mais on remarque alors qu'il s'agit de réduire deux problèmes : le problème réel d'insécurité, et le problème dela repésentation collective de cette sécurité.

5. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par MachinesASous

Les chiffres sont indiscutables, la violence est en baisse. Cependant je tiens à faire remarquer que malgré cette baisse on constate que ces actes sont de plus en plus violent (je pense notamment à ce meurtre sur l'A13, fin juin 2010). D'où ce sentiment d'insécurité qui n'arrive pas à diminuer comme il le devrait.

6. Le lundi 2 août 2010, 16:26 par faitesmoirever

"Les chiffres sont indiscutables, la violence est en baisse"
Je n'ai sans doute pas la vision intégrale de l'expert cependant il me semble que c'est le véritable cœur du problème : un postulat de départ et une vision erronée:
-La violence est elle en baisse ou les citoyens ne prennent t ils plus la peine de porter plainte devant une justice qui apparait saturée pour ne pas dire impuissante?
-Si l'insécurité diminue comment expliquer que les magistrats et les prisons soient surchargées?
-certes le quartier latin était peut être une zone plus dangereuse il y a deux siècles mais pourrait on comparer avec les années 1950?
-Comment expliquer les termes de "nouveauté" pour qualifier les crimes à l'intérieur des établissements scolaires et les violences urbaines?
-Si l'insécurité diminue pourquoi les gouvernements de gauche comme de droite n’ont pas cessé d’augmenter les effectifs des forces de l'ordre?
-Comment expliquer que certaines agences internationales de notation estimant les risques pays considèrent la France comme un pays à risque.
-Pourquoi ne pas interroger un Danois ou un Suédois sur la baisse de l’insécurité après un voyage en France ?
En définitive, peu importe que les chiffres ne mesurent l’insécurité qu’en prenant en compte les plaintes déposées plutôt que les mains courantes tenus parfois dans les commissariats et souvent dans les gendarmeries.
Plaintes qui sont pour la plupart posées et enregistrées que lorsqu’il y a un certain délai d'interruption de travail lié à l’agression.
Tant qu’il y aura des véhicules de pompier escortés par des policiers et des "événements" comme ceux de la gare du Nord ou dernièrement Grenoble, les gens ne se sentirons pas en sécurité…

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