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Egypte : de Tunis à Ankara

L'Égypte, donc. Au carrefour de trois zones.

  • le Proche Orient : et notamment la stabilisation du conflit israélo-arabe : cela ne demande qu'à repartir...
  • l'Afrique,: et particulièrement, le Soudan, lui-même en plein trouble (ne vient-on aps d'apprendre que le sud-Soudan avait validé son indépendance à 99 % ? ) : autant dire que la déstabilisation est déjà là...
  • le Maghreb : inévitable, puisque le choc vient de Tunisie, où les choses ont l'air de s'apaiser. La question majeure, avec un énorme point d'interrogation, tient à la Libye : là aussi, un tyran au pouvoir depuis 35 ans, avec des différends nationaux sous-jacents et une rente pétrolière immense.

Ainsi donc, les événements actuels du Caire et autres lieux sont d'importance. Qu'en dire encore ?

1/ Je constate tout d'abord, en baissant la focale d'analyse à l'intérieur du territoire égyptien, que la révolte se déroule dans les villes du Nord : Le Caire, Alexandrie, Mansourah, Suez. La moyenne et la haute Egypte ne bougent pas. Un tampon avant une éventuelle contagion au sud ? Je ne connais pas la géographie politique intérieure du pays, mais cela ne me semble pas anodin. J'accueille toutes explications d'un spécialiste du pays.

2/ De même, je note une collusion entre une classe moyenne éclairée et des classes populaires, avec la conjugaison de revendications politiques et de revendications sociales : les frères musulmans sont discrets, et on en tend finalement peu de cris religieux. Un décalque donc de la situation tunisienne, et un démenti (pour l'instant !) à la crainte intégriste : mais il faut voir aussi qu'il y a une sorte de cogestion entre le pouvoir et les FM, aux uns la direction politique, aux autres la direction sociale. D'ailleurs, cela marque l'échec du pouvoir, bien décrit par A. Adler dans le Fig de samedi : le pouvoir n'est donc pas "le dernier rempart contre l'intégrisme musulman" qu'il affirmait être, ce que les Occidentaux croyaient trop candidement : au fond, il pratiquait une tolérance certaine envers les FM depuis une vingtaine d'années (malgré le raidissement des dernières législatives).

3/ Toutefois, ce n'est pas le seul double jeu qui est aujourd'hui remis en cause. D'autres apparaissent soudainement très crûment :

  • l'armée, tout d'abord. Populaire dans la rue, par imitation du cas tunisien et par vieux souvenir de la révolution de 1952 et de la guerre du Kippour.... Jouant donc le peuple, mais reprenant le pouvoir en sous-main derrière Moubarak, pouvoir qu'elle n'a cessé de surveiller, comme en Algérie. Ne voit on pas deux militaires, Osni Souleimane (chef des services secrets et que l'on dit en relations troubles avec les FM) comme Vice-président, et un général de l'armée de l'air (comme Moubarak !) en tant que premier ministre. Combien de temps va-t-elle pouvoir maintenir cette duplicité ?
  • les FM, qui comptaient grignoter peu à peu le pouvoir pour succéder tranquillement au successeur du successeur d'H. Moubarak : pas de chance, la révolte en cours vient contrarier ce plan trop simple.... et l'on voit des barbus participer à l'essuyage collectif des grenades lacrymogènes.. Mais si le peuple est religieux, on ne voit pas pour l'instant qu'il veuille suivre aussi vite les FM... Comment ne pas lâcher trop vite la cogestion, comment ne pas être à la remorque d'une révolution qui risque de vous échapper... le dilemme est difficile.
  • Baradei : il jouit d'une belle image chez les Occidentaux : n'est-il pas prix Nobel de la paix ? Mais si son action dans le cas irakien ne souffre pas de profondes critiques, on ne peut en dire autant avec l'Iran. Et l'homme qui parle dans les médias de l'ouest semble jouer, au Caire, le rôle de l'idiot utile plus ou moins de mèche avec l'islam militant.
  • l'Occident : la Tunisie fut le test de la politique française, l'Égypte teste la politique américaine ! La duplicité est apparente : défendre la réforme et le droit à manifester, mais refuser le chaos.... cela explique le soutien à la nouvelle équipe pro-occidentale (O. Souleimane) à cause du vieux souvenir de la révolution iranienne de 1979 (là encore, on lira Adler avec intérêt). Est-ce bien pertinent ?

4/ Pourtant, l'histoire ne se répète jamais. Que voit-on en effet ?

