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La guerre par Barthélemy Courmont

Voici un petit opuscule de la collection encyclopédique de poche qu’a lancée Armand Colin, à l’image des Que sais-je ? ou de la collection Repères de La Découverte. Pour se différencier, Armand Colin a chois quelques thèmes, et on notera une thématique « géographie-géopolitique » qui titille forcément l’œil d’égéa. Quant à Barthélemy Courmont, il est bien connu puisque c’est un des chercheurs ès stratégie de l’IRIS, l’autre think tank français de relations internationales.

Par rapport aux QSJ, on appréciera la mini bibliographie de 4 pages, un index des noms de la même taille et un index des notions d’une page : autant dire que l’ambition est clairement universitaire, et qu’il s’agit d’introduire non seulement au sujet du livre, mais aussi à une recherche ultérieure.

L’auteur a choisi de dresser une typologie des guerres en prenant appui sur de nombreux exemples dans l’histoire : pour un peu, il aurait pu l’intituler « les guerres », même s’il réussit à élever le sujet au-dessus de cette description.

C’est également un ouvrage contemporain, qui se place dans la perspective de la guerre irrégulière :dès lors, le livre va surtout montrer à quel point cette guerre « asymétrique » a existé dans l’histoire et n’est donc pas une exception contemporaine : s’il y avait une idée maîtresse, ce serait celle-là ! discutable d’ailleurs, moins pour s réalité (les petites guerres ont toujours existé dans l’histoire, à des degrés relatifs toutefois) que par le sous-entendu : c’est la guerre dite « conventionnelle » qui serait l’exception.

J’admets volontiers qu’on en a encore pour pas mal de temps avec les guerres irrégulières ; pour autant, je ne suis pas persuadé qu’elles demeurent l’alfa et l’oméga du polemos (cf. la lecture de Colin Gray qui permet d’avoir un tableau très vaste du sujet).

Mais je serais injuste en réduisant à ce débat cet ouvrage, qui après tout est fort court pour laisser place à de grands développements. Je citerai quelques aperçus qui m’intéressent, notamment pour le lien entre l’Etat et la guerre : à l’issue de la guerre du Péloponnèse et des guerres médiques, « la notion de guerre entre deux civilisations puissantes fait son entrée dans l’histoire. Les buts politiques de la guerre font leur apparition en même temps que se trouve posée la question de la stratégie, et de la réflexion sur le déroulement des hostilités. (...) Avec la Grèce, la guerre se politise, se théorise, et la stratégie en devient la pièce maîtresse » (p 15).

Plus loin, évoquant la Renaissance : « En devenant une affaire d’Etat, la guerre suppose un engagement lourd et la préparation des troupes au préalable de toute intention belliqueuse. L’Europe entre dans l’ère moderne, la guerre aussi » (p. 28) : il est clair à la lecture de cette phrase que l’Europe assoit sa domination mondiale à partir du moment où elle impose son modèle de la guerre ; il y a dès lors une relation probablement causale entre le déclin de l’Europe (des Europes) et leur incapacité à imposer leurs modèles de guerre. D’ailleurs, à vouloir négliger la guerre et la bannir, l’Europe nourrit son déclin.

Avec la guerre froide et l’apparition du fait nucléaire, « signe des temps, la plupart des ministères de la guerre deviennent des ministères de la défense » (p. 43).

La deuxième partie du livre s’interroge sur les guerres récentes (des conflits post-guerre froide à ceux contemporains, terrorisme, guerre asymétrique, Mao et Sun Tzé) mais aussi aux extensions du domaine de la guerre, de la « guerre sans fin » aux négociations pour « la fin de la guerre ».

Au final, un livre habilement construit, avec les références les plus utiles (on regrettera bien sur l’absence de Colin Gray dans la bibliographie) et le traitement de toutes les principales thématiques sui se posent aujourd’hui. Pour moins de dix euros, il ne faut pas se priver !

La guerre Barthélemy Courmont Armand Colin 128 Octobre 2007

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 20 septembre 2010, 22:08 par Jean-Pierre Gambotti

Incontestablement cet opuscule devrait faire partie « de la bibliothèque idéale » de l’officier d’état major, il pourrait y rejoindre La guerre ... de Bruno Tertrais (QSJ, janvier 2010)!
Mais à sa relecture, permettez-moi de rappeler qu’il a été publié en 2007, j’ai une nouvelle fois pesté contre l’Introduction que j’ai trouvée fragile au regard de la qualité de l’analyse développée dans le corps de l’ouvrage. Et de l’érudition de l’auteur.
Passons sur la simplification, jusqu’à l’approximation, de Clausewitz, l’explication du concept de centre de gravité par une approche trinitaire malmenée est irritante, passons aussi sur la typologie naïve de la guerre, avec l’emprunt à HT Hayden « guerre d’usure ou d’attrition et guerre de manœuvre » et autres prémisses un peu hasardeux.
Mais je m’arrêterai sur la théorie Warden qui tient une place importante dans cette introduction, alors qu’elle a toujours été très controversée, que B.Courmont évite de présenter comme une théorie de la paralysie stratégique fondée sur la puissance aérienne. Une théorie douhétiste repensée en quelque sorte, s’appuyant sur les révolutions technologiques afférentes à la troisième dimension. La présentation schématique qui en est faite dessert cette théorie car de nombreux articles et analyses ont montré qu’elle répondait qu’imparfaitement à la complexité de la guerre dans sa globalité, mais qu’elle était en revanche pertinente pour la phase aérienne. Les plus grandes critiques venant du fait que le modèle Warden tient la guerre comme un phénomène linéaire et ne prend pas en considération sa nature systémique. A mon sens, il ne faudrait pas simplement prendre en compte la nature de chacun des cinq cercles qui font le dispositif de l’acteur dans le conflit, mais les relations et interrelations que chacun de ces niveaux entretiennent entre eux. Car d’évidence ces liaisons forment l’architecture relationnelle du système et sont inhérentes à la stratégie conduite par l’acteur et à la nature même de la guerre. C’est sur cette architecture plastique qu’il faudrait concevoir et conduire la stratégie amie, pas sur des cercles/cibles statiques.
Mais les jeux ne sont pas faits. La théorie Warden pourrait être revue au travers des opérations basée sur les effets et adaptée à une approche nouvelle de la guerre. A ces guerres asymétriques de projection de forces, modèles de plus en plus contestés même au sein des populations des pays coalisés, pourraient succéder des guerres de projection de puissance. Les thèses de Warden reviendraient ainsi au centre de nos réflexions stratégiques.
D’autre part je m’étonne que vous n’ayez pas relevé dans votre billet l’excellente analyse de la guerre selon Aristote (page19), qui fait écho à Christophe Richard « Guerre au sein des populations et pathologie politique » qui citait Tilly « L’état a fait la guerre et la guerre a fait l’état ».
Quelques extraits :
-« le tyran fait la guerre pour priver ses sujets de loisirs et leur imposer constamment le besoin d’un chef ;
- cette interprétation de la tyrannie dans la Grèce antique est née au départ du besoin de rassembler autour d’un seul homme quand l’équilibre de la cité était menacé de l’extérieur ;
-la guerre devient l’un des instruments de la tyrannie, et donc du pouvoir politique ;
-Aristote avait compris que le chef avait tout intérêt à maintenir une menace qui lui permet de rester au pouvoir, et le fait de multiplier les guerres peut lui apporter, sinon la prospérité pour son pays, au moins la pérennité de son pouvoir. »

Nihil novi sub sole !

Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

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