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thème AGS : les indépendances

Le thème du mois d'AGS est consacré au xindépendances du 21ème siècle

o. Kempf

Quelles formes prendra le concept d’indépendance au XXIe siècle ? Quels nouveaux États, nations, pays pourraient naître dans les années à venir ? Quel impact pourraient avoir ces processus d’indépendance sur le « système mondial » ? Se dirige-t-on vers une période de redéfinition des frontières des nations, une fragmentation intérieure des États, au contraire des regroupements politiques ? Tout cela à la fois ? Pourquoi, dans un contexte où l’abolition des frontières est clamée par nombre de commentateurs, des individus et des peuples caressent-ils des projets d’indépendance ?

Ces questions méritent que l’on s’y attarde. Du Sud Soudan, dont le processus d’indépendance devrait, si tout va bien, aboutir en juillet de cette année, aux multiples revendications séparatistes qui, de la Flandre à l’Irlande, l’Italie du Nord ou le pays Basque, agitent l’Europe, la question de l’indépendance continue d’agiter les passions politiques.

Que ces désirs, ces tensions, ces projets d’indépendance aboutissent ou non, entraînent derrière eux la majorité d’un peuple ou demeurent limités à quelques individus, importe peut-être moins que de comprendre les tenants et les aboutissants d’un phénomène qui, depuis l’Antiquité, est une constante de l’histoire humaine, et pourrait prendre dans les années à venir des formes inédites.

Après les indépendances de la décolonisation et la série d’indépendances post-soviétiques en Europe, les années à venir pourraient bien voir se jouer une série d’indépendances liées à des raisons distinctes du lourd héritage historique du XXe siècle. Alors que la domination « occidentale » sur les affaires politiques, économiques, militaires de la planète, entamée au XVIe siècle, prend peut-être – sans doute – fin sous nos yeux, mais que l’héritage de cette période, la mondialisation, demeure, la notion d’indépendance n’est peut-être plus la même.

Lorsqu’un pays se crée, par détachement d’un autre, doit-il disposer de tout les attributs d’un État westphalien pour être pleinement indépendant ? Rien n’est moins sûr. Dès aujourd’hui des proto-États, du Hezbollah aux Taliban, ont obtenu une « indépendance » politique de fait, bien que leur souveraineté soit contestée. Dans le même temps, d’autres États sont indépendants tout en ne disposant pas de certains attributs régaliens. Les pays de l’Union Européenne ne maîtrisent plus leur monnaie. Le Costa Rica a aboli son armée en 1949. Plus proche de nous, des nations virtuelles se sont créées, ou sont fantasmées, autour d’internet en particulier.

En même temps, l’interdépendance, justement, toujours grandissante des États du monde transformera un événement à l’importance autrefois localisée en un acte de portée mondiale. Si la Chine se fragmente, scénario parfois caressé, si l’Espagne implosent, si plus actuel la Lybie se fragmente, si au contraire la Corée du Nord est réunie à sa sœur ennemie du sud, quelles conséquences ces événements peuvent-ils avoir sur le reste du monde ?

Plus largement, la question de la fixité, voulue et clamée depuis des décennies, de l’ordre international existant, fondé notamment sur l’intangibilité des frontières, n’est peut-être plus tenable. Et en dépit du discours « cosmopolitariste » des chantres d’une mondialisation qui fondrait tous les peuples en un seul, vieux rêve brisé symboliquement par la chute de la tour de Babel, il semble bel et bien que la marche de l’Histoire soit, aussi, celle des indépendances et des interdépendances des peuples. Faite, défaite, refaite, l’indépendance est un sujet actuel.

C’est pour cette raison que, pendant tout ce mois de mars, les auteurs d’Alliance Géostratégique et leurs invités vont s’efforcer de creuser cette idée, et de répondre aux questions posées en ouverture de ces lignes. Et vous, que vous évoque l’idée d’indépendance ?

texte de Stent

Commentaires

1. Le jeudi 10 mars 2011, 12:53 par Nino

Vous l’avez dit, les volontés d'indépendance ne sont pas nouvelles. Il faut néanmoins mettre ces volontés en perspective des niveaux de maturité politique atteints par les nations remises en question. Un séparatisme revendiqué au sein d’un état post-moderne, tel que défini par Robert Cooper, ne procède certainement pas des mêmes causes qu’un séparatisme revendiqué au sein d’un état moderne ou pré-moderne.

Il est intéressant de constater que dans le cas de la Belgique, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Irlande, les légitimations au divorce des nations reposent principalement sur des motifs économiques. Dans le cas du Soudan, c’est surtout l’idée du vivre-ensemble qui posait problème. Faut-il pour autant conclure, dans le cas des états post-modernes, à l’expression régionale de l’individualisme croissant dans les sociétés libérales ? Le phénomène est certainement plus complexe que cela… AGS nous éclairera certainement sur ce point.

Ce qui est sûr, c’est que quels que soient le nombre et la taille des nations de demain, divorcées à l’amiable ou pas, la mondialisation ne manquera pas de leur rappeler à quel point elles sont interdépendantes. A l’heure du rejet massif du multiculturalisme, souhaiter fondre les peuples du monde en un seul est plus que jamais une gageure. Mais pour paraphraser le sociologue allemand Habermas, «de nombreux problèmes n'exigent peut-être pas un gouvernement mondial mais au moins un ordre cosmopolitique permettant une politique intérieure mondiale».

