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Suite de Lisbonne : nucléaire et DAMB

Je poursuis mon analyse des résultats du sommet de Lisbonne, avec un sujet qui a beaucoup attiré l'attention : le nucléaire et la DAMB.

1/ Les articles consacrés au nucléaire et au désarmement commencent par rappeler l’évidence, et le principe de l’Alliance : « pour assurer la dissuasion et la défense » des membres, ceux-ci sont déterminés à maintenir « une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense antimissile » (art 30).

La nouveauté réside bien sûr dans l’introduction de la DAMB dans l’équation qui retenait habituellement deux paramètres. Il s’ensuit une succession de phrases alambiquées et un peu confuses, qui reflètent le travail des diplomates et donc la conjonction d’exigences contraires. Il faut en effet poursuivre l’examen « de la posture générale de l’Otan », mais « sur la base des principes agréés dans le concept » : si ce sont des principes et s’ils sont agréés, pourquoi les réexaminer ? Parce qu’il faut examiner « l’éventail des capacités stratégiques requises, y compris la posture nucléaire de l’Otan » : mais on vient de nous expliquer que le nucléaire faisait partie de la panoplie ?

2/ Cette confusion sert à masquer une réalité : l’alliance est nucléaire parce qu’elle dépend des armes nucléaires américaines (et chacun, s’il ne le dit pas tout fort, s’en félicite), mais aussi parce qu’elle accueille des armes nucléaires sub-stratégiques. Il s’agit en fait d’armes « américaines », placées sur le sol de certains alliés et permettant à ceux-ci de participer, quelque peu, à la mise en œuvre de l’outil nucléaire et donc, d’une dissuasion nucléaire un peu plus directe. Or, à la suite du discours de Prague de M. Obama en avril 2009 (où il appelait à un désarmement nucléaire), l’Allemagne avait pris l’initiative (suivie par les Pays-Bas, la Belgique et la Norvège) de demander le démantèlement de ces armes sub-stratégiques. On voyait là un moyen de compenser des difficultés de politique intérieure, la coalition au pouvoir ayant décidé de prolonger les centrales nucléaires, ce qui avait provoqué l’ire des écologistes : en appelant à une dénucléarisation, le gouvernement et tout particulièrement M. Westerwelle donnaient des gages politiques.

3/ Toutefois, malgré le discours es Prague, les Américains n’ont pas abandonné l’arme nucléaire, ainsi qu’ils l’ont expliqué fort clairement à l’occasion de la Nuclear Posture Review du printemps 2010. Et comme les armes de l’Otan sont en fait américaines, ils ont décidé qu’ils les maintiendraient. En effet, elles serviront probablement de gage lors de futures négociations de désarmement avec les Russes, qui sont en Europe les seuls acteurs nucléaires qui intéressent vraiment les Américains. Tant pis pour ce que réclamaient tel ou tel.

4/ C’est pourquoi le pseudo-débat franco-allemand sur la dissuasion doit être relativisé. En effet, par simplisme on a cru que l’Allemagne et la France s’opposaient sur la dissuasion nucléaire. Rappelons que pour la France, l’Alliance n’est pas forcément le meilleur endroit où parler de ces choses là avec l’Allemagne ; et qu’ensuite, le débat n’était pas, comme certains observateurs peu attentifs l’ont cru, à échanger de la défense anti-missile contre de la dissuasion nucléaire. En effet, ainsi qu’on l’a vu, la ligne française (et américaine) consiste à affirmer la complémentarité des deux outils. Peut-être a-t-on trop écouté M. Westerwelle (le ministre allemand des affaires étrangères –libéral) et pas assez M. zu Guttenberg (ministre allemand de la défense –CDU) qui a été beaucoup plus discret sur la question. L’un serait un idéaliste face à un réaliste, le second ayant été plus discret mais l’ayant finalement (et logiquement) emporté.

