Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Communauté internationale, puissance et Libye

C’est donc une coalition qui mène actuellement les opérations en Libye. On peut en déduire quelques analyses géopolitiques.

(source rtl)

1/ La légitimité de l’ONU : elle était indispensable et elle a été obtenue. Personne n’envisageait d’intervenir sans le blanc-seing de l’organisation, obtenu tant à l’assemblée générale qu’au Conseil de sécurité. La « communauté internationale », pourtant si décriée, marque ces temps-ci des succès non négligeables : c’est en effet, grâce à son soutien qu’A. Ouatarra existe encore politiquement, c’est grâce à elle que la coalition a pu lancer ses premières actions : on est loin du Kossovo où, dans des circonstances relativement similaires, l’OTAN avait dû agir sans l’accord formel de l’ONU. Remarquons immédiatement que ce succès doit être relativisé : bien que militairement présente en Côte d’Ivoire, l’ONU n’influe pas directement sur le cours des événements ; et militairement, elle est totalement absente de la crise libyenne.

2/ La marginalisation de l’OTAN comme de l’UE. Malgré tous les efforts de M. Rasmussen, l’OTAN n’est pas dans la boucle. Quelle remarquable ironie ! alors que le SG ne cesse de tout faire pour que l’alliance prenne du pouvoir, voilà qu’elle est mise de côté d’un commun accord entre Américains, Britanniques et surtout Français. Car tout simplement, l’OTAN a mauvaise presse en Afrique et au Proche Orient et il n’était pas sensé qu’elle apparût. Voici qui devrait relativiser quelques critiques qu’on avait entendues il y a deux ans, lors du retour français, quand à l’éventuelle perte d’indépendance de notre politique étrangère … et confirmer ce que j’écris depuis quelques années : ce retour n’est qu’un pari, parce que l’OTAN a tellement changé que la grammaire politique ne ressemble en rien à celle de 1966 ou de la guerre froide. Nous sommes définitivement entrés dans le 21° siècle.

3/ Il faudrait d’ailleurs le dire à Mme Ashton, qui décidément n’a aucune vision : lui dire tout d’abord que l’OTAN, en l’espèce, ne participe pas au partage des rôles ; qu’ensuite, l’UE pouvait être « admissible » comme sponsor de l’opération, et que ce mentorat n’obligeait en rien à monter un état-major quelconque « européen » ; que la répartition « OTAN = mili et UE = humanitaire » est d’un passéisme crasse ; et qu’il serait bon que des hommes d’Etat aient parfois un peu de vision politique… Accessoirement, cette coalition franco-britannique illustre que Mme Ashton n’est même pas la courroie de transmission de Londres…. On lira ce billet de Bruxelles2 où Nicolas Gros-Verheyde est encore plus virulent …

4/ A propos de courte vue, Mme Merkel paraît tâtonner, comme le note J. Quatremer dans « coulisses de Bruxelles ». L’obsession du débat politique intérieure est un déterminant crucial. De même, on comprend qu'avec une guerre en Afghanistan qui n'est pas populaire, et un ministre de la défense qui a démissionné juste après avoir lancé une réforme de la défense, il était sage de ne pas s'engager dans une nouvelle opération. Cependant, sans aller jusque là, d'autres voies paraissaient possibles. Mme Merkel semble encore marquée par son éducation est-allemande : un monde dont la grande politique est bannie, pour laquelle la puissance est un gros mot, et marqué d'un pacifisme foncier, qui la fait s’abstenir à l’ONU, alors qu’elle aurait pu jouer la solidarité avec ses alliés naturels (USA, GB, FR) plutôt qu’avec la Russie et la Chine : une déclaration d’intention aurait immédiatement précisé que « sur les principes, il faut être du côté des opprimés même si l’Allemagne ne participera pas aux opérations », et le tour était joué. Au lieu de quoi, l’Allemagne est déconsidérée et ses aspirations à un siège permanent au CSNU sont retardées…..

