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Sujet CID : géopolitique : temps, échelle, facteurs

Un correspondant m'envoie un sujet d'oral au CID (euh, pardon, école de guerre).

Voici la discussion...

Capitaine X

Monsieur bonjour,

La préparation du concours de l'Ecole de Guerre me donne l'opportunité de vous contacter (suivent diverses formules courtoises et polies).

En effet, je suis dans l'obligation de préparer une "colle" pour mon chef de corps, qui juge à juste titre que des oraux informels sur des thèmes d'actualité permettent aux préparants EDG de mieux appréhender les sujets proposés au concours et de gagner en aisance face au jury en cas de réussite à l'écrit.

Ma démarche est motivée par l'obtention de quelques conseils pour traiter le sujet qui m'a été imposé, je cite :"géopolitique : temps, échelle, facteurs".

En effet, si un plan en trois parties semble se détacher naturellement de cet énoncé, je ne m'en satisfais pas franchement. Je pourrais décrire la géopolitique comme l'évolution des facteurs (géo, humains, éco, pol. ) selon l'échelle (spatiale, temporelle), donc une science matricielle etc. Mais un tel plan m'impose de rester dans le descriptif, alors que le but d'une épreuve de l'EDG est justement de montrer comment la réflexion menée permet d'éclairer la vision du décideur.

J'ai par conséquent une ébauche de plan, par quelques précisions gracieusement données avec le sujet : "dériver sur les ruptures géopolitiques puisque nous en vivons peut être deux en ce moment : cela se rapproche de la prospective comme la DAS et ce qui différencie les militaires et les civils puisque ces derniers disent ne pas vouloir lire dans la boule de cristal et les premiers parlent de possibilités plus ou moins fortes pour que cette géopolitique serve à quelque chose"

Cette indication m'invite à examiner les relations entre géopolitique, cette science "fourre tout", et stratégie militaire, cadre autant que fondement de l'analyse et de la décision.

Je serais donc tenté de traiter le sujet en trois parties : une première partie sur ce qu'est la géopolitique (évolution matricielle des facteurs), une deuxième sur les facteurs géopolitiques actuellement prégnants pour la stratégie diplomatique et militaire française et enfin sur la voie française choisie pour rendre utile au militaire la science géopolitique.

Suivent de belles formules tout aussi courtoises et polies.

Réponse d'égéa (qui se sent, parfois, le Macha Méril des préparants, angoissés devant cette torture du concours...)

Mon capitaine

vous avez de la chance d'avoir un colonel qui s'occupe autant de vous.

La notion de colle signifie qu'on est à l'oral. Il faut donc se préparer aux conditions d'examen : 10 mn de préparation entre la réception du sujet et le passage, et un exposé qui "ouvre" la colle et doit durer, en général, une dizaine de minutes.

Cette double brièveté me fait vous conseiller le plan sciences po (2/2), beaucoup plus simple à manipuler et bcp plus efficace et donc convaincant. Autant ça se discute à l'écrit, autant ça se discute beaucoup moins à l'oral.En fait, à l'orl, je vois mal comment on peut réussir avec autre chose qu'un plan en deux parties. Et autant je prêche dans le désert en vous assurant qu'à l'écrit, le Deux parties est possible, autant je souffre peu la discussion pour l'oral, où le Trois parties me semble exclu d'emblée.

Venons à votre sujet : c'est un sujet d'écrit, et vous le traitez comme à l'écrit, alors pourtant qu'il s'agit d'une colle, donc un oral : en clair, à vue de nez, je trouve le sujet très difficile pour un oral. Raison de plus pour un deux parties, plus aisé à manier. Soyez donc plus simple et tout d'abord, en reformulant le sujet : la géopolitique n'est elle que temps et espace, ou doit-elle prendre en compte d'autre facteurs ? Votre brève introduction (1minute trente) doit servir à cela, puis à l'annonce du plan.

Ce qui vous donne, par exemple,

  1. I : la géopolitique s'appuie sur deux considérations primordiales, l'histoire et la géographie
  2. A/ le facteur temporel
  3. B/ le facteur spatial
  • II Toutefois, d'autres facteurs explicatifs doivent être pris en compte
  • A/ Le facteur "identitaire" (langue, religion, racines,...)
  • B Le facteur stratégique (la GP est rivalité de puissance)
  • C'est simple, efficace, ça tient la route, vous couvrez le sujet, le rattachez à votre expérience militaire, et ça ouvre suffisamment de pistes pour que le jury puisse accrocher dessus. Et vous avez assez pour tenir dix minutes, sans trop bafouiller : au fond, la difficulté consiste à ne tenir "que" dix minutes.... Vous verrez, à force de travailler, la difficulté n'est pas la longueur mais la brièveté....

