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Guerre au sein des populations et pathologie politique de Ch. Richard

Souvenez-vous : au cœur du mois d'août, un billet que je croyais très anodin, ultra court, sur un sujet de philosophie aride qui me semblait n'intéresser que les plus tordus des lecteurs, un billet sur Charles Tilly suscitait un record de commentaires. Bon, on n'est pas encore chez Merchet ou dans le figaro, mais on ne joue pas non plus dans la même catégorie, hein? eux du genre poids lourd, égéa du genre agile... ça y est, vous allez me faire dire ce que je n'ai pas dit ! vous êtes incorrigibles, avec votre esprit taquin et rigolard!

Or donc, un lecteur assidu d'égéa décide de poursuivre la réflexion et de mettre en face la notion d'Etat et celle de guerre au sein des populations : on quitte là la stratégie seulement militaire pour évoluer vers une appréhension plus politique de cette stratégie. Intéressant, à l'heure des COIN. On y parle de Schmit et de Weber, de Bugeaud et d'Ely, du Hezbollah et des narcos mexicains, et de bien autre chose...

Merci donc à Christophe Richard qui me semble être un nom à retenir...

O. Kempf

Guerre au sein des populations et pathologie politique

Olivier Kempf a eu cet été l’heureuse idée de mettre en lumière les réflexions de Charles Tilly, qui exprime l’idée que « l’Etat a fait la guerre et la guerre a fait l’Etat ». Or, cette proposition une fois admise, ne peut que nous interpeller dès lors qu’on la juxtapose à celle du général Desportes lorsqu’il explore le concept de guerre au sein des populations. Ce dernier explique en effet que le but de ces guerres est d’assurer la restauration de l’Etat, car elles n’ont plus lieu « entre les sociétés » mais « dans les sociétés ». La guerre au sein des populations est ainsi liée aux « pathologies politiques » d’un ordre étatique en profond bouleversement, puisque l’Etat entre en compétition avec des acteurs qui s’imposent sans forcément chercher à assumer des responsabilités générales

En effet, l’Etat moderne s’est structuré en s’appropriant les ressorts fondamentaux du politique qui organisent le rapport à la violence. Or les problèmes que posent aujourd’hui les guerres au sein des populations sont liés à une crise du modèle étatique qui perd en partie le contrôle de ces ressorts. Les évolutions en cours dans les Etats occidentaux méritent donc d’être interrogées sur leurs plus ou moins grandes capacités d’adaptation à ce nouveau contexte stratégique. __ L’Etat, la violence et la politique.__

L’Etat moderne tel que le définit Max Weber est « une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Cette définition qui lie directement l’Etat à l’organisation du rapport à la violence est appuyée par les propositions de Carl Schmitt qui a su exprimer l’essence du politique. Pour ce dernier, le concept d’Etat présuppose le concept de politique. Le critère du politique repose sur la distinction ami-ennemi et l’Etat exerce le monopole de cette fonction par sa force décisioniste, c'est-à-dire sa capacité à transformer le droit en loi, et d’imposer cette dernière, au besoin par la force. L’Etat réconcilie ainsi légitimité et légalité, et distingue la violence politique de la violence criminelle. Mais cet ordre suppose des catégories claires, et avant tout un concept d’ennemi reconnu comme hostis et non inimicus, c'est-à-dire un ennemi public, justifiable d’une intention d’hostilité politique, qui n’est pas forcément liée à un sentiment d’hostilité. Cela exige l’allégeance de ceux au nom desquels l’Etat désigne hostis. Cette allégeance repose sur une relation protection/obéissance. Pour pouvoir y prétendre l’Etat doit donc avant tout organiser la paix et la sécurité intérieure, par un « ordre public ». Ainsi, désigner l’ennemi revient à délimiter un dedans et un dehors politiques.

La dynamique politique suppose donc sur deux idées fondamentales. Le politique repose sur le pouvoir de désigner l’ennemi et l’origine du lien politique est un rapport de protection/obéissance. L’Etat dispose de ces deux ressorts par sa force décisioniste.

