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Faut-il supprimer l'armée française ? suite

J’ai participé hier soir à un débat animé autour des thèses de PM Guillon. Aussi animé, quoique différement, que celui qui s'est déroulé chez égéa (voir ici, avec un presque record de 28 commentaires)

J'avais laissé les débats se dérouler, sans moi-même dire ce que j'en pensais. Il est temps (et honnête) que je sorte du bois. Car en effet, le discours de PMG souffre de quelques biais.

1/ Tout d’abord, il fait une hypothèse sur la rationalité profonde des acteurs, et sur la « raisonnabilité » des décideurs, et de l’opinion publique.

  • C’est d’une part méconnaître tout ce qu’on sait actuellement sur les biais psychologiques des prises de décision, sur la psychologie des foules, sur les mouvements de propagande et de cristallisation des émotions collectives (cf. psychopolitique). Plus particulièrement dans le cas de la guerre, celle-ci est aussi un duel, avec donc le risque de l’ascension aux extrêmes qui est porté à l’incandescence, notamment avec la totalisation des guerres que nous avons connue au cours des deux siècles passés.
  • Autrement dit, la guerre est un moment exceptionnel qui ne peut être une simple science (Clausewitz le rappelle sans cesse) mais est aussi un art.
  • Autrement dit encore, PMG est un idéaliste (au sens philosophique du terme) alors que penser la guerre nécessite une pensée concrète, certes spéculative, mais fondée sur la certitude de l’exception que constitue cet événement. Il faut relire Schmit qui montre que les temps normaux « civilisent » la guerre, mais que quand les conflits surviennent, l’escalade est toujours possible et toujours beaucoup plus rapide qu’on l’imaginait.

2/ Autre hypothèse, celle de la stabilité de l’environnement, celle de la continuité des conditions politiques et économiques.

  • Or, on ne peut constater qu’une seule chose : la certitude de la surprise stratégique. Celle-ci ne signifie pas qu’elle était imprévisible, ainsi que je l’ai déjà expliqué : seulement que ceux qui voyaient les signaux soit les décryptaient mal, soit n’étaient pas audibles par les décideurs ou l’opinion. Que l’on songe à ces surprises aux conséquences stratégiques qu’ont été le 11 septembre (2001), l’insurrection afghane (2006 : rétrospectivement beaucoup plus prévisible, mais en 2005, rares étaient ceux qui l’annonçaient), la crise des subprimes (2008) ou les révoltes arabes (2011).
  • Au fond, la loi de la surprise stratégique est à la géopolitique ce que la loi du contournement stratégique (Desportes) est à la guerre. Il s’ensuit une appréhension « du temps » qui me paraît trop simple chez PMG, qui fait une hypothèse de stabilité de l’environnement.
  • Accessoirement, on pourra évoquer la question du décalage entre Court terme et long terme, la question de l’irréversibilité, le fait que des programmes d’armement ou des systèmes d’hommes se bâtissent sur trente ans….

3/ PMG fonde son argumentation sur une critique de la dissuasion. Outre qu’elle est un peu spécieuse (mais il faudrait entrer dans les détails), elle repose sur une vision assez simpliste de la guerre contemporaine :

  • au fond, pour PMG, il y a deux guerres : la guerre conventionnelle, qui a atteint son paroxysme en 1945, et la guerre nucléaire. C’est à l’évidence une vision très réductrice, qui méconnaît l’augmentation des milieux de la guerre (Terre, mer, air, nucléaire, spatial exo-atmosphérique, cyber, noos, …), chacun de ces milieux ayant des règles stratégiques particulières qui sont toutefois compatibles avec les règles stratégiques générales :
  • au fond, on est aujourd’hui contraint d’agir dans chacun des milieux, et d’admettre que l’un des milieux n’obère pas l’existence des autres milieux : une victoire dans un milieu n’assure pas forcément la victoire totale. La guerre est devenue désormais enchevêtrée. Or, l’armée est l’institution qui permet d’agir, potentiellement, dans tous ces espaces.
  • Dès lors, le raisonnement de PMG est biaisé qui affirme : la guerre nucléaire est impossible, improbable et ingagnable, donc ce milieu de la guerre est condamné, donc il faut réduire aussi les forces classiques.

Il reste toutefois, et on lui doit ce mérite, qu’il pose la question de l‘équilibre des moyens à accorder aux différentes actions possibles selon les milieux de la guerre où nous pourrions intervenir. C’est une vraie question !

4/ A propos du nucléaire, je trouve qu’il balaye un peu vite le lien qu’il y a entre « puissance nucléaire » et « puissance de rang mondial ». Cela mérite également développement. On y reviendra un de ces jours.

5/ PM appelle à redistribuer les moyens vers une « guerre économique et culturelle ». Outre que je suis assez rétif à cette inflation du mot « guerre », je pense qu’il faut rappeler quelques éléments de principes. La guerre est fondamentalement liée à l’Etat et au fait politique.

  • La guerre n’est pas seulement la continuation de la politique par d’autres moyens, car la politique est également la continuation de la guerre par d‘autres moyens (Lénine), expression radicale du courant Hobbesien, illustré de façon plus récente par Carl Schmitt. En termes économiques, la défense est fondamentalement un bien public. La guerre est politique.
  • L’économie est irréductible au politique, car l’économie est fondamentalement une chose privée. Cette irréductibilité ne signifie pas qu’il n’y ait pas des zones de recouvrement. Seulement qu’on ne peut abdiquer une dimension au profit de l’autre.
  • D’ailleurs, au cours du même débat, PMG a concédé que plus que d’une guerre économique, il pensait surtout à une guerre de la connaissance (entendue comme moyen de différenciation économique) : cela infère la possibilité d’un nouveau milieu de la guerre, celui du sens (noos ?). Il conviendrait d’évaluer l’hypothèse.