    Vous avez tous mes encouragements, et mes amitiés à votre colonel.

    O Kempf

    Commentaires

    1. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par

    Voici un sujet qui nos ramène de façon brutale au colloque sur la « place du Soldat dans la Société » dont nous avons eu ici un excellent compte-rendu. http://www.egeablog.net/dotclear/in...

    De façon brutale parce qu’il est choquant de constater que l’on sélectionne encore nos officiers supérieurs et futurs généraux sur des sujets résolument intellectualistes, sans aucune relation avec les préoccupations de la Société civile. Ce genre de sujet « vous range d’emblée dans la catégorie des spécialistes incapables de parler utilement au politique » (je reprends les mots de Nino ici sur egeablog le 16 janvier dernier).

    On se demande à quoi pensent les jurys de concours, suivis par ce Chef de Corps et beaucoup d’autres bien obligés de suivre. Lorsqu’il arrive au niveau et à l’ancienneté nécessaires pour se présenter au concours de l’EdG, l’officier supérieur et probable futur général a déjà largement démontré sa capacité d’analyse et de synthèse sur des sujets abstraits. Ce qu’il faut maintenant, c’est tester son aptitude à parler aux décideurs civils parce qu’il est destiné à être à l’interface de son monde militaire et d’un monde politique où il est a priori perçu comme un brave imbécile, un « gradé ».

    Il faut développer chez nos officiers supérieurs l’aptitude à se mettre au niveau des préoccupations terre-à-terre de leurs interlocuteurs civils quand il le faudra et contribuer ainsi à rendre au Soldat sa place dans la Société.

    A cette fin il faut que le jury soit composé non pas d’officiers supérieurs militaro-centrés ni même d’enseignants de Science Po mais d’administrateurs civils expérimentés. Il faut que les questions d’oral consistent à commenter, en trois minutes chacun, toutes sortes d’articles pris dans divers titres de la presse grand public.

    En lui parlant de « géopolitique : temps, échelle, facteurs » vous n’intéresserez aucun de vos interlocuteurs de la société civile utiles pour que le Soldat y retrouve sa place. Au contraire si vous savez parler intelligemment et de façon documentée (c'est-à-dire mieux qu'au Café du Commerce) des cantonales, d’un récent rapport de la Cour des comptes, ou des communautés urbaines, alors vous serez considéré.
    A l’occasion d’une réunion de promo, demandez à ceux qui sont devenus pékins ce qu’ils pensent de mon point de vue.

    Désolé d’être en dehors du sujet du jour mais en lançant cette idée ici sur ce blog bien fréquenté, c’est un peu comme une bouteille à la mer : elle finira par atterrir quelque part.

    2. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Midship

    Je rejoins Y. Cadiou sur le fait que le sujet est intellectualisant. Néanmoins personne ne se sent probablement prêt à s'en passer. C'est probablement une spécificité française ... qui a peut être du bon.

    Peut-être que la solution se trouve dans une deuxième épreuve, qui permettrait alors d'accorder un intérêt aux deux domaines.

    Bien que je sois encore loin d'être un spécialiste du concours de l'EdG, je me dis que tout ça est bien peu militaire, en définitive. A l'heure où l'on renomme le CID "école de Guerre", y-a-t-il la moindre épreuve au concours qui fasse appel à la valeur guerrière des postulants ? Le but n'est, à ce niveau, bien sûr pas de s'enliser dans les méandres des détails opératifs, ni de faire de la rédaction de TO Otan pendant des heures, mais il semble néanmoins que la capacité à manœuvrer un dispositif militaire soit la condition nécessaire pour emporter l'adhésion des troupes. Il y a depuis des décennies une admiration de la part des hauts gradés militaires pour le secteur, les hommes et les méthodes civils qui me laisse perplexe.