La guerre au sein des populations est une réalité ancienne qui pose des questions nouvelles.

L’Etat nation a su dans sa phase d’expansion trouver les réponses aux problèmes que lui posaient les guerres au sein des populations. Trois exemples suffisent à en attester. Bugeaud le « pacificateur ».

Le maréchal Bugeaud, chef militaire français emblématique de la première moitié du XIXème siècle, apprit la guerre au sein des populations en Espagne. Il a combattu en Algérie contre une société tribale dont la dynamique guerrière était indissociable de l’organisation sociale. Il menait son combat dans le cadre de l’imposition d’un ordre politique et social légitimé par un droit de conquête. Les méthodes qu’il employait s’adaptaient, avec la mentalité de son époque , à un ennemi en symbiose avec une population. Pour le vaincre, il n’hésitait pas à cibler cette dernière, notamment par la méthode des razzias prouvant ainsi qu’il dispose du pouvoir de frapper et de protéger.

Gallieni et Lyautey, les « organisateurs ».

Le rôle colonial de l’armée expose la synthèse de l’expérience de pacification entreprise au Tonkin sous l’impulsion de Pennequin et Gallieni. L’ennemi n’y a pas de motivations directement politiques, mais « économiques ». Les bandes de « pirates » chinois ou tonkinois entretiennent une domination prédatrice sur les populations du haut Tonkin. La stratégie consiste donc à organiser ces dernières, afin de rendre le milieu hostile aux pirates. La conquête passe par l’instauration d’un ordre politique qui implique la population dans sa propre défense. Son allégeance est obtenue en lui désignant un ennemi commun (les pirates), et en organisant sa protection contre ce dernier. Lyautey formule des critiques acerbes contre les tentatives de composition consistant à acheter la soumission apparente de chefs pirates. Ces menées de court terme allaient absolument à l’encontre des dynamiques politiques fondamentales sur lesquelles il s’appuyait .

L’expérience tragique des « Centurions » face à la guerre révolutionnaire et subversive.

A l’été 1957, l’armée française structurait sa composante de guerre psychologique au moyen d’une doctrine, le TTA 117 et d’une organisation, les 5èmes bureaux. La réponse à la guerre au sein des populations se constituait autour d’une force agissant dans une « quatrième dimension », dont le domaine d’action était la population. Au cœur de ces évolutions, on trouve des officiers comme le colonel Charles Lacheroy qui, confrontés à la guerre d’Indochine, ont théorisé la guerre révolutionnaire. Cette théorie a conduit l’armée et l’Etat à réinterpréter la guerre d’Algérie dans la perspective globale de la subversion communiste. Ce faisant, l’ennemi ainsi désigné, quoique d’apparence plus légitime, n’était pas le bon, car sa dimension purement nationaliste n’était pas reconnue. Dès lors, c’est en imposant de façon tragique sa force décisioniste que le pouvoir naissant de la Vème République a pu imposer la fin politique d’un conflit qui prenait de plus en plus la forme pathologique d’une guerre civile. L’Etat, en dernier recours ne peut qu’assumer la dimension tragique de ses responsabilités politiques qui revient à désigner l’ennemi tout en imposant les limites de la violence politique par le maintien de l’ordre public.

Ainsi, l’Etat trouvait les ressources pour répondre aux défis de guerres au sein des populations. Il faisait appel à son droit de conquête, à sa « mission civilisatrice », et en dernier ressort à sa force décisioniste, capable d’imposer sa légalité en soutien de sa politique. Or, ces voies ne semblent plus aussi praticables aujourd’hui, face à des acteurs qui ont su développer des stratégies efficaces.

Le symbiote et le parasite, deux stratégies emblématiques d’organisations qui se nourrissent de la dimension pathologique des guerres au sein des populations.

Le Hezbollah et l’Etat libanais, une relation symbiotique.