6/ Comme toujours, il y a énormément d’affects dans les débats. Les expériences passées (LA défaite de 1940, la réaction gaullienne, …) touchent profondément chacun. Surtout, cela pose la question du rapport à la puissance, qui est une question fondamentale. De façon subliminale, c’est la question de la géopolitique de la France qui est ici posée. Ça tombe bien, je travaille pas mal dessus. On y reviendra.

7/ Car PMG a au fond un immense mérite quelles que soient son tropisme libertarien plus ou moins caché, ses erreurs d’analyse ou la fausseté de telle ou telle conclusion. Je pourrais bien sûr me référer à Voltaire (je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrais pour que vous les exprimiez) et ce ne serait pas faux. Je crois qu’au-delà de cette position de principe (elle met toujours celui qui la cite dans une position avantageuse, mais suggère également que l’autre raconte n’importe quoi : c’est une très habile figure rhétorique) PMG pose en subliminal des questions de fond, et qu’il est très sain qu’un « citoyen » les pose, avec courage (car dans le débat d’hier, il a quand même ressemblé à Saint Sébastien, avec tout un tas de flèches partout) :

  • pourquoi une puissance moyenne a-t-elle une défense ?
  • comment doit-elle effectuer ces choix ?
  • vous, politiques, ne pouvez vous abstraire de ce débat qui est, au sens premier, fondamental et que vous avez tendance à négliger. Quelles sont vos options stratégiques ?

Qu’un débat vienne de la base et suscite l’intérêt, voilà ce qui est essentiel aujourd’hui et qui mérite de faire écho, en les discutant, aux thèses de PMG. Autrement dit, c’est de façon très intéressée, et bien que pas d’accord avec lui, que je le remercie de sa position hétérodoxe : elle favorise le débat. Et un débat de fond. Salutaire.

Merci à lui, et débattez ...

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par Christophe Richard

Bonsoir,

Je trouve que les deux derniers billets que vous venez de mettre en ligne sont révélateurs de la question fondamentale qui nous est posée. Le premier billet, qui interroge sur les constructions politiques à venir, et celui-ci qui prolonge le débat sur la force qui est nécessaire face aux guerres probables et possibles.
Et bien vous avez là un résumé de la question du Nomos qui ne nous a pas encore été révélé, mais qui commence à produire ses effets puisque nous nous interrogeons à son sujet.
Quel droit organise l'espace et permet la violence légitime en fonction du lieu considéré.
Il y a là matière à une vie de travail!.... Heureusement Carl Schmitt nous a laissé une solide base de départ avec un état des lieux en 1950, largement influencé par la domination des Etats-Unis, et un processus consommé de décomposition du Nomos européo-centré qui s'était répandu sur le monde à partir de la découverte et de la conquête du Nouveau Monde.
Les questions qui se posent à nous aujourd'hui héritent de ce passé si récent.

En conclusion trés partielle, il est sans doute à conseiller de lire "le nomos de la terre", et de le méditer... (Mais l'un comme l'autre demandent du temps, je ne saurais donc aller plus avant aujourd'hui).

... Sinon, pour l'armée française, je propose plutôt qu'on la garde...

Bien cordialement

2. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par Midship

Vous faites, cher Egéa, de notre trublion bien noble cas.
Si c'est d'applaudir la naissance du débat sur le principe même d'armée, de guerre, de défense etc, et particulièrement parmi les profanes, qu'il s'agit, vous trouverez tous vos lecteurs habituels à vos côtés. Ces lecteurs dont je fais partie sont d'ailleurs parfois eux-même des béotiens qui, intéressés, se sont documenté, avant d'avoir pour certains été jusqu'à avoir une activité professionnelle en relation avec la Chose.
Ce débat là, nous sommes les premiers à regretter qu'il ne soit pas assez présent.

Néanmoins à la lumière de ses propres propos, il faudrait prendre garde à ne pas oublier que le débat est empêché en premier lieu par l'auteur du livre lui même. N'a-t-il pas posté lui-même de longs et nombreux commentaires pour nous dire que nous n'écoutions ni ne lisions pas, que nous étions quoi qu'il arrive incapable de comprendre, trop empêtrés dans nos habitudes conformistes, que nous étions réactionnaires et conservateurs, et l'auteur d'user d'ironie pour dire ô combien lui, martyr, détenait une vérité que nous n'acceptions pas.

J'ai, au café du commerce et parmi mes proches, eut mille fois l'occasion de débattre de l'utilité (de la nécessité, en fait) même d'avoir une armée qui, peu ou prou, avait le format des armées occidentales actuelles. Nous vivons dans une société qui a oublié. Il est du rôle de chacun de dialoguer et d'expliquer en quoi la nation pouvait et devait mettre des armes dans les mains des siens afin, le cas échéant, de tuer. Cela ne va pas de soi. Mais mille fois ces discussions étaient plus ouvertes et logiques que les échanges qu'on a pu connaitre à l'occasion de votre précédent billet.