    3. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Chat Maigre

    Mouairff .... sans faire de procès de personnes, je ne sais pas qui du chef de corps ou du capitaine est le plus à plaindre ! je suis d'accord avec Yves Cadiou sur le nécessaire changement de la voie du concours, même si je ne partage pas sa présupposition "Lorsqu’il arrive au niveau et à l’ancienneté nécessaires pour se présenter au concours de l’EdG, l’officier supérieur et probable futur général a déjà largement démontré sa capacité d’analyse et de synthèse sur des sujets abstraits".
    Je crois précisément que ce genre de réflexion n'a pas du tout été suscité pendant les années de commandement en tant que lieutenant et capitaine - et heureusement ! Il ne me paraît pas absurde que le concours avec ses contraintes "oblige" les futurs décideurs à se pencher sur autre chose que des sujets purement opérationnels.
    Là où je rejoins Yves Cadiou, c'est sur la nécessité à mon sens d'évaluer ou de provoquer d'une façon différente le sens critique des candidats. Je n'ai rien contre le fait de poser une question sur la géopolitique du moment qu'une vraie réponse (par exemple en termes d'apport pour le chef militaire) s'en dégage. Ce que j'ai par trop remarqué, ayant également eu à préparer un certain nombre de candidats, c'est que finalement on parvenait à une uniformité de présentation et, sans doute, perdions-nous en originalité. Le concours du CID est comme le théâtre, il faut entrer dans un rôle .. mais est-ce vraiment de ce type de concours dont nous avons besoin ?

    4. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par yves cadiou

    Merci Midship d’avoir prêté attention à mon argumentaire. Déjà je me sens moins seul dans le hors-sujet, ce qui me permet de continuer sans vergogne.

    Je suis dubitatif quant à la possibilité de tester en salle « la valeur guerrière des postulants ». A moins peut-être que l’on fasse comme pour le concours de l’école d’état-major dans les années quatre-vingts : une marche de vingt kilomètres de 2h à 6h du matin, les épreuves écrites de 7h à 12h. On teste ainsi un peu la résistance à la fatigue, ce qui est effectivement une part de la valeur guerrière dans l’AdT. Je ne sais pas si ce serait valable pour les Marins et les Aviateurs : je n’ai jamais été avec eux en situation opérationnelle et par conséquent je ne sais pas s’ils subissent l’équivalent de ce que subissent les Terriens qui arrivent au combat épuisés à la suite de marches d’approche et de nuits blanches.

    Il reste que « la véritable école du commandement, c’est la culture générale » et que par conséquent des épreuves techniques ne sont pas utiles dans des domaines où les candidats n’ont plus rien à prouver et sont même parfois plus compétents que le jury.

    Mais il y a un malentendu concernant les concours, ce n’est pas nouveau ni spécifique aux armées. Bien sûr les concours résultent de l’excellent principe républicain selon lequel tout emploi public doit être pourvu par concours (l’avancement au choix est considéré comme un concours sur titres) mais les concours avec contrôle du niveau présentent un autre intérêt pour l’institution, celui d’améliorer le niveau général de la catégorie de personnel qui se présente au concours et qui étudie pour le réussir : je crois qu’en fait c’est là que résulte l’essentiel, même si malheureusement il y a des candidats qui ne récupèrent pas leur investissement en échouant au concours.

    Par conséquent pour ces deux motifs (sélection par la culture générale et amélioration des connaissances des préparants) je reste convaincu qu’au niveau dont on parle il ne faut pas perdre son temps avec des épreuves techniques ni, à l’inverse, avec de l’intellectualisme.

    5. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par yves cadiou

    Pour répondre à « Chat Maigre », c’est vrai que l’on travaille assez peu l’analyse et la synthèse dans les grades de lieutenant et capitaine mais ces grades nécessitent pourtant de l’imagination et de la méthode dans la pensée, surtout lorsqu’on se trouve en situation de décider dans l’incertitude à cause d’un ennemi fictif ou réel. L’esprit d’analyse et de synthèse est indispensable pour accéder au Corps des officiers puis pour pratiquer le métier. Je ne crois pas qu’on le perde en cours de carrière.

    Mais le centre du problème que j’évoque n’est pas là : vingt ans de fonction publique territoriale m’ont convaincu de l’énorme décalage mental qui existe entre le civil et le mili. C’est le problème qu’il faut résoudre. On déplore souvent que les civils ne connaissent pas le monde militaire mais il faut aussi prendre conscience de ce que les militaires ne connaissent pas le monde civil. Cette méconnaissance réciproque est dangereuse à terme parce qu’elle se transformera, si on n’y remédie pas, en incompréhension puis en crispation voire en hostilité lorsque les circonstances le voudront. L’insulte de Carcassonne en 2008, et surtout l’absence de protestations dans le monde politique ensuite, sont très révélatrices d’un état d’esprit. C’est pourquoi j’ai cité dans mon premier commentaire un colloque parlementaire qui semble résulter d’une prise de conscience salutaire.