Le Hezbollah tire sa puissance du contrôle des deux ressorts fondamentaux du politique. Il s’est structuré à partir de 1982 autour d’une dynamique d’hostilité absolue à Israël. Il a par ailleurs doublé cette dimension guerrière par une dimension sociale, en organisant à son profit les communautés Chiites des territoires dont il prenait progressivement le contrôle. Cette puissance politique de fait fut officialisée en 1989 lors des accords de Taëf. La milice Chiite pouvait conserver ses armes dans la perspective de la «résistance» face à Tsahal au sud-Liban. Cet accord a initié une relation symbiotique entre un Etat trop faible pour assumer un affrontement direct avec Israël et une organisation en quête de légitimité politique.

La pathologie politique vient des équilibres ambigus d’une organisation trop puissante pour se soumettre à l’Etat mais trop faible pour s’imposer à la société libanaise. La population Chiite, source de puissance essentielle de l’organisation, ne représente qu’une majorité relative de l’ordre de 30% de la population du Liban et le Hezbollah exerce plus une hégémonie qu’une domination absolue sur elle. Le Hezbollah a donc besoin de la guerre pour légitimer le maintien de sa puissance politique.

Les cartels de la drogue face à l’Etat mexicain, la stratégie du parasite.

L’alternance démocratique de 2000, qui a mis fin à 71 ans de règne du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), a créé un vide politique que les cartels de la drogue ont occupé. Le PRI maintenait en effet un ordre politique par son arbitrage entre ces cartels criminels. La fin de cet équilibre a entraîné des conflits pour le partage du trafic de drogue vers les Etats-Unis. Le gouvernement mexicain, face à l’ampleur de la situation, a dû engager depuis quatre ans une véritable guerre contre ces organisations, mobilisant plus de 50.000 soldats. Ces violences auraient fait au moins 28.000 morts en trois ans et demi, et débordent aujourd’hui largement sur les Etats-Unis.

Les ressorts du phénomène sont d’essence politique. Ils jouent dans le cadre d’une stratégie qui peut être qualifiée de « stratégie du parasite ». Cela consiste à se nourrir de son hôte en l’affaiblissant sans pour autant le tuer. La capacité des cartels à désigner leur ennemi, y compris le gouvernement, s’appuie sur des forces puissantes. Ainsi le cartel du Golfe disposait jusqu’à peu d’une unité paramilitaire de près de 200 hommes, les Zetas formée après la désertion en 1997 de forces spéciales mexicaines. Ces derniers ont d’ailleurs pris leur envol et constituent un gang criminel indépendant et concurrent. « L’ordre » des cartels est fait de compétitions violentes… Les cartels retournent à leur profit les organes locaux du pouvoir dans les régions où ils sévissent par corruption et subversion. Ils y obtiennent la soumission quand ce n’est pas l’allégeance d’une population dont plus de 50% vit sous le seuil de pauvreté. Les cartels mexicains détournent les ressorts politiques au profit de leurs fins économiques. Pour autant, leur objectif n’est pas de détruire l’Etat mexicain mais de lui imposer une cohabitation violente.

Ces deux exemples incitent à prolonger la réflexion. Les ressorts politiques fondamentaux des guerres au sein des populations étant établis, il s’agit de voir comment ils peuvent jouer sur les démocraties occidentales modernes.

Les Etats occidentaux postmodernes au défi de la guerre au sein des populations.

L’Etat providence, un produit du « court » XXème siècle.

Les guerres totales ont entraîné la transformation d’Etats nations libéraux, en Etats providence aux compétences inédites dans l’histoire. Or, cette dynamique a connu une rupture avec la fin de l’ordre bipolaire, l’effacement de la figure de l’ennemi et la démobilisation sociétale qui en est la conséquence depuis une génération. Ce rappel permet de proposer deux explications pour éclairer les évolutions en cours au sein des Etats occidentaux.