L'auteur se présente comme le premier à avoir une idée géniale, que des millions de personnes ont déjà eu et, étrangement, que des millions de personnes ont déjà abandonné. Son discours ne tient pas l'analyse critique sur le fond et, plus grave, son auteur ne supporte pas la critique tout court.

On ne peut avoir raison si l'on n'accepte pas la possibilité d'avoir tort : comme vous le disiez, il faut se méfier de ceux qui pensent avec leurs pieds.

3. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par yves cadiou

Mais dites-moi, cher Olivier Kempf, vous concluez sur à peu près ce que j’écrivais dès le début http://www.egeablog.net/dotclear/in... « D’emblée un point positif : c’est un projet politique pour l’Armée française qui en manque singulièrement depuis quelque temps.(...) Donc on ne va pas a priori se plaindre que quelqu’un propose quelque chose. »

Alors vous avez sans doute raison : pourquoi ne pas passer par le biais d’un bouquin pourtant mal titré (vous avez bien fait de ne pas reprendre le titre) pour que le Politique comprenne que parmi ses électeurs il s’en trouve beaucoup qui s’intéressent au Soldat. Je ne trouve dans ce bouquin que de vieux arguments auxquels le temps a donné tort, je l’ai déjà dit, mais dans son environnement il y a une nouveauté : c’est que désormais on peut réfuter et débattre de façon vivante et réactive, accessible au grand public sans tenter de passer par le courrier des lecteurs et par conséquent sans se heurter à des rédacteurs en chef qui croient que le sujet n’est pas vendeur et que, de toute façon, les militaires n’ont rien à dire.

Le débat dure depuis un demi siècle mais il prend une autre tournure parce que désormais nous ne sommes plus obligés de laisser le monopole de la parole aux incompétents. En prolongeant ce débat nous avancerons peut-être vers la solution d’un problème que nous connaissons tous trop bien : ce problème a été mentionné par les généraux qui participaient au colloque « place du Soldat dans la société », à l’Assemblée Nationale http://www.egeablog.net/dotclear/in... : « la méconnaissance des questions de défense par les élites (qui peuvent) arriver aux plus hautes responsabilités de l’Etat en ignorant tout des questions militaires et de défense. »

4. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par HT

Il est malheureusement clair qu'un débat sur les thèmes évoqués dans le bouquin de Pierre-Marie Guillon ne pourront jamais été traités honnetement, clairement et simplement avec bien des contributeurs de ce blog qui manquent totalement de sens moral et d'honneteté intellectuelle.

La pire tare de ces refaiseurs de monde, type "bar d'un hotel quatre-étoiles" (les bars du commerce sont également peuplés de grandes gueules mais honnetes...), c'est qu'il savent tout sur tout et définitivement.

Exactement le positionnement de l'état-major français avant la dérouillée de 1940...

Rien n'étonne vraiment dans leurs arguments de mauvaise fois reposant sur les retournements des propos adverses et des réductions malhonnetes des textes de PMG. Réflechir ensemble, tenter de construire serait une bonne chose même si c'est pour s'apercevoir que ce n'était pas le bon chemin ou pas la bonne destination... mais avec les messieurs sus-évoqués, ce n'est pas la peine : La construction est déclarée impossible par principe (comme le pape dont j'ai oublié le nom qui décidait que le soleil tournait autour de la terre...).

Au fait PMG a été prévenu que le "bebete show" reprenait sur son bouquin ?

égéa : votre contribution est "provocatrice", sans argument autre que l'invective et le procès d'intention. Je la laisse pour une seule raison : elle "défend" PMG, même si la qualité du soutien n'est pas forcément celle qu'il aurait souhaité, mais c'est une autre histoire. J'avertis toutefois tous les lecteurs d'égéa que je repousserai "à la fourche" toute polémique du niveau de celle-ci ou en réponse à celle-ci. Bref, égéa restera un blog sérieux, sans des invectives dignes (!) d'autres blogs.

Jusqu'à présent, je me flattais d'avoir des commentaires d'excellente qualité, sans avoir eu besoin de modérer, sauf dans une dizaine de cas (sur 1900 commentaires). Il va de soi que l'augmentation de l'audience ne s'accompagnera pas d'une baisse de qualité. Et je suis seul juge en la matière. A bon entendeur....

5. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par HT

à EGEA : Je ne souhaite pas polémiquer et je pense avoir dit sans malignité ce que j'éprouve à la lecture de certaines contributions. Je n'ai pas placé d'arguments pour toutes mes critiques, je le reconnais bien volontiers, mais c'est volontaire. Toutes les propos de PMG par exemple, ou ses ecrits dans le livre objet du débat (lu par qui au fait ???), ont été déformés (lisez les textes et regardez les propos déformant le vrai...) et des proces d'intention ont été dressés sans aucune honneteté. Il faudrait un temps dont je ne dispose pas pour recadrer ces personnes, et de plus je n'en ai pas envie. Rassurez vous, je n'ouvrirais plus la bouche sur le sujet ce serait totalement inutile et je ne souhaite pas plagier Audiard à propos de certains de vos lecteurs. Comme les commentaires sont modérés, vous allez probablement zapper ceci, mais ce n'est pas grave, c'est destiné en priorité au modérateur afin d'éclairer mon propos, sans illusion sur la suite...

6. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par Pierre-Marie GUILLON

Cher Olivier Kempf,

Après lecture attentive de votre commentaire, rédigé à la “sortie du bois”, j’éprouve la curieuse sensation que vous parlez d’un auteur qui n’est pas moi et d’un livre que je n’ai pas écrit. Pourtant, je sais que vous avez lu mon livre – ce que je ne considère pas comme une obligation, contrairement à ce que suggère un des commentaires faisant suite au vôtre, sinon pour qui voudrait en parler à bon escient.

Commençons par l’auteur.
Vous me dites idéaliste, dans le sens philosophique. Cette précision est utile car le terme a au moins deux sens, peut-être trois.
Sens philosophique : l’idéalisme est la doctrine selon laquelle nous connaissons seulement nos idées et nos représentations, non la réalité. En ce sens, je me fiche éperdument d’être ou de ne pas être idéaliste car cette doctrine ne me semble pas présenter le moindre intérêt, d’abord parce que nul ne trouvera jamais la réponse à l’interrogation qu’elle renferme, ensuite parce qu’il me semble impossible d’en tirer la moindre conclusion pratique pour mieux conduire sa réflexion et son action.
Sens courant : selon le Petit Robert idéaliste signifie « Qui a un idéal » et idéalisme « Attitude d’esprit ou forme de caractère qui pousse à faire une large place à l’idéal, au sentiment, pour améliorer l’homme. » En ce sens, oui, je suis un idéaliste et j’en suis fier.
Dans un troisième sens, peut-être le plus utilisé, mais non mentionné par les deux dictionnaires que j’ai consultés, idéaliste s’applique plutôt à qui manque de réalisme, autrement dit à qui ne tient pas compte des faits. Je crains un peu que, tout en vous référant à la philosophie, ce soit plutôt à ce troisième sens là que vous ayez en tête. Vous me le direz un jour.

Vous parlez de mon « tropisme libertarien plus ou moins caché ». C’est grave docteur ? Vous me le direz aussi. Quoiqu’il en soit, j’avoue mon addiction à une liberté que je crois doublement féconde : d’une part pour l’homme, d’autre part pour la société, à condition que cette liberté soit encadrée avec mesure et à bon escient.
Un dernier point avant d’arrêter de parler de moi : merci de rassurer Midship, je ne me prends pas pour un martyr, n’en ayant pas le goût et souscrivant au demeurant à ce conseil de Rabelais qui incite à défendre nos idées jusqu’au bûcher, exclusivement.
Passons maintenant au livre, sujet plus intéressant et plus utile.

En définitive, parlons-nous bien de la même chose ?
J’ai reçu pas mal de commentaires sur mon livre et/ou sur l’idée qu’il faut supprimer notre armée en quasi-totalité. Les plus nuls de ces commentaires – et de loin – viennent des politiques, les plus favorables des civils, les plus intéressants des militaires.
Quand ils traitent le sujet, ces derniers s’interrogent sur l’évolution géopolitique du monde, les dangers bien réels qui en résultent et la meilleure manière d’y faire face, autrement dit – pardon de simplifier – sur l’art de préparer et de conduire les guerres de toute nature. Or, hormis s’agissant de la dissuasion et de ce que j’ai appelé la guerre économico-culturelle – je viendrai dans un instant sur ces deux points – j’ai le sentiment de ne pas m’être placé dans ce cadre là, du moins ne l’ai pas voulu.
Cela pose une question : traitant de l’armée sans traiter de la guerre, qu’est-ce que j’ai dit ou voulu dire ? Réponse : j’ai voulu démontrer que la guerre n’est plus de notre compétence et n’est plus à notre portée ; que nous pourrions encore la subir mais non la contrer et la gérer. Cette question est d’ordre politique, non militaire.
J’ai essentiellement fondé mon argumentation sur cinq constats – qui, pardon de reparler de moi, me semblent contredire votre affirmation selon laquelle je prendrais pour hypothèse « …la stabilité de l’environnement ». Voici ces points.
1/ L’évolution du monde nous prive progressivement de notre indépendance et de notre souveraineté.
2/ L’évolution des armes vient d’atteindre ce point où, dans la nature, une progression uniformément accélérée débouche nécessairement sur une mutation qui engendre une problématique nouvelle.
3/ L’évolution de nos sociétés vers une complexité, une technicité, une urbanisation et, pourrait-on dire, une sensibilité croissantes les prive de toute possibilité de gérer une guerre importante.
4/ L’évolution du pouvoir politique dans notre pays nous conduit à un État incapable de prendre des décisions courageuses, a fortiori extrêmes.
5/ L’évolution de l’Europe nous montre qu’il est inutile de rêver après une armée européenne parce qu’il ne peut exister d’armée sans gouvernement et qu’il n’y aura pas de gouvernement en Europe avant très longtemps, si même un jour il s’en crée un.
Bref, je n’ai pas traité du comment prévoir, préparer et faire la guerre pour en conclure ensuite que nous n’avons pas besoin d’armée. J’ai voulu montrer pourquoi, que nous ayons ou non à la subir un jour, la guerre se situe définitivement hors du périmètre à l’intérieur duquel peuvent s’exercer efficacement notre volonté et notre action, autrement dit hors du périmètre de notre pouvoir. Ainsi, votre réflexion se place dans le cadre de la guerre et de sa préparation, je me place résolument hors de ce cadre. Dans ces conditions, difficile d’être d’accord et peut-être même de se comprendre vraiment.
En affirmant cela, je ne vise pas les conflits où nous interviendrions en qualité de gendarme, en collaboration avec la communauté internationale, pas plus que je ne vise le terrorisme qui ne me paraît pas relever d’une armée au sens classique du terme.