    Il faudrait que la même prise de conscience s’opère dans les armées en commençant par la tête c’est-à-dire les hauts grades. Pour ceci il faut recruter les officiers supérieurs et futurs généraux sur leur connaissance des arcanes de la Société civile, sachant qu’ils sont arrivés à l’oral de l’EdG sans lacunes dans les domaines de la technique, de l’analyse-synthèse, ni du raisonnement abstrait grâce à leur mode de recrutement, à leur expérience professionnelle et grâce à l’écrit du concours.

    6. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Pierrre AGERON

    Réflexion d'un néophyte de concours militaire mais endurant ds les concours civils: ce type de sujet n'est-il pas précisément un sujet de culute générale ?
    Celui qui amènera une discussion argumentée et précise sur qu'est ce que la géopolitique signifiera par là qu'il sait manier intelligemment des concepts divers, et parler aussi bien des cantonales que de la CC pourvu qu'il s'informe. Le but de ces épreuves est justement que le candidat soit à l'écoute du Monde.
    Toutes les élites civiles sont passés par ce type d'épreuves. Les maîtriser est donc à mon humble avis une condition sine qua non pour avoir leur oreille. Mais peut-être n'est-ce pas là ce qu'il faut à nos officiers supérieurs...

    7. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par

    Je suis dubitatif et incorrigible je mêle de choses qui ne me regarde pas, je suis probablement un intellectuel refoulé, refoulé mais pas du tout, pas du tout complexé.. Bref je ne devrais pas faire de commentaire sur des sujets qui ne devraient pas me concerner. Alors, en me faisant violence, je vais vous délivrer mon grain de sel…
    Le problème n’est pas celui de l’intellectualisme ou pas, il est celui plus général de la sélection de nos élites, et plus particulièrement celui de nos réputées élites militaires. Dans la patrie de Voltaire, de Diderot, de Champollion, de Chateaubriand mais aussi de Bonaparte (pardon pour les puristes qui le classent ailleurs, c’est à dire nulle part) ou de Gaulle, il y a ce besoin récurrent de sélection, de labellisation par la voie la plus réputée celle du concours, seule voie républicaine, sensée sélectionner le meilleur qui ne doit son ascension, qu’à son seul mérite, dans une égalité de chance souveraine. Si cela était le cas, alors on ouvrirait les concours sans souci de palier intermédiaire.
    La réalité est que l’élite est stratifiée par une course dédiée, aux déjà réputées élites, qui formate, qui truque, bref qui clone. N’est ce pas finalement ce que reproche les sans grades aux élites ? Ce reproche récurrent est celui de se reproduire à l’identique dans une excellence inadéquate face aux réels dangers qui sont les nôtres ? Comment placer la barre, où la placer ? Qui décide in fine ? Par quel collège de pairs et de décideurs ? Ne sont-ils pas passés eux-mêmes, ces senseurs, par le même moule et ne reproduisent-ils pas avec outrance cet intellectualisme forcené dont personne ne se réclame, mais qui rassure. N’est ce pas le travers le mieux réparti de notre système dont le spectre s’étend de l’Ecole de guerre à l’épreuve du Cm2 ou au feu concours des majors ? Et à celui des facteurs ?
     
    J’avoue mon incompétence, je ne fais que formuler des questions. La sélection par la culture générale ne me choque pas outre mesure, elle me déconcerte, pour avoir vu au cours de ma carrière quelque capitaine impétrant et postulant, atteint de cette fièvre dévorante énergivore et néanmoins touchante, lisant, compulsant, et pour avoir parfois su capter leur attention, j’ai mesuré à quel point cet effort représentait un danger, celui de la déconnexion avec simplement l’humain tant le recul nécessaire était parfois celui de la distance et de l’apesanteur..
    Mon capitaine, restez simple, authentique, je ne connais pas votre valeur guerrière, et personne ne vous la demande, vous vous pliez de bonne foi à ce concours, je vous souhaite de réussir, mais n’oubliez jamais la modestie de votre tache.. Vous n’êtes ni le gratin, ni la fine fleur, vous ne serez dans ce métier que l’élu, celui qui est choisi mais pas forcément celui qui sera le meilleur, cela ne fait pas partie du cursus, cela est du domaine du cœur de ceux qui vous feront confiance parce que vous l’aurez mérité.

    8. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Gend.

    Comment ne pas être d'accord avec Y. Cadiou. Actuellement confrontée à des changements profonds, la gendarmerie qui reste militaire pâtit dans le débat sur son rôle et sa place dans la société du manque de réflexions politiques d'une part de ses chefs. La formation de haut niveau calquée de par notre appartenance (n'en déplaise à certains) au monde militaire sur celle dispensée dans les autres armées, ne correspond plus aux concurrences de la sécurité intérieure. Aussi comme le souligne fort justement Y. Cadiou, il me semble urgent de réformer la sélection de nos décideurs afin qu'ils soient empreints des réalités politiques et à même de répondre aux questions très spécifiques des décideurs civils, qui sont au final nos chefs véritables.

