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COIN a-clausewitzienne ?

Je lis le dernier bouquin de GH Bricet des Vallons, sur la COIN. (Faut-il brûler la contre-insurrection ?", chez Choiseul)

Brillant, il faut immédiatement le dire. Mais on peut en dire un peu plus.

Car rapidement, une question me vient à l'esprit : ces guerres irrégulières ne sont-elles pas la revanche de Carl Schmitt sur Clausewitz ?

Ce qui expliquerait les manies américaines de développer théorie sur théorie de COIN, comme si une loi pouvait dire la guerre, comme si c'était une guerre, comme si l'histoire pouvait expliquer, comme si les Américains pouvaient s'abstraire d'une posture néo-post-coloniale. AU fond, on n'en est plus à savoir si c'est Clausewitz ou Jomini qui domine la pensée stratégique américaine.

On en est à quelque chose d'autre. Le questionnement du politique. Qui d'ailleurs ne touche pas seulement les Américains, mais tout l'Occident, alors que c'est lui qui a inventé le politique, et qui n'y croit plus.

Au fond, l'Afghanistan rejoint fortement les révoltes arabes....

Promis, je contacte l'auteur pour le soumettre à un interrogatoire serré.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par Jean-Pierre Gambotti

Notre boite à outils « de petites mains » de la guerre est si peu garnie que j’implore ce brillant aréopage susceptible d’autodafé : De grâce, messieurs les pyromanes, encore un moment... Le FM 3-24 n’est pas responsable de la faillite des guerres de contre-insurrection, ce n’est qu’un Field Manual, un règlement de manœuvre traitant de la COIN dans une acception quasi-militaire. Chacun doit savoir qu’en l’occurrence le diable est plutôt politique…
Je n’ai pas encore lu cet ouvrage collectif dirigé par G-H Bricet des Vallons, mais l’introduction est disponible sur le site des Editions Choiseul et c’est la plus brillante synthèse que j’ai eu l’occasion de lire sur la contre-insurrection. D’emblée le problème est posé en deux citations : « l’insurrection est une guerre pour le peuple » et cette formule de René Emilio Ponce qui devrait être rappelée comme un motto à tous les artisans, concepteurs et décideurs de la guerre, « 90% d’une contre insurrection sont politiques, sociaux, économiques et idéologiques et 10% sont militaires. » (remarque d'égéa : je confirme, l'introduction est brillante et mérite, à elle seule, bien des louanges)

Néanmoins, sans attendre l’interrogatoire serré auquel va être soumis G-H Bricet des Vallons je voudrais une nouvelle fois, avec une pugnacité un peu obsessionnelle, répéter que Clausewitz est en situation dans ces guerres de COIN parce que justement ce n’est pas un théoricien. Et quand on redoute « l’essentialisation de la contre-insurrection qui viendrait à constituer, in fine, une politique de la guerre » c’est Clausewitz d’évidence « qui descend de la machine » ! Aussi est- il douloureux pour un clausewitzien de lire dans des pages aussi savantes et pertinentes, que « le centre de gravité de l’ennemi est à la fois partout et nulle part ». Je reprendrai à mon compte la citation de Trotski rappelée dans cette même introduction « La guerre n’est pas une science, elle est un art pratique » pour marteler encore qu’elle est irréductiblement la prosaïque confrontation de deux centres de gravité. Et si dans les guerres de COIN le lieu du centre de gravité de l’insurrection est nécessairement le peuple, ses exigences fondamentales, c'est-à-dire les moyens et ressources qui font que le cœur de la puissance ennemie est efficace, sont à rechercher dans la collusion, l’intrication, la consubstantialité, des intérêts du peuple et des insurgés. Gagner les cœurs et les esprits c’est tenter de fissionner cet atome que sont les familles, les tribus des vallées et leurs frères insurgés, c’est en quelque sorte tenter de rompre ce lien charnel et culturel qui fait le peuple. Je ne m’engagerai pas sur la capacité de la Coalition à y parvenir, mais ce sur quoi je m’engage c’est sur la réalité anthropologique du centre de gravité ennemi que je désigne et que je situe. Reste à concevoir et à bien conduire la guerre, je lirai avec beaucoup d’intérêt cet ouvrage collectif, mais je regrette d’emblée de ne pas lire parmi ses auteurs le nom de hauts responsables politiques.
Peut-on argumenter du caractère fondamentalement politique de la guerre de contre-insurrection et ne pas convoquer quelques décideurs politiques à la barre ?
Wait and read.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : Pour le dernier point  AGS a récemment interviewé M. Josselin de Rohan : je regrette que la chose n'ait pas attiré plus de commentaires ni de réactions. En effet, pour une fois qu'une "autorité politique" venait sur nos blogs, il fallait se saisir de l'événement pour dialoguer avec. L'inconvénient de la surmédiatisation actuelle des hommes politiques c'est qu'on croit qu'ils ne produisent que de la langue de bois, et qu'ils n'ont rien ) dire. Mais du coup, quand l'un s'aventure par chez nous, manifestons lui notre intérêt, ça intéressera les autres à venir.

2. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par yves cadiou

Je me sens un peu dépassé par ce qu’écrivent ci-dessus Olivier Kempf et Jean-Pierre Gambotti. Ceci n’est pas une formule de politesse pour sous-entendre que je ne suis pas d’accord, non : à vous lire, je suis « largué », sincèrement, comme si c’était écrit dans une autre langue.

Au risque de passer pour le benêt de service (tant pis, il en faut), je tente néanmoins d’ajouter une idée peut-être constructive : il semble que l’on envisage trop souvent, et pas seulement ici, l’Etat comme un ensemble monolithique. D’autre part les mouvements insurrectionnels, considérés comme des Etats en devenir, sont un peu trop vus eux aussi comme solidement structurés. L’on oublie trop souvent qu’un groupe humain fonctionne plus comme un corps fluide que comme un corps solide ou même colloïdal.
Peut-être le problème que vous semblez avoir avec le centre de gravité vient-il de ce qu’il est fluctuant.

Concrètement l’Etat (égal en ceci aux « mouvements de libération », rébellions, bandes armées) est toujours le lieu de luttes internes pour le pouvoir. C'est un fluide soumis à toutes sortes de pressions et d'échauffements, continuellement agité d’une sorte de mouvement brownien plus ou moins modéré par des institutions plus ou moins respectées.

On parlait l’autre jour de la discipline militaire : elle est faite pour effacer les intérêts individuels. C’est pourquoi le personnel politique, habitué à jouer des coudes pour se placer, ne comprend pas la discipline militaire et la confond avec de la soumission.

C’est peut-être aussi le motif de mon décalage : ayant quitté l’armée après dix-huit ans de service, j’ai mis beaucoup de temps à comprendre que dans l’administration territoriale la notion de chef signifie seulement « interlocuteur pour l’échelon supérieur » et ne comporte pas autorité. Longtemps à comprendre aussi qu’un ordre reçu est toujours relatif et susceptible de négociation : pour le pékin-lambda, il est incompréhensible que l’on puisse partir à l’autre bout du monde sans délai ni marchandage. Incompréhensible mais utilisable quand on est parvenu en position d'autorité.

Par conséquent je crains que vos analyses reposent sur des bases qui sont, d’une certaine façon, trop solides pour convenir à la réalité sociologique dont il s’agit parce que les mouvements insurrectionnels sont de fonctionnement civil, bien qu’ils soient armés.

L’on rejoint ainsi le billet intitulé « place du Soldat dans la société » http://www.egeablog.net/dotclear/in...
C’est peut-être une lacune de nos militaires lorsqu’ils analysent l’insurrection et la contre-insurrection : ne pas être accoutumés au fonctionnement des civils. Ils connaissent mieux les armées exotiques mais structurées que le monde politique français, fluide voire fluctuant, aux ordres duquel ils agissent.

Je préconise que nos officiers supérieurs soient astreints à un stage de deux ans sur un poste d’administrateur territorial pour leur faire prendre conscience des luttes de pouvoir plus ou moins feutrées qui existent dans les ensembles humains peu structurés où personne ne porte de galons.
égéa : en fait, mon billet (fumeux, mais c'était samedi soir.... et puis ce blog, c'est aussi pour formuler des idées par forcément  achevées : c'est un instrument de recherche....) mon billet pose la question de ce que c'est, aujourd'hui, que l'Etat, et de ce que c'est, aujourd'hui, que la guerre. L'opinion commune  y voit des "choses" assez monolithiques, établies, instituées. On observe que c'est finalement beaucoup moins simple. Evident en ce qui concerne la guerre (d'où le sujet sur les COIN), moins formulé peut-être en ce qui concerne l'Etat (même s'il y a beaucoup de dissertations sur l'Etat comme acteur économique, ou l'Etat régulateur : je parle moi de l'Etat stratège).
On voit donc la guerre subordonnée au politique (Clausewitz) quand il faudrait peut-être se poser la question du politique subordonné à la guerre (Schmit). Bref, une vraie question de philosophie politique, très française et très stratégique. Et très actuelle, je crois.

3. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par Christophe Richard

La politique vue comme continuation de la guerre par d'autres moyens... C'est de Lénine je crois.
Il y a sans doute beaucoup à dire et à écrire sur cette idée. Carl Schmitt peut être d'une grande aide, en particulier à partir de son ouvrage de synthèse, "le nomos de la terre".
Bien cordialement.

4. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par Jean-Pierre Gambotti

Je regrette beaucoup d’avoir bafoué les règles d’or de la rédaction selon la Revue verte et de ne pas avoir, après une accroche subtile et élégante, proposer une idée maîtresse d’officier d’état-major en prolégomènes de ma précédente intervention. Yves Cadiou aurait compris instantanément que je ne répondais pas directement à la question d’Olivier Kempf, mais que je m’interrogeais sur le peu d’enthousiasme de G-H Bricet des Vallons pour Clausewitz dans la brillante introduction de l’ouvrage collectif qu’il a dirigé.
Et c’est ma réponse, apparemment rédigée en novlangue, qui me vaut d’être vouer aux gémonies !
Pourtant rien d’iconoclaste, de scandaleux ou même d’abstrus dans ces quelques lignes, j’en appelais principalement au sens des mots et à leur importance en stratégie car ils sont action. Quand la guerre est définie comme la confrontation de deux centres de gravité, le politique et le stratège ne doivent pas être hésitants sur la sémantique et je les invitais à la réviser chez Clausewitz plutôt que chez G-H Bricet des Vallons : le centre de gravité ne peut être partout et nulle part. Dans le cas contraire ce serait la négation même du concept de centre de gravité qui est pour moi l’apport le plus génial de Clausewitz à la conception et à la conduite de la guerre.
Mais nous avons déjà eu ce débat, cher Yves Cadiou …..
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

5. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par

Mille excuses, je n’ai voulu vouer personne aux gémonies, je ne me serais pas permis et d’ailleurs il n’y avait aucun motif de le faire.

Mais revenons à la COIN. Après qu’Olivier Kempf a eu l’audace d’en faire un dans son billet du 1er mars, je vais à mon tour commettre un affront à la bien pensance : cette expression de COIN cache une réalité pas très avouable.

Dans un autre domaine on a le mot anglais lobbying pour cacher un vilain mot français, mais dans le cas afghan ça ne marche pas du fait qu’on écrit oppression en anglais comme en français. En Afghanistan il s’agit en fait d’opérations militaires où l’on n’est pas très sûrs d’agir en conformité avec le Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes. Alors on dit contre-insurrection ou, plus discret parce que plus jargonnant, on dit la COIN.

Le procédé qui consiste à escamoter un mot considéré comme inavouable (et qui l’est effectivement dans le cas de la COIN) est déjà ancien : depuis la fin de la 2°GM nos soldats ont combattu sur plus de cent cinquante théâtres d’opération sans que le gouvernement dise que nous étions en guerre. C’est d’ailleurs pourquoi la « croix de la valeur militaire » a remplacé la «croix de guerre ».