Un mot de la dissuasion.
J’ai longuement parlé de la dissuasion dans mon livre, bien que n’étant pas militaire. Cela peut sembler contradictoire avec ce que je viens de dire du cadre de ma réflexion. Je ne crois pas : la question de la dissuasion est si extra-ordinaire que le problème me semble sans rapport avec l’expérience acquise et hors de portée d’une réflexion seulement technique, en sorte que tout citoyen est fondé à s’en saisir et devrait le faire. C’est en cette qualité que je me suis prononcé et que je l’ai critiquée.
Précision : je ne regarde pas cette critique comme le fondement de mon argumentation – ce fondement étant constitué par les cinq points cités sous le titre précèdent “Traitons-nous le même sujet ?”.
Je résume très brièvement mon point de vue “citoyen” sur notre dissuasion :
- son efficacité est sujette à caution, ce que le simple bon sens suggère et ce que des experts infiniment plus compétents que moi ont clairement affirmé ;
- la menace latente que notre dissuasion peut faire peser sur d’autres pays – ou que d’autres pays peuvent estimer courir de son fait – nous fait représente pour nous un vrai danger ;
- entre un fou et un raisonnable, c’est toujours le raisonnable – nous en l’espèce – qui sera dissuadé ;
- en cas de conflit, si nous avons la Bombe, si la dissuasion n’a pas fonctionné et si nous ne sommes pas dissuadés, nous courrons le risque – alors quasi certain – de destruction totale et définitive, l’acceptation de ce risque constituant, toujours à mes yeux citoyens, une ânerie monumentale et criminelle.
J’aimerais que, faits à l’appui, on me démontre pourquoi je me suis trompé sur chacun de ces quatre points. Voilà un bien beau sujet de débat, à porter à mon sens sur la place publique.
Précision : en parlant d’ânerie, je ne prends pas pour un esprit supérieur égaré face à des esprits faibles. En effet, je crois que la création de la Bombe et son maintien font partie de ces décisions qui, formellement, ont nécessairement été arrêtées par quelqu’un ou par quelques uns mais, en réalité, n’ont été prises par personne. Elles sont seulement le produit d’une sorte de progression automatique le long d’une pente commode suivie sans jamais se demander si l’on pourrait faire autrement. Je n’accuse donc pas la déraison de mes semblables mais l’habitude de ne pas se remettre en question à intervalles réguliers.

Un mot de la guerre économico-culturelle.
Il me semble clair que nous nous américanisons de plus en plus et depuis longtemps, en raison de la protection que nous ont apportée par trois fois les Etats-Unis et, plus encore, de leur puissance économique et culturelle ; que les rivalités entre nations migrent vers le terrain économique enfin que l’émergence des puissances asiatiques, et de quelques autres, risque, si nous n’y prenons garde et si nous ne nous protégeons pas, d’être conduits au sous-développement.
Ai-je raison ou tort d’appeler cela guerre économico-culturelle ? On peut s’interroger. Mais comment appelez-vous l’action – délibérée ou non –, conduite par des puissances étrangères et pouvant avoir pour effet de nous faire disparaître économiquement et culturellement ? Qu’est-ce qui resterait après une telle disparition ? À l’extrême un peuple d’exécutants ayant oublié leur culture et leur langue ? Voilà pourquoi, soit dit en passant, le supposé libertarien que je serais croit que l’économique n’est pas irréductible au politique, au contraire. C’est sur ce terrain que se joue notre avenir et celui de nos enfants.

Un mot sur la liaison entre Bombe et statut de grande puissance.
C’est vrai que, dans mon livre, j’ai été un peu bref sur ce point. Je me suis expliqué plus longuement dans un article récemment publié par l’Institut Turgot et qui peut encore être lu sur son site.

Un mot enfin sur ma conclusion.
Quand je rapproche mes trois principales constatations :
- notre illusion d’être – ou d’être redevenu – une grande puissance grâce à la Bombe,
- le fait que nous dilapidons des moyens considérables pour nous protéger de dangers dont nous n’avons et n’aurons plus la maîtrise,
- le danger de mort que nous fait courir une compétition économique déchainée,
je dis et maintiens que nous faisons fausse route et qu’il faut employer nos moyens à nous battre là où nous pouvons et devons le faire, autrement dit, là où le danger est le plus grand et le plus pressant.

Pour finir
Et, puisque l’on me taxe de provocation – ce qui n’est pas exact, ne me déplait pourtant pas et, au demeurant, constitue une affirmation un peu “pousse au crime” –, sachez que je me demande parfois si l’audace – l’une des vertus cardinales du stratège – ne serait pas de mon côté ? Certes, la non défense est impensable au sens littéral du terme ; certes, ce serait risqué de supprimer notre armée en quasi-totalité ; certes, on rencontrerait des difficultés, peut-être importantes, notamment sur les plans économique et diplomatique ; mais je pense que c’est à ce prix que nous pouvons – car nous possédons encore des atouts considérables – nous construire un avenir magnifique mais auquel nous tournons complètement le dos.

Voilà, cher Olivier, les quelques réflexion que m’inspirent les vôtres. Pardon d’avoir été un peu long. Permettez-mois d’ajouter à ces quelques commentaires mes félicitations très sincères car je trouve digne d’éloges l’indépendance d’esprit avec laquelle vous avez osé ouvrir le débat.