    égéa : en tout cas, vous nous apportez le 2000° commentaire sur égéa : bravo !

    9. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Midship

    - endurance : pour ne parler (pour une fois) que de ce qui me concerne : oui, un marin doit être endurant. Il ne fera pas de marche de 20 bornes sur son bateau (n'oublions pas les fusiliers marins toutefois) mais imaginez la situation suivante, que je veux la plus réaliste possible :
    En mer sur une frégate légère, au large de l'Afrique, depuis 7 jours sans toucher terre. 21h : poste de combat piraterie. Fausse alerte, vous retournez à 22h dans votre chambre. Vous finissez ce rapport sur le moral de l'équipage où le commandant vous a demandé de "revoir" les résultats bruts des questionnaires de votre service. Vous vous couchez à 22h30, pour une sieste jusqu'à 23h45. Vous prenez le quart en passerelle à 00:15, jusqu'à 4h15. Vous vous couchez à 4h30. Branle-bas 7h pour ravitaillement avec un pétrolier ravitailleur allemand. Vous n'êtes pas de quart, mais vous avez la responsabilité de donner les ordres aux machines (vous avez dans votre voix la pédale d'accélération et de frein de chacun des deux moteurs, en gros). Le ravitaillement, présentation incluse, dure 3h40. Au bout de 2h50, une vague coïncidant avec une faute d'inattention du barreur nous pousse à heurter la coque du ravitailleur. Saurez-vous donner immédiatement les bons ordres pour amortir, redresser, et ne pas repartir à l'envers en arrachant la manche ? Saurez vous dans l'urgence "ressentir" l'idée de manœuvre de votre camarade qui donne les ordres à la barre ? Comment faire si votre commandant crie ? Imaginez maintenant que pendant ce temps, le PC Sécurité signale une fuite de carburant suite à une rupture de collecteur et que le cuisinier qui préparait les frites vient de se brûler avec la friteuse ... Pas de bol, le commandant de la force vient d'avertir le CO : il faut faire décoller l'hélico : on signale une tentative de piraterie à 50 nautiques plus au sud ...

    Voilà juste histoire de donner un aperçu, bien loin du combat de haute intensité, mais au plus près de l'image que je me fais de la "marche de 20 du marin". Et encore, j'ai pas mis de gros temps la veille !

    Par ailleurs, je pense que tous les candidats se présentant au concours EdG doivent être à jour du CCPM, donc pas de soucis du côté physique de base.

    Néanmoins, les amiraux/généraux font la guerre. Ils manœuvrent leurs troupes, et pas qu'avec leur expérience de lieutenant ou leur culture générale. Il y a, je crois, aussi une dimension militaire. C'est sur celle-ci que je voulais insister.

    Concernant la logique civile : je suis un ptit bonhomme civilo-militaire, et j'en ai vu plein, des civilos-militaires, plus ou moins petits. J'ai des dizaines de camarades anciens ou nouveaux marins qui sortent de toutes les écoles de commerce, je travaille dans le civil avec des anciens colonels ou amiraux, et je peux témoigner du fait que certains se portent à merveille sous la cravate et sur la moquette, à en oublier qu'ils aient un jour connu les rangers.

    10. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Frédéric Ferrer

    Réponse à Mr Yves Cadiou, qui citait Nino dans son premier billet, pseudo sous lequel je n’écris plus : ce n’est pas le sujet proposé qui case d’emblée dans la catégorie des spécialistes, mais bien la manière d’y répondre.

    En l’occurrence, le plan suggéré par le maître des lieux prouve que l’on peut traiter de sujets qui en première lecture n’intéresseraient que des stratèges avec suffisamment de recul et de hauteur de vue pour intéresser tous les publics, décideurs politiques y compris. Et c’est bien cela que l’on attend d’une élite, militaire ou civile, c’est d’être capable de discerner l’essentiel dans la multitude, de voir là où d’autres peinent à comprendre, de convaincre d’abord par la justesse avant de faire adhérer par ses qualités humaines. Je n’appelle pas cela du théâtre, mon cher chat maigre, mais la convergence de l’intelligence, de la culture et du cœur au service de l’action.