6. Le samedi 26 février 2011, 21:19 par Jean QUINIO

Carl Schmitt opposait l’ami à l’ennemi. Clausewitz, lui, abordait la guerre sous un angle transverse politique. Toutefois, comme vous le notez dans votre billet, l’Afghanistan est le théâtre d’une guerre approchée de façon « globale », tout en mettant en prise des forces amies et ennemies vivement opposées. Pour qui pencher ? Vous semblez vous positionner avec opportunité plutôt pour la Schmitt. Or, dépassant le simple modèle de la guerre les théâtres d’aujourd’hui voient les victoires s’exprimer dans des domaines protéiformes (militaires, politiques, économiques, sociaux, médiatiques…).
Les conflits actuels sont plus liés à la gestion des risques qu’à la traditionnelle opposition entre deux camps. Schmitt et Clausewitz ne sont donc pas opposé mais complémentaires. Plus encore, ils ne suffisent pas. La conduite des opérations (terme à notre sens non limité à la chose militaire) est globale. C’est donc la prédominance de la complexité humaine qui doit être prise en compte.
En effet, les tensions qui agitent le théâtre Afghan ou d’autres pays sont extrêmes. L’atrocité est historiquement de plus en plus fréquente. Les temps anciens ont connu des heures sombres mais la systématisation de la violence semble avoir gagné le globe. Les moyens techniques ont largement favorisé cela. Le XXème siècle a vu la violence s’exprimer avec une minutie et une réussite jamais vues. La guerre est donc restée comme le disait Clausewitz un lieu de passion. L’ami et l’ennemi entretiennent une relation mortifère étroite. Effectivement comme le souligne votre post, Schmitt en ce sens prend toute sa dimension. La guerre reste une activité d’homme à homme.
Cependant les nations engagées dans ces conflits se sont soumises à un droit international longuement muri. Elles le respectent différemment comme les USA avec des attitudes vietnamienne et irakienne différentes. La politique est partout présente. On ne débarque plus avec les seuls soldats et avec des seuls plans tactiques. L’approche globale est accomplie, même si elle n’est pas érigée en doctrine uniformément et définitivement.
Mais comme vous le soulignez, le questionnement du politique semble parfois dépassé. Cela s’explique à mon sens par le fait que nos sociétés sont animées par les peurs. Les risques ont pris comme l’a montré H. BECK, une part primordiale dans l’appréciation et la gestion des situations. On peut en ce sens se référer aux à l’actualité plus ou moins brulante : grippe H1N1 ou vagues migratoires en Méditerranée. Or, cette société du risque qui était théorisé initialement pour les pays industrialisés, s’est propagée. Certes chaque société a ses propres sensibilités inhérentes à son histoire mais force est de constater qu’une globalisation des peurs a vu le jour en deux décennies. Nous pouvons en ce sens rappeler les études d’APPADURAI dont vous fîtes l’éloge. Même l’Afghanistan a peur. Ne les prenons pas pour des gaulois craignant que le ciel leur tombe sur la tête. Ils ont en effet peur d’Allah, des sécheresses, mais aussi de ne plus avoir de pétrole pour leur 4x4 ou d’attraper un virus sur leur Iphone.
Schmitt et Clausewitz ne suffisent plus. L’action extérieure doit être globale certes mais il faut préciser cette globalité. Celle-ci doit être orientée non uniquement sur l’action mais sur la « sécurité ». Ce n’est pas pour rien que le LBDSN a vu ce concept de sécurité compléter celui de défense. Les actions globales doivent être tournées vers la sécurité. Or, celle-ci passe par la lutte contre un ennemi (indispensable : il en faut un, au moins pour savoir où regarder). Celle-ci passe également par un développement politique (mise en place d’autorités, de plan économiques …). Mais celle-ci passe surtout par la prise en compte des risques. Ces derniers doivent être réduits au maximum. L’action tournée vers l’individu est donc primordiale. La sécurité est donc le concept qui permet d’agir globalement. Je conviens qu’il est immatériel et ne peut être assouvi. C’est pourtant lui qui permet la paix aujourd’hui. La politique est alors insuffisante. C’est bien l’homme qui est le cœur des enjeux et des réussites. Ce n’est pas seulement l’action. On peut réussir globalement sans agir. Les efforts doivent être tournés vers le modelage des consciences afin de limiter les peur.
Voila ce que m’inspirent les conflits actuels et la façon dont les grandes puissances les abordent avec une approche pas encore assez globale.

égéa : certes, la défense répond à des menaces, quand la sécurité répond à des risques. Toutefois, la défense était elle-même une conséquence du politique. S'agissant de la sécurité, le lien est encore plus ténu, me semble-t-il.

D'accord avec vous pour dire qu'il faut Schmitt et Clausewitz "ensemble". Rappeler Schmitt, ce n'est pas dire que Clausewitz  a tort, c'est aider à mieux comprendre l'essence du politique : or, celui-ci est intimement lié à la pensée de la guerre. On ne pense plus la guerre aujourd'hui, d'où l'évanescence du politique.

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