De l’Etat guerrier à l’Etat policier

Les fonctions coercitives de l’Etat, en l’absence d’ennemi, se recentrent sur l’idée de sécurité. Cela se traduit notamment par l’établissement d’un continuum entre sécurité et défense tel que l’établit en France le dernier livre blanc. Par ailleurs, cette volonté de maintien de l’ordre s’étend aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales, au nom d’une communauté internationale. Or si la guerre interétatique avait pour fin un état de paix, le maintien de l’ordre exige des efforts permanents d’intensité variable.

En parallèle de cette réorientation il faut prendre en compte les évolutions du contexte sociopolitique dans lequel elle s’effectue.

De l’Etat nation à l’Etat marché

L’Etat marché est désengagé, décentralisé et mondialisé, adepte des privatisations et de la sous-traitance, ainsi que de la mise en réseau. Son fonctionnement s’opère plus par incitation que par des régulations. La participation du peuple aux affaires publiques est limitée, et s’opère plutôt par crises où le politique essuie de fortes tempêtes médiatico-émotionnelles. Il suppose de fortes inégalités au profit des individus opportunistes, flexibles et adaptables. L’opinion est versatile, hypersensible aux modes, incapable d’obstination ou d’acharnement.

Dans ce schéma, un dialogue direct semble s’établir entre l’individu et l’Etat. Or, ce dialogue est compliqué par deux facteurs qui pèsent sur la force décisioniste de l’Etat. Tout d’abord la société de l’information rend possible et accélère le retour de l’individu en tant qu’acteur de la stratégie, avant tout grâce à la force des réseaux. L’Etat voit donc un nombre croissant d’interlocuteurs, issus de la société civile, s’imposer jusque dans des secteurs régaliens. Par ailleurs, privés d’ennemis et organisés en communauté internationale, les Etats voient émerger de nouvelles sources de droit.

L’effacement d’hostis et l’angoisse politique.

L’effacement d’hostis fragilise les démocraties occidentales face aux guerres au sein des populations. Faute de pouvoir définir l’ennemi, l’Etat perd sa capacité de mobilisation. Il est contreproductif de diaboliser un égaré, tout comme il est inacceptable de conférer une quelconque dignité politique à un criminel. Il n’en demeure pas moins que l’Etat est sommé de répondre à l’injonction qui lui est faite d’assumer son rôle de protecteur. Cette pression a pour origine l’angoisse, sentiment lié à l’indétermination, et aujourd’hui exacerbé par la force de dramatisation des médias. L’angoisse politique nait de la perception d’une menace, cette perception nourrit des représentations, qui elles mêmes deviennent des ressorts politiques exigeant la désignation de l’ennemi pour mettre fin à l’angoisse. Le risque se situe donc entre l’emballement qui pousse à désigner un ennemi insuffisamment déterminé, et l’excès de réserve qui profite à d’autres acteurs prêts à s’emparer du politique afin de capter l’allégeance des populations. L’un ou l’autre de ces chemins amènent la guerre dans la société.

En conclusion

Les guerres au sein des populations défient le modèle d’organisation politique centré sur l’Etat. C’est précisément ce qui pousse certains auteurs à évoquer l’avènement d’un nouveau Moyen-Âge. Contentons nous de dire que la guerre au sein des populations traduit une pathologie politique. Il convient de partir de là pour concevoir les réponses adaptées aux cas d’espèce qui se présenteront. Cela implique de retourner à l’essence du politique, et de reconnaître son rapport tragique à l’ennemi, ainsi qu’à la relation entre obéissance et protection. Il ne s’agit pas là de poursuivre méticuleusement la vérité, mais d’interpréter utilement le réel.

Christophe Richard

Commentaires

1. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par

Je suis d'accord avec le constat. La guerre au sein des populations est effectivement un des « symptômes » du déclin provisoire du concept d’Etat "westphalien", au plan international. http://www.alliancegeostrategique.o...
Et Christophe Richard est un nom à retenir sans aucun doute, au regard de la qualité de ses réflexions exposées dans EGEA, DSI ou autres tribunes.

2. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Jean-Pierre Gambotti

Soyons clairs, le concept de guerre au sein des populations a fait florès depuis son habile médiatisation par une association non moins habile « du foudre et de la plume ». Mais puis-je intellectuellement m’insurger contre cette néologie, cette fausse modernité que l’on donne à la guerre ? La population a toujours été partie à la guerre, au titre de réservoir de forces, d’environnement, d’acteur, de bouc-émissaire, d’otage … et inexorablement de victime. Rappelons que dans la montée aux extrêmes, quand la dialectique nucléaire est amorcée, la population est l’objet du chantage sacrificiel, celui des intérêts vitaux et des frappes démographiques. A mon sens ce n’est pas parce que le caméléon prend une couleur nouvelle que la bête a changé d’espèce. Les forces irrationnelles, ce premier élément de l’étonnante trinité qui fonde la guerre, Clausewitz les a déjà désignées depuis deux siècles, comme pouvant intéresser particulièrement le peuple.
Mais je me dois d’être plus précis, en filigrane de toutes nos réflexions et commentaires sur ces guerres au sein des populations, on trouve l’Irak et l’Afghanistan.
Dans ces deux cas les coalitions n’ont pas conduit la meilleure stratégie et l’on connait les désastreuses palinodies politiques. En Irak les Etats-Unis lancés sur leur erre paranoïaque et faisant preuve d’une déficience conceptuelle tragique ont dissous l’Etat et le double outil de la violence légitime, l’armée et la police. En Afghanistan il n’y avait pas d’Etat, pas plus que d’armée ni de police et les Etats-Unis ne sont pas assez appuyés sur l’appareil occulte après leur brillant succès initial. Ainsi, dans ces deux cas, la coalition s’est-elle trouvée confrontée directement au seul élément indissoluble, la population, dépitée par l’incapacité stratégique de la coalition de gérer sa victoire et manipulée par des activistes aux intérêts différents voire antagonistes, mais mus par la même animosité pour l’étranger et un même projet, la liberté.
Dans ces deux cas les coalitions n’ont pas mené de guerre au sein des populations. En Irak le demos tripartite et schizophrène a lutté contre son propre libérateur, on pourrait donc parler de la guerre que la coalition a menée contre la population. En Afghanistan, parler de peuple semble excessif, le laos grec, sorte de demos en devenir, me semble plus approprié et je pense que la coalition est engagée dans une guerre pour la population. Pour que la population devienne pleinement un peuple.
Sur ces deux théâtres ont été menées des guerres sans front. Des guerres dans lesquelles l’arrière est aussi l’avant. Des guerres dans lesquelles une force exogène a pallié l’absence de la force étatique d’un pays sans Etat. Jamais la trinité clausewitzienne n’a été aussi pertinente, jamais le caractère de forces irrationnelles n’a aussi bien convenu au peuple. Mais de guerre d’un nouveau type, point. Simplement on peut constater l’étendue des capacités mimétiques du caméléon.

Pour la thèse Tilly, je suis un peu réservé. D’abord, intuitivement, je suis troublé par la comparaison de la guerre et de l’Etat avec le crime organisé et par le caractère mafieux affecté aux gouvernants européens – cf. La guerre et la construction de l’Etat en tant que crime organisée. Mais je vais persévérer.

Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : que de subtiles rosseries.... ! mais habiles...

3. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Christophe Richard

Bonsoir,
Merci à Jean-Pierre Gambotti de son intervention, l'idée d'une guerre engagée en Afghanistan pour que la population devienne pleinement un peuple est lumineuse, surtout lorsqu'on la juxtapose à celle de l'intervention en Irak vue comme une guerre de la coalition contre la population.

Le terme de guerre au sein des populations pose en effet un problème similaire à celui de guerre asymétrique. Il permet une avancée de la pensée, mais aboutit rapidement a des impasses du fait de la variété des cas d'espèces qu'il recouvre. C'est pourquoi, je pense que le dénominateur commun qui fonde ce concept réside dans l'idée du dérèglement du politique, qui fait qu'une population bien que formant une société, ne peut être un peuple précisemment. La question pourrait en définitive se résumer à celle-ci: "dis moi qui est hostis, je te dirais qui tu es".