    Ce système de sélection n’est certes pas parfait, mais connaissez-vous sincèrement œuvre humaine qui le soit ? Il y a toujours une part de « friction » susceptible d’écarter les méritants en élisant les chanceux. Sauf que la chance, quoi que l’on puisse en penser, cela fait aussi partie de la vie… Napoléon disait d’ailleurs qu’entre un général doué et un général chanceux, il préférait le chanceux.

    Je ne saurais conclure mieux que Roland Pietrini. Vos dernières lignes sont d’une justesse absolue. Vos questions précédentes bien légitimes. Tous les « élus » dont vous parlez n’ont certainement pas l’étoffe de De Lattre, de Leclerc ou de Bigeard. Pas plus que les camarades de promotion de ces grands noms de notre histoire militaire récente d’ailleurs. Mais tous avaient et ont en commun la volonté d’essayer. Alors l’humilité dont doivent faire preuve les élites et que vous appelez de vos vœux doit effectivement trouver sa réciproque dans l’indulgence et le respect de leurs compagnons d’armes. Car après tout, nous ne sommes tous que des hommes.

    11. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par yves cadiou

    Je veux préciser pourquoi je préconise de résorber le décalage entre cadres supérieurs militaires et civils, et dans ce but s’épargner à l’oral de l’EdG les épreuves intellectualistes ou techniques mais y introduire une épreuve du niveau d’administrateur civil. Deux motifs :

    D’une part c’est que j’ai eu l’occasion de fréquenter professionnellement les cadres militaires et les cadres fonctionnaires. Résorber le décalage permettra de comparer. Ce sera à l’avantage des premiers, qui sont sous-payés en comparaison des seconds et par conséquent sous-considérés dans une société où tout se mesure par l’argent.

    D’autre part il existe depuis quelques années une tension entre le Politique et le Soldat. L’insulte de Carcassonne en 2008 (amateurs !) n’est pas arrivée par hasard. Certes il y avait les circonstances et la personnalité de l’insulteur, mais l’insulte résultait surtout d’un état d’esprit répandu dans le monde politique où personne, et c’est le plus symptomatique, n’a cru bon ensuite de s’élever contre le comportement présidentiel. Rien n’autorise l’insulte : lorsque des fautes professionnelles sont commises il existe des procédures disciplinaires et le cas échéant des procédures judiciaires.

    En privant le Soldat du respect qui lui est dû on aggrave son isolement sociétal, avec les risques que cet isolement comporterait s’il perdurait : baisse de qualité du recrutement, développement de l’incompréhension entre les militaires et la société civile. La baisse de qualité et l’incompréhension mutuelle pourraient aller jusqu’à un mauvais usage des armes en situation de crise : il a suffi de douze ans à la Quatrième République pour créer cette situation, douze ans entre la Victoire et le putsch. Il faut dès maintenant contrarier, avant qu’elle ne débute, une évolution antidémocratique qui cette fois, compte tenu des moyens de communication actuels, pourrait être plus rapide et pourrait, selon les circonstances du moment, avoir d’autres conséquences qu’en 1958.

    Il est donc essentiel que le militaire retrouve la considération qui lui est due. Pour ceci, il ne suffit pas que quelques uns « se portent à merveille sous la cravate et sur la moquette » : ça ne suffit pas parce que c’est très superficiel et ça n’apporte guère de réelle considération. Mais il faut que tous les préparants connaissent le fonctionnement de la société civile autrement que, pour quelques uns, par ses salons. Une épreuve du niveau d’administrateur civil serait à la portée des candidats et compléterait utilement leur culture générale dans un domaine que, jusqu’à présent, ils ignorent.

    12. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Jean-Pierre Gambotti

    Mon court commentaire va faire tache dans ce bel unanimisme, mais je pense que l’appréciation de notre camarade Yves Cadiou sur la sélection des élites militaires, est un malheureux parachronisme, je veux dire que ce débat n’a plus lieu d’être.

    Précisément, s’emporter sur la place de l’officier dans la vie civile sur l’exemple de la géopolitique alors que justement cette discipline est plus que jamais consubstantielle au métier militaire d’aujourd’hui n’est pas, me semble-t-il, un bon combat. Et l’officier qui partirait aujourd’hui vers des ailleurs compliqués avec des idées simples n’aurait plus sa place dans un état-major qui doit fusionner les expertises diverses que sont, par exemple, la politique, la diplomatie, le droit, l’économie, l’histoire, la géographie, la sociologie, l’ethnologie, (…), expertises nécessaires à la conception de la stratégie et à la conduite des guerres post-polaires.