  • un néo-arabisme renaître, qui pourrait s'unifier contre Israël, mais aussi contre l'Iran; en ce sens, une liaison avec Ankara paraît une alternative possible, on y reviendra.
  • le rôle du mélange d'internet (twitter et facebook) et de la téléphonie mobile, désormais totalement intégrée aux réseaux. Je déjeunais aujourd'hui avec une polonaise, qui nous racontait comment, sous Jaruselski, ils écoutaient radio Free Europe. Twitter est le média correspondant de cette libération. Et les peuples écoutent l'Occident, beaucoup plus que les gouvernements de l'ouest... Le soft power est là ! Au passage, wikileaks lutte contre les démocraties, twitter contre les tyrannies, ainsi que le remarquait Rufin l'autre soir !
  • Une des raisons du possible succès égyptien tient au fait que la question nationale est réglée. Je crois que la démocratie peut pleinement s'exprimer une fois que cette question nationale est résolue. C'est le cas en Égypte, par en Irak par exemple.... où pourtant une sorte de démocratie se met en place, cahin-caha. Et si les Occidentaux croyaient à leurs discours sur la démocratie ?
  • on sent enfin la possibilité d'un mouvement original, bien loin de la démocratie "à l'occidentale", mais finalement assez proche de la démoc-islamie à la turque. Cela serait fort différent d'une Tunisie beaucoup plus laïque, mais cela permettrait surtout de concilier à la fois des aspirations modernistes évidentes, et la volonté de trouver une voie propre. Cette construction autonome, si elle rencontrait le succès, serait à coup sûr une excellente nouvelle.

5/ En effet, qu'exporte l'Égypte aujourd'hui ? le tourisme, et la paix avec Israël, que lui achètent les États-Unis (1,5 milliards de dollars par an). En clair, une occidentalisation prononcée : cette fréquentation de la richesse venue d'ailleurs, est certainement une des explications de la crise d'aujourd'hui. Et le modèle islamiste n'est pas si mirifique, n'en déplaise à Al Jazeera : Iran, Pakistan ou,plus proche, Soudan et Gaza... autant de cas qui ne donnent pas envie.

Les Égyptiens ont peut-être l'opportunité d'inventer quelque chose de nouveau, qui referait d'eux un modèle pour le Proche-Orient, ce qui bouleverserait à coup sûr les équilibres régionaux. Mais nous sommes encore aux temps indécis où l'histoire hésite. Seule la chouette voit dans la nuit ! attendons l'aube pour mieux comprendre......

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 30 janvier 2011, 22:30 par

Bonjour,

Je ne comprends absolument pas le lien que vous établissez entre al-Jazeera et l'islamisme.

Quant à la géographie du pays, les zones urbaines sont concentrées surtout dans le Nord du pays, c'est là que réside le centre politique et économique du pays (même si les zones touristiques pharaoniques se trouvent dans le Sud).

http://www.bestcountryreports.com/z...

Surtout, il ne faut pas négliger le black-out médiatique.

2. Le dimanche 30 janvier 2011, 22:30 par Pierre AGERON

Plus que les villes du Nord, il me semble que ce sont les villes les plus tournées vers l'Occident qui "bougent" le plus
Alexandrie: le port et diaspora libanaise francophone
Suez et Ismailia: deux villes qui vivent par le canal donc la Mondialisation
(du moins ce que nous en savons par les médias)

3. Le dimanche 30 janvier 2011, 22:30 par

Olivier,

"Nous sommes encore aux temps indécis où l'histoire hésite".. J'ai dû écrire cette phrase il y a quelques années dans un article de RDN. Mais elle n'hésite plus, l'histoire, çà c'était en 2003 : elle purge, elle précipite l'effondrement d'un monde qui était en sursis depuis le 9/11. Les néocons - pas tant que ça avec le recul - s'en étaient rendu compte, et ont tenté d'empêcher le château de carte de basculer. Ils ont échoué, maintenant, c'est cuit. Tu le dis toi-même : l'Amérique est hors du coup, sortie de l'histoire. Sauf que tout le monde ne s'en est pas encore aperçu.

Maintenant il faut laisser les choses se faire, il ne faut pas bloquer le processus, c'est par la phase d'indétermination (ceux qui ne l'ont pas prévu et qui ne savent pas voir la nuit l'appellent "chaos") qu'on rebatira le monde à venir. Et puis c'est simple, ceux qui s'accrochent aux vieilles lunes se verront imposer un nouveau monde dont ils seront exclus.

On peut empêcher la banquise de fondre, mais on peut aussi anticiper une hausse du niveau des océans : de Washington à Tel Aviv, nos brillantes élites sont franchement dans la première posture (voir le dernier opus du sieur Hervé Kempf).

Alors plutôt que d'attendre que la rue arabe, puis chinoise, puis un jour européenne "déconne", il faut inventer.

C'était ma minute égyptienne...

égéa : Salut l'ami, je suis assez d'accord avec toi. Indétermination est le bon mot. Car je ne crois pas que la démocratie au modèle occidental s'implante telle quelle au Maghreb, je ne suis pas sûr non plus du fantasme occidental craignant à la reproduction de la révo islamique iranienne. C'est pourquoi le modèle turc me semble intéressant : le soft power d'Abdullah Gul attirera.

Allons plus loin dans le jeu de massacre : quand la Chine tombera-t-elle ? dans un an ou dans cinq ? bientôt, en tout cas ? et l'on verra les mêmes qui nous abreuvent de discours sinophiles (cynophiles?) dire qu'en fait, le colosse avait des pieds d'argile.

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