Bien cordialement

égéa : Christophe Richard est schmittien : l'hostis comme critère d'analyse....! Plus sérieusement, je me demande s'il ne faut pas faire la même analyse entre population et peuple qu'entre espace et territoire (selon la distinction lumineuse rappelée il y a deux semaines par Pierre Ageron, cf ici). Un peuple serait alors uen population "polarisée" gâce à des représentations et une régulation propre ?

4. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Jean-Pierre Gambotti

L’absence du web à l’époque de ma classe de rhétorique a eu pour conséquence heureuse de me laisser des loisirs pour diagonaliser quelques grandes œuvres des Lumières. Et notre interrogation sur les notions de population, société et peuple et leur rapport au pouvoir politique m’a rappelé l’existence Du contrat social ou Principes du droit Politique et de Rousseau….Pourquoi s’interdire de se référer aux œuvres abordables ?

Je vous propose ces quelques extraits d’une analyse de Wikipédia.
(…)Du contrat social est un traité de philosophie politique présentant comment l’homme, passé de l’état de nature à l’état de société, peut instituer un ordre social au service de l’intérêt général. Le pacte social que propose Rousseau établit que chacun doit renoncer à tous ses droits naturels pour obtenir la liberté civile que procure la société. Cette aliénation de chaque sujet de l’État est ce pacte qui offre à chacun l’égalité : « Les clauses [du pacte social] se réduisent toutes à une seule : l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. » (Livre I, Chapitre 6) La légitimité du pacte social repose sur le fait que l’homme n’aliène pas au sens propre (il ne l'échange pas ni ne le donne) son droit naturel mais il comprend que le pacte social est au contraire la condition sine qua non de l’existence de son droit naturel.

Livre 1 Chapitre VI (« Du pacte Social »).
(…)L’originalité de la solution de Rousseau est qu’il va dépasser le dualisme opposant le peuple et le pouvoir politique l’un à l’autre. Il va en effet voir dans la constitution d’un pouvoir politique reposant sur le contrat social le fondement même de l’existence du peuple. En termes kantiens on peut dire que le pouvoir politique, dans la mesure où il repose sur le contrat social, est la condition de possibilité de l’existence du peuple en tant que peuple et non en tant que simple agrégation. « (...) Cet acte d’association produit un corps moral et collectif, composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. » La question de la légitimité d’un pouvoir reposant sur le contrat social ne se pose donc plus. L’autorité politique n’est en effet plus une violence faite au peuple mais ce qui lui permet d’exister.
(…)Cet acte d’association produit un corps moral et collectif qui s’appelle maintenant République ou corps politique (autrefois on disait : « Cité »), nommé par ses membres « État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables ». Les citoyens prennent le nom de peuple : « Citoyens comme participant à l‘autorité souveraine, Sujets comme soumis aux lois de l’État. »

Si entre la population, le peuple et le pouvoir politique, il y a la nécessité du contrat social, on peut mesurer l’ambition de nos objectifs en Irak et en Afghanistan, tant cette agrégation de la population et son adhésion au pacte social paraissent improbables dans cette période de violence. Néanmoins l’intérêt stratégique est évident : la reconstruction de l’Etat passe par la réalisation de « cet acte d’association », en conséquence ce pourrait être, pour faire court, l’un des lieux de concentration des efforts de la coalition.

Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : j'adore le "diagonaliser" : selon moi, on appliquerait volontiers ce terme à la rhétorique d'Internet, si ces deux mots mis ensemble on quelque sens....

Au-delà et plus sérieusement, j'en comprends ceci : l'EFR de la coalition consiste à transformer la population en un peuple ? On admettra que cet EFR peut avoir des critères de réalisation fort divers. Mais il a l'avantage de faire ressortir le CDG "afghan" au niveau politique où il doit résider. Avec donc des déclinaisons militaires (mais aussi économiques, reconstruction, judiciaires, lutte anti drogue, ...) et des points décisifs identifiables (Kandahar étant un point décisif assez logique, tout comme le financement des talibans, notamment au long des routes logistiques, ...).

5. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Jean-Pierre Gambotti

Proposer l’EFR tel qu’il apparait dans le « Plan d’attaque », pour reprendre la terminologie de Bob Wooward, aurait été de ma part très présomptueux ! Évidemment ce n’était pas mon propos, d’autant que l’on peut imaginer que l’état final recherché pour ces campagnes complexes, longues, dont le leadership appartient à un pays dont le président/commandant en chef a changé en cours d’action, connaisse des ajustements de circonstance.


Plus modestement je réagissais à la thèse de Christophe Richard, précisément sur ce concept de guerre au sein des populations qui nécessite de s’interroger sur les notions de population, de peuple et de pouvoir politique alors que la reconstruction de l’Etat est au centre de la problématique de ces guerres et pourrait être partie constituante de l’EFR.
Je dois avouer que j’ai trouvé somptueuse et pertinente la réponse de Rousseau au travers de Kant : « En termes kantiens on peut dire que le pouvoir politique, dans la mesure où il repose sur le contrat social, est la condition de possibilité de l’existence du peuple en tant que peuple et non en tant que simple agrégation.. » Que je lis, pour ce qui nous occupe et dans un raccourci d’officier d’état-major, « sans contrat social, pas de pouvoir politique légitime, pas de peuple ».

En conséquence, en raisonnant en national, je voulais dire que le contrat social pouvait être le point d’application de l’effet majeur. Et que dans le concept d’opérations de la coalition devrait surement apparaître que la reconstruction de l’Etat et du pouvoir politique impose, préalablement et impérieusement, l’établissement du contrat social. Je pense, sans aucune prétention puisque ce raisonnement est « de la faute à Rousseau », que cette « manœuvre du contrat social » est une approche opérative qui n’est pas totalement dépourvue d’intérêt !
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

6. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Christophe Richard

Dans cette idée de contrat social, l'individu se fond dans un "corps politique" qui en fait un citoyen, membre de droit, mais aussi de fait, d'une nation organisée politiquement par un Etat.
Il fait donc allégeance à ce corps politique qui en retour le protège par sa force décisionnielle à l'intérieur, et sa force politico-militaire à l'extérieur.
La difficulté me semble résider dans l'adaptation de ce schéma à un contexte où les individus sont soumis à la tentation/pression d'allégeances multiples et concurrentes... Alors même que la force décisionnelle de l'État est défiée par de nouvelles sources de droit.

Bien cordialement
Egéa : Christophe met le doigt sur unpoint essentiel et qui a été rarement vu : nous faisons dela constgruction étatique (nation building) dans un contaxte de dissolution de l'Etat, au moins relative.... Là réside probablement la principale difficulté....

7. Le samedi 18 septembre 2010, 16:16 par Jean-Pierre Gambotti

C'est tout à fait mon discours, mon cher egea ! Et j'en reviens à mes prolégomènes: en Irak l'Etat a été dissous, en Afghanistan il n'existait plus...La reconstruction consiste donc à faire d'une agrégation, un peuple ( passer du laos au demos pour reprendre une formule que je revendique !) et notre philosophe des lumières nous incite à passer par la case Contrat social, point de passage obligé puis clef de voûte du système formé par l'Etat, le pouvoir politique, le peuple.
Je persiste donc dans mon analyse et ma suggestion " Pas un pas vers l'EFR, sans Contrat social". Et je vous rappelle ce que Rousseau entend par Contrat social, " ce pacte qui garantit l'égalité et la liberté entre tous les citoyens et par lequel chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile," la souveraineté populaire étant le principe fondamental du contrat social. Énorme défi pour la coalition et comme je l'évoque dans une court article publié sur le site de la RDN, ces guerres de démiurges qui consistent quasiment à reconstruire une Nation sont à mon sens les dernières que nous mènerons. Pour les prochains conflits, nous devrons plutôt opter pour des stratégies de stand-off, des guerres de projection de puissance.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

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