    Car l’épreuve à laquelle est soumis dans ce concours, ici décrié, le postulant décideur, n’est pas qu’un exercice d’agilité cérébrale, c’est aussi un véritable test de connaissances dans ces domaines qui ne relèvent plus simplement de la culture générale de l’officier, mais de sa culture stratégique, sa raison d’être.
    A mon sens la problématique du soldat n’est pas tant « d’intéresser ses interlocuteurs de la Société civile pour y trouver sa place » que de savoir, à sa place, faire la guerre que lui demande de faire cette même société civile.
    Très cordialement.
    Jean-Pierre Gambotti

    13. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par yves cadiou

    Je vois qu’il y a un malentendu entre Jean-Pierre Gambotti et moi. Ou plus exactement deux malentendus : nous ne parlons doublement pas de la même chose.
    1 Pour ma part, ce qui me préoccupe c’est la place du Soldat dans la Société, non le concours de l’EdG.
    2 A l’occasion du concours de l’EdG, on peut améliorer la place du Soldat dans la Société : ce qui importe n’est pas la sélection qu’opère le concours mais la préparation qu’il impose.

    1 Place du Soldat dans la Société : nos militaires sont à l’aise partout dans le monde, capables d’être considérés dans les quatre hémisphères (nord, sud, droit, gauche), de palabrer avec les chefs de village de n’importe quel pays, en Syldavie et au Balounian comme chez ces Afghans qui nous indiffèrent. Capables d’être considérés partout sauf en France. On a eu le même problème sous la Quatrième République.

    2 Tous les candidats à l’EdG subissent tant de présélections de toutes sortes que chacun d’entre eux, avant même de passer l’oral, est au niveau pour devenir stagiaire : une nouvelle sélection ne sert qu’à mettre en adéquation le nombre d’admis et le nombre de place offertes, non à éliminer ceux qui seraient inaptes car à ce niveau il n’y a plus d’inaptes. Il faut donc profiter de cet oral pour leur faire étudier ce qu’ils ne connaissent pas et qui leur permettra de mieux s’intégrer à la Société française.

    Pour ces deux motifs je préconise l’instauration à l’oral d’une épreuve qui consiste à commenter, devant des administrateurs civils, toutes sortes d’articles pris dans divers titres de la presse grand public.

    égéa : avant, il y avait un concours shogun (crayon rouge, crayon bleu, les préparants apprenaient la division 1984 en 2004) et un concours EMSST avec trois filières : Langue relations internationales (deux langues parfaites, si possible une troisième plus RI, synthèse, tout ça tout ça); un concours sciences (un peu stupide ; le programme était le même qu'à l'entrée à Saint Cyr mais chacun sait depuis toujours que les scienteux ne sont pas très intelligents) et un programme sciences de l'homme (droit constitutionnel, sciences éco, histoire, relations internationales, synthèse) qui était probablement le plus ambitieux. Et puis on a abandonné tout ça : ça coûtait trop cher ou je ne sais quelle raison "intelligente".

    Force est de constater l'inculture juridique et économique de nombre de "cadres supérieurs" des armées. Mais il faut voir aussi que les grands décideurs civils attendent de l'officier qu'ils ont en face d'eux qu'il soit expérimenté dans les choses de la guerre. Le sens concret du terrain est la chose la plus attendue d'un militaire. Toutefois, ce sens "concret" nécessite beaucoup de travail pour s'exprimer judicieusement..... Bref, il faut de l'opérationnel, du droit et de l'économie. La culture générale de De Gaulle ne réside pas dans les humanités élégantes, littéraires et latinistes de la classe de rhétorique, mais dans la connaissance précise des éléments pris en compte par les décideurs aujourd'hui : finances, économie, droit, communication.

    14. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par Midship

    Pour rebondir sur ce que dit Y. Cadiou, alors qu'il s'agit maintenant du lien entre concours de l'EdG et place de l'officier supérieur dans la société (je crois que "place du soldat" ou même "place de l'officier" en général sont d'autres débats), qu'il me soit permis de faire une petite réflexion ici :

    1 - permettez moi le raccourcis entre élites de la société civile et Paris. Je suis bien au fait de l'inexactitude de la chose, mais accordez-moi sa pertinence globale. D'ailleurs mon exemple vaut en droit pour toutes les autres grandes villes.

    2 - Est-il vrai, chers auteur et commentateurs, que les militaires servant dans Paris ET la région parisienne reçoivent l'ordre, ou le conseil, de ne pas effectuer de déplacements entre leur enceinte de la Défense et leur domicile en revêtant leur uniforme ?

