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2033, atlas des futurs du monde (V. Raisson)

Voici un ouvrage extrêmement novateur et qui mérite incontestablement votre intérêt. Le lecteur habituel d’égéa aura remarqué que je m’intéressait beaucoup aux atlas, et que j’en faisais régulièrement des recensions : très positives (Atlas du proche et du Moyen Orient, fiche à paraître) ou déçues (atlas des mondialisations). Car un atlas moderne est un ouvrage qui rassemble non seulement des cartes, mais des textes informatifs : ils sont certes des représentations, mais aussi des explications qui permettent d’aller au-delà des apparences.

2033, atlas des futurs du monde

  • Virginie Raisson
  • Robert Laffont
  • Novembre 2010, 200 pages, 30 euros

Il y aurait d’ailleurs un bon sujet de thèse à étudier l’évolution de ces atlas au cours des âges : nous nous y essaieront un autre jour. Car je veux parler aujourd’hui de celui qui nous préoccupe, et qui constitue, à coup sûr, un véritable tournant.

La première innovation tient d’abord au sujet du livre : il s’agit d’un atlas prospectif, c’est à dire décrivant le monde tel qu’il sera dans vingt-cinq ans. La prospective est un art difficile, d’ailleurs controversé (il est tellement facile de dire, après-coup, que les prospectivistes se sont trompés). Ce n’est pourtant pas une discipline inutile, car formaliser le futur aide à comprendre le présent, et surtout à prendre des décisions sensées.

La grande difficulté épistémologique de la prospective tient à son fondement : elle examine les séries statistiques actuelles, et elles les prolongent de façon à anticiper ce qui arrivera le lendemain. C’est « globalement » valable, mais se heurte à l’inévitable, le contingent le hasard, le factuel. Les amateurs de sciences fiction ont lu Isaac Asimov et sa grande série des fondations, dont l’argument repose sur une « psychohistoire », mélange de statistique informatisée qui aide les lointains descendants de l’inventeur de la machine à prendre les bonnes décisions au bon moment. Ce qui fonctionne jusqu’au moment où un individu, non prévisible, change le cours de l’histoire et met donc en défaut la machine : une sorte de battement d’aile du papillon avant la lettre...

C’est pourquoi cet atlas ne s’intéresse qu’aux tendances les plus lourdes et les moins dépendantes des évolutions politiques et sociales. Cela explique qu’il soit le plus souvent « mondial » (même si on a, par endroits, des cartes spécialisées sur telle région donnée à propos de tel sujet particulier). Ce qui l’amène à définir un champ que j’appelle « géopolitique des ressources », même si le mot n’est pas écrit dans le livre.

En effet, de quoi s’agit-il ? de trois grandes parties intitulées « des vides et des pleins, « une planète trop peuplée ? » et « en voie de dépassement », chacune articulée en trois sous-partie.

La première partie s’attache à décrire les grandes tendances des peuplements : aussi bien la démographie que les migrations ou l’urbanisation. Cette partie introductive est très factuelle et repose sur des données intéressantes. Ce n’est pas pour autant plat, car on lit des considérations passionnantes sur l’avenir des villes, avec les évolutions possibles (je n’ose dire les choix) qui liassent justement ouverte la question de la décision politique pour affecter le cours des choses.

La deuxième partie traite de la question de la soutenabilité de cette évolution démographique : au travers de deux grands thèmes (alimentation et eau) couronné par un bref troisième chapitre évoquant la surpopulation. On est heureusement loin de la doctrine néo-malthusienne la plus convenue, même si l’auteur ne verse pas dans l’optimisme néo-scientiste de certains.

La troisième partie me paraît la plus difficile à caractériser : à bien y réfléchir, j’y comprends l’étude des différents possibles, et donc la présentation des alternatives qui dépendent de nos comportements, donc de nos choix. L’atlas évoque donc la question des énergies fossiles (puisqu’après tout, la question de leur épuisement ou de leur remplacement dépend avant tout de nos pratiques de consommation), celle des biocarburants (qui sont une autre utilisation de la production agricole ou sylvestre), enfin celle du climat puisque le consensus sur le réchauffement climatique, et le rôle probable de l’homme dans son développement accéléré, pose la question du mode de développement choisi.

Ainsi, cet atlas prend le parti d’étudier la terre comme une ressource, en interaction avec son principal occupant, l’home. On est loin des extrêmes idéologiques qui voient certains affirmer le mythe de la splendide virginité de la nature qui serait profanée par l’homme, de les autres chanter l’hymne de l’éternelle maîtrise prométhéenne de l’homme sur son environnement.

C’est un atlas des ressources, celles-ci n’étant pas considérées comme des données objectives, mais comme des données « orientées » par l’utilisation que l’homme en fait. Il s’agit de ressources globales, au sens premier du mot, à savoir que ce sont celles de la terre considérée comme un tout. Et ces ressources ne connaissent de limites que dans la mesure des choix que nous effectuons, et ces choix ne sont pas simplement économiques ou sociaux, ils se résument dans des choix qui ont finalement des effets politiques, au sens le plus noble du mot. Autant dire qu’il y a là l’ébauche d’une géopolitique des ressources.

Il s’ensuit la deuxième innovation, celle des représentations. Comme il s’agit de désigner les futurs possibles, cela nécessite un forme avancée de désignation des tendances. C’est pourquoi de nombreuses « cartes » utilisent des schémas ou des assemblages graphiques de données très novateurs. De même, les continents sont souvent configurés par assemblages de carrés représentant, pays par pays, telle utilisation de telle ressource, ce qui permet de comparer, par le seul volume, les différences. Cela n’est pas nouveau et chacun a déjà rencontré ce type d’infographie. Ce qui est intéressant ici tient à la volonté assez systématique de bousculer les idées reçues au moyen de ces représentations innovantes.

Cela nécessite parfois un effort de décryptage, mais il est à la mesure de l’intérêt puisqu’une carte n’est jamais « univoque » et appelle l’intelligence. Celle-ci est systématiquement renforcée par un texte toujours bien rédigé (et non jargonnant, ce qui est rare) même s’il est toujours bien renseigné. On fera ici juste une critique : l’innovation consistant à placer les références en petits caractères tout autour des pages, comme un liseré d’encadrement, ne me convainc pas du tout et je la trouve incommode au possible.

Il reste qu’on a, heureusement, des représentations plus traditionnelles avec de vraies cartes, très travaillées également, et pleines d’informations passionnantes : je pense notamment au chapitre sur l’eau où les illustrations sont remarquables (j’y ai ainsi retrouvé les étiages successifs du lac Tchad, que je cherchais depuis longtemps, avec les explications de son assèchement, finalement naturel).

Il n’en reste pas moins que voici un ouvrage passionnant, décalé, novateur, prospectif, intelligent, informé, rigoureux et suscitant la réflexion. Indispensable. Virginie Raisson est la coauteure de l'atlas du dessous des cartes, l'excellente émission géopolitique d'Arte. Elle signe là un ouvrage qui fera date et qu'il faut posséder et, surtout, lire.

Autre fiches de lecture :

  • le blog de l'atlas :des futurs du monde
  • la géographe du monde : ici
  • cdurable : ici
  • n. Hulot : ici
  • courrier international : ici

O. Kempf

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