Pierre-Marie GUILLON

7. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par

@ Pierre-Marie Guillon
Une bonne idée serait de nous faire un copier-coller des commentaires venant des politiques. Ils sont « les plus nuls, et de loin » selon vous et c'est malheureusement possible. Mais si vous nous les montrez, ça nous permettra d’en juger démocratiquement. On pourra les annexer au colloque sur la place du Soldat dans la Société qui s’est tenu à l’Assemblée Nationale http://www.egeablog.net/dotclear/in...
C’est un peu incohérent que d’évoquer continuellement la nécessité d’un débat (ce que personne ne conteste ici) pour ensuite faire de la rétention.

8. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par Jean-Pierre Gambotti

Cher Monsieur Guillon,
Ce qui me dissuade habituellement de débattre de la dissuasion, c’est qu’on ne convainc jamais son interlocuteur. Dans cette confrontation de raison et de passion, il n’y a pas de dialogue, que des monologues obsessionnels.
Aussi si je m’aventure à répondre aux « quatre points du citoyen Guillon sur la dissuasion » de votre dernier post, c’est parce que je ne poursuivrai pas le débat au-delà de ce court commentaire.
1° point : « L’efficacité de la dissuasion est sujette à caution. »
Historiquement personne ne peut nier que la guerre des blocs ne fût que froide et que si le monde et l’Europe occidentale n’ont pas été vitrifiés, malgré des crises apocalypticogènes -et je ne pense pas simplement à Cuba, c’est peut-être grâce à la peur réciproque de l’atome.
Dans l’avenir, la France aura toujours des intérêts vitaux et l’environnement stratégique global en perdant sa binarité s’est complexifié et a accru sa dangerosité, le concept français s’est adapté, Louis Gautier parle « des habits neufs » de la dissuasion française.
Quant au « bon sens » substitué à la raison…. au secours ! J’estime qu’en stratégie nous devons en laisser l’usage au sapeur Camember… ou préparer son casque lourd.
2° point : « Notre menace latente fait peser un vrai danger. »
Magnifique truisme, si ce n’était pas le cas la crédibilité de nos FN serait nulle et notre stratégie de dissuasion inopérante ! C’est l’argument même de la dialectique nucléaire, la menace suprême d’emploi du feu nucléaire doit annihiler toute velléité d’action hostile de l’adversaire potentiel.
3° point : « Entre le fou et le raisonnable. »
Si le « fou » possède la bombe, c’est qu’il n’est pas totalement déraisonnable ! Bien entendu cette réponse ne suffit pas, car la dissuasion, ce dialogue fondé sur des enjeux de létalité massive et d’intérêts vitaux, est par essence le lieu de la rationalité et de la responsabilité.
Si le « fou » considéré est un Etat, il ne peut pas être en dehors de cette logique car agissant au nom d’un peuple et pour les intérêts vitaux du peuple, la raison lui sera imposée par ce peuple.
Si le « fou » est une entité non étatique, il ne peut s’agir que de terrorisme, donc d’un chantage nucléaire limité, nous sommes en conséquence en dehors du champ de la dissuasion. Mais j’ajouterai que même ce « fou » a des intérêts vitaux…
En fait cette option stratégique « du raisonnable au fou » n’a pas de sens en termes de dissuasion, elle est purement fantasmatique, mais comme dans le domaine de la dissuasion nucléaire l’irrationnel pèse aussi, faisons de la pédagogie et tentons de l’éradiquer.
4° point : « Si la dissuasion n’a pas fonctionné ».
….c’est qu’elle a échoué, mais je ne comprends pas votre hypothèse !
Dans le cas d’un conflit de la France avec une puissance nucléaire menaçant nos intérêts vitaux, la menace signifiée d’emploi des feux nucléaires devrait contraindre l’agresseur à interrompre ses opérations. Si l’agresseur dissuadé interrompt son action, nous revenons à la situation ante, c'est-à-dire à la cessation des hostilités ou au pire à un combat sub-nucléaire n’engageant pas nos intérêts vitaux. Si l’agresseur n’est pas dissuadé de surseoir à son action, la frappe d’ultime avertissement peut être déclenchée, elle a pour objet de rationaliser le comportement de l’adversaire en lui signalant que le combat change de nature et que les frappes stratégiques seront le prochain niveau dans l’escalade nucléaire. Si l’agresseur abandonne son action, la cessation des hostilités est la seule issue possible. Si l’agresseur poursuit son action mettant en danger nos intérêts vitaux, les frappes stratégiques sont déclenchées …
Fin de la séquence…