    3 - Quand bien même aucun ordre formel ni "conseil amical" ne serait donné en ce sens, force est de constater que peu de militaires sortent aujourd'hui en uniforme (j'ai moi même fait ce constat en travaillant à Paris, où même en sortant aux bonnes heures à la Madeleine je ne voyais que peu de marins, mais des civils coiffés court). Je parle bien sûr ici d'une tenue de sortie correcte, et non pas d'un uniforme sur lequel on retire à la hâte tout symbole militaire extérieur (je m'interroge d'ailleurs sur la conformité de ces comportements au règles concernant la tenue, notamment celle que l'on m'a apprise du "tout ou rien"). De la même manière, les permissions en escales se font maintenant le plus souvent en civil.

    4 - l'officier est un exemple. On aurait beau jeu de forcer l'aviateur à montrer son calot si son commandant ou son colonel ne se montrait en dehors des grilles qu'en "tenue bourgeoise". Alors à Paris, pourquoi ne pas imposer, puisque le statut et la culture le permettent, que les officiers élèves de l'EdG montrent l'exemple en portant leur uniforme ? Peut-être pourrait-on également le faire pour leurs professeurs, puis élargir la mesure aux Etats Majors et progressivement à tous les militaires de la région.

    5 - j'entends déjà les "consignes de sécurité" et "craintes d’agression" dont on m'a fait écho cent fois. Mais si l'on est mieux à l'aise en uniforme à Abidjan ou Kaboul que sur la ligne 6 du métro parisien (et même au bout d'une ligne de bus aux Tarterêts), il est alors urgent de se poser des questions plus graves !

    6 - je vis à Londres où l'on voit finalement assez peu de militaires en uniforme dans la rue. Mais on les voit en affiche sur les aubettes de bus, souvent appelés "heroes". Ici, l'un des principaux centres de gym du pays s'appelle "British military fitness" et les gens portent tous au poignet un bracelet "support our troops". Je reviens de Washington DC où les métros, les rues et les bus sont à toutes heures du jour et de la nuit remplis de treillis du PFC aux plus hauts gradés.

    On peut rajouter au concours d'entrée à l'EdG une épreuve de 3 heures en deux parties, avec l'étude d'un arrêt du tribunal administratif concernant un litige lors de l'adjudication d'un contrat de facility management dans une base navale suite à un appel d'offre européen, puis une étude sur l'évolution des politiques publiques en faveur de l'emploi des personnes handicapées dans les collectivités territoriales d'outre mer. On peut aussi demander aux militaires de sortir de leurs casernes en uniforme pour le trajet entre la Pépinière ou l'ilôt St Germain et leur domicile de Pantin, Rueil, les Tarterêts ou Bondy.

    15. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par yves cadiou

    Cette question de port de l’uniforme en ville est un… serpent de mer (désolé, Midship, je ne pouvais pas louper cette blague alors que les poissons d’avril sont encore frais). Dans la presse militaro-centrée, on a longtemps parlé de rétablir pour l’active l’obligation de porter l’uniforme en dehors du service.
    Les gens d’active observaient que la proposition était très théorique parce que ceux qui préconisaient le port de l’uniforme en ville n’y seraient pas astreints : réservistes, civils, retraités, personnels en poste à l’étranger.

    Il reste que suivre cet avis serait aller exactement à l’encontre de ce qu’il faut faire parce que ça confirmerait qu’en dehors du service, le Soldat n’est pas encore un citoyen comme les autres et ne fait pas ce qu’il veut.

    Or dans la société civile, et notamment aux yeux des « élites » civiles fort imbues d’elles-mêmes qu’il faut convaincre de respecter le Soldat, on n’a que deux positions possibles pour situer quelqu’un qui n’est pas un citoyen comme les autres au milieu de l’échelle : le haut de l’échelle ou le bas de l’échelle.

    Du fait que les « élites » ne voient pas de militaires dans leur propre monde, qui est évidemment selon eux le haut de l’échelle, leur conclusion est vite tirée concernant la place du Soldat dans la Société s’il n’est pas un citoyen comme les autres.

    Le Soldat sera considéré en haut de l’échelle quand il connaîtra comme vous dites par exemple "l'évolution des politiques publiques en faveur de l'emploi des personnes handicapées dans les collectivités territoriales" ou quand il connaîtra plutôt, meilleur exemple, l’évolution des règles écrites et non-écrites du financement des partis politiques.

    16. Le mercredi 30 mars 2011, 19:32 par dante

    sur l'uniforme, heureusement que le règlement est bien fait.... Cf http://www.garnison-paris.terre.def... rapport n°22, page 3

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