Je souhaiterais par conséquent qu’AGS oriente également son étude sur le rapport à cet ordre cosmopolitique souhaitable entretenu par les différents séparatistes. Par exemple : les régionalistes sont-ils porteurs de projets politiques, sociaux et économiques crédibles dans la mondialisation ? Quelles réponses avancent les régionalistes aux problèmes globaux ?

PS : ravi de pouvoir vous lire à nouveau, car contrairement à d’autres addictions, le manque d’EGEA nuit gravement à la santé !

égéa : pouvez-vous donner la référeence exacte de Robert Cooper, et nous en dire un peu plus ? je confesse ne pas le connaître. NB : beaucoup de lecteurs me disent que sur égéa, on fait des références cultivées comme si tout le monde connaissait, et qu'un peu plus de pédagogie aiderait la majorité.
Et je/nous sommes preneur d'une contribution qui développerait les points que vous soulevez : émettez des idées, l'angle d'analyse (comme celui que vous ébauchez) suffit à produire de la pertinence.

2. Le jeudi 10 mars 2011, 12:53 par Nino

Une première réponse rapide pour compléter mon post précédent avant contribution supplémentaire :

Robert Cooper, diplomate britannique, auteur de "The breaking of nations", dans lequel il développe une théorie de partition du monde en trois catégories : le monde pré-moderne (les États « voyous » et en faillite, les non états), le monde moderne (les états souverains) et le monde post-moderne où la souveraineté est partagée et supranationale (l’Union européenne). Pour en savoir plus, se référer à l'ouvrage de Charles Philippe David "La guerre et la paix".

3. Le jeudi 10 mars 2011, 12:53 par Nino

Cher EGEA, voici tout d’abord quelques éléments supplémentaires concernant Mr Robert Cooper :

Si son analyse de l’état du monde est considérée comme sérieuse et pouvant faire référence, ses propositions relatives au rôle de l’occident pour pacifier le monde sont partisanes et trop impérialistes pour être réellement prises au sérieux.

Article sur Robert Cooper : http://www.foreignaffairs.com/artic...

Ma contribution au débat portera sur le succès apparent des séparatismes dans les Etats post-modernes européens. Il me semble qu’au-delà d’une simple expression individualiste, égoïste et courte de vue, il est à rapprocher de l’incapacité croissante des Etats à garantir l’homogénéité socio-économique de leur territoire.

Selon Max Weber d’abord (Economie et société), l’Etat se construit sur trois facteurs : l’armée (monopole de la violence légitime), l’administration et l’homogénéisation du territoire.

Selon Paul Krugman ensuite (prix nobel d’économie), le commerce est conditionné par les rendements d'échelle. Ainsi, les régions économiques avec le plus de production vont devenir les plus compétitives et attirer plus d’entreprises. Ceci explique pourquoi, plutôt que de se saupoudrer également sur toute la surface du globe, la production a tendance à se concentrer dans quelques pays, quelques régions ou même quelques villes qui deviennent densément peuplées et bénéficient de revenus plus élevés.

Selon Jean-Marc Siroën enfin (professeur de sciences économiques à l’université Paris Dauphine), trois critères d’identification de la nation peuvent être retenus en économie : la mobilité, l’homogénéité, les externalités.
- Mobilité : la théorie néoclassique du commerce international suppose une parfaite mobilité à l’intérieur de la nation des produits, des facteurs et des techniques. La frontière physique qui sépare les nations est un obstacle à la mondialisation, qui suppose une intégration parfaite des marchés.
- Homogénéité des préférences : pas forcément synonyme d’identité commune, les frontières physiques délimitant les nations sont la représentation des frontières psychiques entre préférences.
- Minimisation des externalités : autrement dit préservation de l’exclusivité de jouissance des biens publics aux seuls membres de la nation (limitation des passagers clandestins).

Si l’on rapproche ces trois analyses des nations post-modernes, on observe que l’union européenne constitue une nation économique permettant désormais aux régions indépendantistes de se libérer des contraintes de leurs nations politiques d’appartenance et n’en retirer que des avantages. Qu’elle fasse ou non partie de l’Espagne, la Catalogne continuera de tirer partie d’un marché européen homogène et répondant aux critères de mobilité. En revanche une fois sortie de l’Espagne, le poids des externalités sera bien moindre. L’Italie du Nord, la Flandre, le Pays Basque espagnol, autant de régions pour lesquelles le calcul est le même.

A ce point du raisonnement, il est intéressant de déterminer pourquoi les séparatismes ne sont pas encore effectifs.

Une première clé est à rechercher du côté de l’idée de nation elle-même. Après des siècles d’un vivre ensemble consentant, difficile de remettre en question brutalement les identités au seul motif d’avantages économiques sans provoquer de réaction de masse. De ce point de vue, la crise qui dure risque d’accélérer le mouvement de l’histoire.

Une seconde clé est à rechercher du côté de la géopolitique. Lâcher les régions du Sud, en diminuer les moyens, c’est s’exposer à des vagues de migrants illégaux. Ainsi, un Etat comme la Belgique, moins exposé que l’Espagne ou l’Italie de par sa position géographique, devrait être le premier à franchir le pas.

Il est impossible de déterminer l’ampleur que prendront ces mouvements d’indépendance en Europe. On peut néanmoins affirmer que l’Europe sociale serait une mesure préventive à sa régionalisation, car seul levier efficace pour lutter contre les externalités. La survie de l’Etat-nation post-moderne est donc logiquement liée à sa capacité à partager sa souveraineté.

Mais peut-être que la relation classique de souveraineté attachée à la définition de l’Etat à travers son peuple et son territoire mériterait tout simplement d’être requalifiée ?

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