Adaptant la définition de la stratégie du général Beaufre et posant la dissuasion comme la « dialectique des volontés utilisant la menace d’emploi d’armes d’une puissance cataclysmique pour résoudre leur conflit », on comprend aisément que ce qui est essentiel dans la dissuasion, c’est la gestion de la menace, le passage à l’acte étant évidemment son échec funeste.
Rappelons qu’à l’époque de guerre froide, les deux blocs raisonnaient (ou déraisonnaient) la guerre en ambiance MAD, acronyme signifiant en lui-même, pour « Mutual Assured Destruction ». D’évidence chacun des blocs devait aspirer à bien manœuvrer la menace plutôt que d’être conduit à l’apocalypse ! Mais il faut noter qu’aujourd’hui et pour le moyen terme, la menace nucléaire, pour la France, se situe sur d’autres azimuts et que les pays nucléaires ou proliférants n’ont pas et n’auront jamais la surcapacité létale de l’arsenal nucléaire des deux protagonistes de la guerre froide. « La France dispose de façon indépendante des moyens adaptés à une grande diversité de situations, c’est ce qui confère à la dissuasion française sa crédibilité », souligne le Livre Blanc. Mais la menace nucléaire est dès à présent plurielle, ce qui implique que la stratégie déclaratoire de la France s’adressant à des agresseurs potentiels plus nombreux, se doit d’être parfaitement claire pour être clairement comprise par chacun d’eux. Mais aussi par le peuple français, car il n’y a pas de dissuasion nucléaire sans adhésion populaire, et sur ce point nous sommes parfaitement d’accord Monsieur Guillon, le politique nous doit un débat sur ce sujet …vital. A condition qu’il soit précédé par une phase pédagogique intense pour les citoyens et les politiques. La Défense nationale intéresse peu et la dissuasion ennuie, par sa complexité supposée, jusqu’aux candidats à la Présidence de la République, qui devraient pourtant se sentir concernés au premier chef…
Bien à vous.
Jean-Pierre Gambotti

9. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par Pierre-Marie GUILLON

Un mot d’abord à Yves Cadiou. Sans faire de rétention, je n’ai certes pas publié les réponses qui m’ont été faites, par qui que ce soit. Trois raisons : 1/ je n’y ai pas pensé. 2/ Je crais qu’elles n’ont pas une grande valeur probante en raison de leur nombre qui, sans être négligeable, n’est pas suffisamment élevé pour me sembler significatif. 3/ Enfin, et surtout, parce que ce ne sont pas des messages envoyés sur un site mais des lettres ou des courriels qui m’étaient personnellement destinés. Je ne me sens donc pas autorisé à les publier.

À nous deux maintenant, Cher Jean-Pierre Gambotti. Vous avez repris mes quatre points concernant la dissuasion, j’y reviens en suivant le même ordre.

Sur l’efficacité de la dissuasion.
J’ai effectivement dit qu’elle est sujette à caution mais cette affirmation s’abritait, en quelque sorte, derrière des dires d’experts que j’ai déjà cités sur ce site.
Quant à l’argument des effets de la dissuasion dans le passé passé, toujours et sempiternellement utilisé, je ne l’ai jamais nié, mais il ne me semble pas suffisant, s’agissant d’un monde en mutation croissante.
Quant au bon sens, je n’ai pas dit qu’il se substituait à la raison mais qu’il “suggérait”.

Sur le danger couru du fait de notre force de dissuasion
Vous me répondez en citant la crédibilité de notre force nucléaire. Ce n’est pas la question que j’ai traitée en parlant du danger subi par nous.

Sur le fou et le raisonnable
Là, Pardon ! mais vous avez vraiment fait très, très, très fort. Je vous cite :
« Si le “fou” possède la Bombe, c’est qu’il n’est pas totalement déraisonnable […]
La dissuasion, ce dialogue fondé sur des enjeux de létalité massive et d’intérêts vitaux, est par essence le lieu de la rationalité et de la responsabilité […]
Si le “fou” considéré est un État, il ne peut pas être en dehors de cette logique car agissant au nom d’un peuple […] la raison lui sera imposée par ce peuple ».
Si on rédige un jour une encyclopédie sur la pétition de principe, vous y aurez droit à une place d’honneur ; dito en matière d’optimisme.
Je résume la pétition de principe : puisque j’ai raison de pratiquer la dissuasion, c’est donc que la dissuasion est rationnelle.
Je résume votre optimisme : puisque la Bombe est là pour défendre un peuple, ce peuple aura voix au chapitre.
Vous pensiez peut-être à l’Iran et à la Corée du Nord ?
Je suis sans voix.
Si je reprends mes esprits, je me permettrai – me référant pour une fois à l’histoire – de penser que si les nazis avaient détenu nos armes, le monde aurait sans doute disparu dans un cataclysme nucléaire sans que le peuple allemand soit préalablement consulté par référendum.
Et n’allons pas objecter que cela aurait été possible à condition que les nazis aient été seuls à détenir la Bombe, à défaut de quoi ils auraient été dissuadés. Au bord de la défaite, ils auraient tout simplement préféré le suicide collectif au suicide individuel.
Qui nous assure que de tels dictateurs ne se représenteront pas dans l’avenir ?

Sur le non fonctionnement de la dissuasion
Sur ce point, j’admets que l’expression utilisée n’est pas parfaitement limpide. Je m’explique donc : je voulais traiter de l’hypothèse dans laquelle notre dissuasion n’atteindrait pas son objectif – avec ou sans prétendu et ridicule “ultime avertissement” – objectif qui est d’obliger l’adversaire à ne pas attaquer avec sa Bombe. Ne pas fonctionner signifiait donc que, cet objectif n’étant pas atteint, l’adversaire ne serait pas dissuadé, ce qui nous obligerait à baisser les bras – ce que je pense le plus probable – ou à tenter d’intercepter des missiles et à frapper l’adversaire. Conséquence pratique : la France rayée de la carde et de l’Histoire.

Cela étant, je l’ai dit et le confirme, mon analyse citoyenne – j’y tiens –de la dissuasion ne constitue pas – et je le redis aussi pour notre cher Olivier Kempf – la base de mon argumentation. La base de mon argumentation est qu’une guerre majeure constitue un phénomène qui échappe et échappera désormais totalement à notre emprise. Nous pourrions encore la subir, hélas ! nous ne pourrions plus la maîtriser. J’ai exposé mes raisons, je n’y reviens donc pas.