5/ Il fallait pourtant s’incliner devant les idéaux. Ceci explique l’article sur la maîtrise des armements, qui se félicite du traité START et prend la décision inoubliable de « créer un comité chargé de rendre des avis sur la maîtrise des ADM et le désarmement » (art. 31). De même, l’article sur le traité FCE constate avec un peu de déception la situation de blocage et déplore que la Russie n’applique plus les obligations dudit traité. Les articles sur la prolifération des armes de destruction massive ou sur le traité de non-prolifération n’appellent pas de remarques.

6/ Toutefois, on remarque la distinction qui n’a pas toujours été faite, celle qui évoque la prolifération des missiles balistiques, « menace croissante pour les populations et les territoires » (art. 36). Dès lors, « le but d’une capacité de défense antimissile de l’OTAN est d’assurer la couverture totale et la protection de l’ensemble des populations, du territoire et es forces des pays européens de l’OTAN ». Notons : « de pays européens de l’alliance » : car le territoire américain n’appartient pas, on le sait, au territoire couvert par le traité ; et surtout, il est protégé par un système particulier, la « Missile defense » qui n’est pas intégrée au dispositif allié.

7/ Pour construire cette nouvelle DAMB de territoire, les alliés décident « d’élargir les capacités de commandement, de contrôle et de communication de l’actuel programme » de DAMB de théâtre, l’ALTBMD (art. 37). L’efficacité, le coût et le partage de la décision d’un tel outil sont sujettes à caution et âprement disputées par les spécialistes. Il n’en reste pas moins qu’au-delà de l’efficacité militaire attendue de cette DAMB, il s’agit avant tout d’une décision politique et industrielle. Politique car elle affiche l’accord à un projet américain : les Européens n’auraient jamais eu l’idée de lancer un tel projet par eux-mêmes, tout d’abord parce qu’ils ne se sentent pas vraiment menacés. Mais que l’Alliance est l’instrument du couplage transatlantique, et que quand le principal acteur demande vigoureusement u projet, les alliés s’y refusent rarement. Surtout que pour la plupart, la question leur coûtera peu. D’abord parce que ce n’est pas la première fois que les alliés décident de développer des capacités « indispensables » et n’en font rien ou presque (initiative des capacités de défense de Washington, engagements capacitaires de Prague, directive politique globale de Riga). Et qu’ensuite, les seuls effectivement concernés sont les pays disposant réellement d’une industrie d’armement.

8/ De ce point de vue, la France dispose de capacités réelles, même si elle n’a pas l’ambition de promouvoir un système autonome. A partir du moment où la DAMB allait se faire, il fallait s’y accrocher pour espérer bénéficier d’une part des marchés. Toutefois, cette DAMB risque de favoriser un effet d’éviction : en effet, les dépenses alliées, tant au sein du budget commun (NSIP) que des budgets nationaux sont actuellement sinistrées à cause notamment de la crise. Participer à la DAMB, c’est dépenser de l’argent dans des projets qui ne correspondent peut-être pas exactement aux besoins nationaux ou européens, comme par exemple le transport stratégique.

9/ On restera enfin très circonspect sur la coopération avec la Russie, que certains communicants ont claironné comme étant une grande avancée. Les alliés continueront « d’étudier les possibilités de coopération avec la Russie en matière de défense antimissile ». Le communiqué du COR (Conseil OTAN Russie) explique, quant à lui que « le COR va de plus reprendre la coopération sur la défense contre les missiles de théâtre ». Il s’agit donc d’une DAMB limitée, de théâtre, et pas du tout de celle qui a été décidée à Lisbonne ? de plus, il ne s’agit que de reprendre les choses telles qu’elles avaient été initiées en 2006, à l’issue du sommet de Riga : une première coopération avait alors été lancée, mais elle avait été gelée en 2007 à la suite de la décision américaine de déployer des éléments de son système en Pologne et en Tchéquie, ce qui avait provoque le raidissement russe. Autant dire que sur la question, in ne fait que revenir à une situation d’équilibre. C’est incontestablement un mieux, mais ce n’est pas l’avancée majeure que certains ont décrite.

O. Kempf

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