Encore un mot : j’ai beaucoup aimé « les habits neufs de la dissuasion française ». Cela me fait irrésistiblement penser aux « Habits neufs de l’Empereur », le plus célèbre des contes d’Andersen. Je n’aurais peut-être pas osé mais, puisque c’est vous qui le dites…

Très cordialement,

Pierre-Marie GUILLON

10. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par yves cadiou

Monsieur Guillon, les arguments que vous m’opposez pour ne pas publier les commentaires des hommes publics auxquels vous faites allusion, ce ne sont pas des « raisons ». Ce sont tout au plus des motifs : si vous souhaitez vraiment un débat, votre attitude n’est pas rationnelle.

On ne peut que vous approuver de vous intéresser à l’armée française et d’attirer l’attention des décideurs politiques sur cette institution indispensable. Trop d’entre eux ont pris l’habitude de négliger l’armée à cause de son mutisme auprès du public, c’est-à-dire auprès des électeurs. Heureusement le mutisme prend fin, grâce notamment à la Toile qui permet de contourner les rédacteurs-en-chef et les éditeurs persuadés que le sujet de la politique militaire n’est pas vendeur à moins de l’affubler d’un titre racoleur. Mais le succès des blogs montre que le sujet intéresse, et de ce fait le nombre de réponses que vous avez reçues est en lui-même significatif. Vous dites vous-même qu'il n'est "pas négligeable", nous sommes d'accord.
Aucun des motifs que vous avancez ne vous empêche de nous dire le nombre de réponses reçues.

Qu’il s’agisse de commentaires qui vous étaient personnellement adressés, c’est évident. Ces commentaires, dont l’existence n’est certes pas douteuse parce que vous affirmez qu’ils existent, mais dont l’existence jusqu’à maintenant reste à prouver, proviennent d’homme publics qui s’expriment sur un sujet public (et pas n’importe quel sujet : supprimer l’armée française !) : par conséquent ce qu’ils en pensent nous concerne ou alors votre conception de la Démocratie est confiscatoire.

Enfin il vous est facile de demander à leurs auteurs l’autorisation de publier leur commentaire ou au moins l’autorisation de publier leur nom pour que l’on puisse les interroger directement : ils ne vous refuseront certainement pas cette autorisation. Ceci serait cohérent avec leurs commentaires s’ils sont, comme vous l’affirmez abruptement, « les plus nuls, et de loin ».
On attend, dans l’intérêt du débat que vous souhaitez, que vous nous donniez le moyen d’évaluer le positionnement des élus et des partis sur les questions de politique militaire.

11. Le jeudi 10 mars 2011, 19:59 par yves cadiou

C’est le moment de revenir à cette question, deux ans plus tard, après diverses interventions militaires françaises : notamment en Libye, en Côte d’Ivoire, et aujourd’hui au Mali.

Beaucoup d’observateurs infèrent (euh… peut-être trop snob, « inférer » ? alors « déduisent », je reprends :) beaucoup d’observateurs déduisent de ces opérations, et notamment de la dernière, que le Livre Blanc devra conclure à la nécessité de disposer de forces armées suffisantes. Le Livre Blanc peut-être, mais le contribuable-électeur peut-être pas : tout le monde a compris que la guerre au Mali est une conséquence de notre intervention en Libye. Par conséquent nos compatriotes peuvent penser que sans armée notre personnel politique n’aurait plus les moyens de faire n’importe quoi : pour ça on supprimerait l’armée comme on met la boîte d’allumettes hors de portée des enfants.

Heureusement nos compatriotes (qui ont généralement oublié d’être cons, on néglige trop souvent ce trait) n’iront pas jusqu’à supprimer l’armée : nous avons quand-même besoin d’une armée opérationnelle, je ne reviens pas sur les arguments qui ont suivi les deux billets sur la question. Ce qu’il faut, c’est mettre la boîte d’allumettes hors de portée des enfants : je veux dire par là que le problème à résoudre est institutionnel.

Les partis politiques réunis en congrès ont tellement bidouillé la Constitution que désormais nous en sommes arrivés à désigner pour cinq ans une sorte de monarque absolu, incontrôlé, irresponsable. Pis : nous devons le désigner exclusivement parmi les candidats que les partis politiques acceptent de présenter à nos suffrages. Les partis politiques ne sont que des rassemblements d’élus locaux, non des gens qualifiés en relations internationales ou en affaires militaires. On voit le résultat : quand l’ancien maire de Tulle devient président de la République et « chef des armées », il reste ancien maire de Tulle. Quand l’ancien maire de Nantes devient chef du Gouvernement et « responsable de la défense nationale », il reste ancien maire de Nantes. On peut en dire autant de l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe, de l’ancien maire de Neuilly, de l’ancien maire de Chamalières, de l’ancien maire de Bordeaux, etc.

Par conséquent il est un peu illusoire de croire que les opérations militaires en cours seraient, comme le disent ou l’écrivent plusieurs observateurs, et par exemple Michel Goya dont je reprends la formule, « le point de bascule qui va permettre d’inverser la spirale d’inefficience dans laquelle nous étions engagés depuis vingt ans » http://www.asafrance.fr/actualites/...

Nous sommes à un autre point de bascule : la spirale d’inefficience qu’il nous faut inverser, c’est celle de nos institutions.

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