4 bis/ on observera d'ailleurs deux autres réactions, fort contrastées : l'Italie, au début fort discrète et encline à conserver ses "bonnes" relations avec Kadhafi, s'est finalement ralliée sans barguigner à la coalition. Le Turquie, en revanche, affiche un silence assourdissant : ni solidarité avec l'Occident, ni néo-ottomanisme appuyé, une position très en retrait, un attentisme critique..

5/ Tout ceci nous amène à une considération conclusive : l’importance de l’action des Etats et de la détermination, et l’appui sur les facteurs « antiques » de la puissance, et notamment ses moyens militaires. Ceci devrait, je le pense, suffire à répondre à ceux qui doutent de l’utilité, dans ce monde irénique et mondialisé, de conserver une force armée (cf. les débats qui ont eu lieu sur égéa….). Au-delà du principe, cela appelle à ne pas aller trop loin dans les économies……. Enfin, dans ce monde incertain, mélange de planétisation et de fragmentation, si l'Etat n'est, bien sûr, plus se seul acteur, on s'aperçoit qu'il demeure l'acteur prédominant de la scène internationale

6/ Par ailleurs, comme me l’écrit un correspondant : « Comment aurait on réagi si la "communauté internationale" n'avait pas voté et que les milices de Kadhafi avaient attaqué Benghazi? On aurait brandi l'inertie et la lâcheté de cette communauté. Cette action militaire est périlleuse et pleine d'incertitude et de probables effets pervers mais pour ma part je pense qu'il est tout à l'honneur de la France d'en prendre le leadership. ». Cela renvoie au billet de Vincent Jauvert sur le même sujet, de la même veine. Autrement dit : ce n’est pas gagné, mais quand l’honneur rejoint l’intérêt, on ne peut qu’approuver.

Pour conclure, on remarquera, avec un peu d'ironie, que Rumsfeld avait parfois des éclairs de génie, comme nous l'avons déjà remarqué sur égéa : c'est la mission qui fait la coalition. Ici, personne n'y trouve vraiment à redire..... Peut-être s'agit-il au fond de la nouvelle règle des relations internationales, une règle qui condamnerait, implicitement, OTAN comme PSDC..... ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par Midship

sur votre conclusion :
la déconsidération des coopérations structurées permanentes - UE et OTAN - est-elle conjoncturelle (due par exemple à un problème de personnes), ou alors le signe d'une évolution par ailleurs déjà constatée : le monde se cherche. Il essaye de réinventer la nation, la frontière, dans un monde qui a déjà connu une mondialisation quasi parfaite. Mais défaire est encore plus difficile que faire.

Par ailleurs, sur Lady Ashton : vu que tout le monde a l'air unanime, jusqu'au Président français qui l'insulte quasiment en séance publique, pourquoi n'en change-t-on pas ? Une affaire privée fait sauter le ministre de la Défense en Allemagne, des Affaires Étrangères en France, et pendant ce temps une personne dont l'incompétence est de plus en plus notoire reste le personnage le plus important de l'Union sur la scène internationale. Étrange.

2. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par Antoine Hubault

Sur la question de l'honneur à intervenir, c'est en plus d'être la position de nombreux commentateur, celle de M. Juppé lui-même, quand au lendemain du vote il était au micro de Radio-France. Tiens, on anticiperai dans cette nouvelle équipe ?

3. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par Jean-Pierre Gambotti

Quand l’expertise nous manque, nous en appelons généralement au « bon sens » dont j’ai une méfiance instinctive car c’est une forme de solipsisme, une logique dévoyée tout entière contenue dans la formule : « Je le pense, donc c’est vrai !» Aussi je ne me risquerai pas à faire le moindre commentaire sur votre billet, auquel j’adhère tout à fait, mais je voudrais proposer deux ou trois remarques qui me viennent à l’esprit à sa lecture.
Tout d’abord l’apophtegme de Disraeli, attribué par la suite à toutes les personnalités qui l’ont cité : « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Constat cynique mais, à mon sens, tellement prégnant dans les organisations internationales qui ont été créées pour tenter d’en réduire la toxicité et constat paradoxalement si antinomique aux intérêts "de tous du tout", qu’il peut expliquer et justifier la nécessité de coalitions ad hoc pour traiter ces types de conflits.
Ensuite ce jugement déjà très ancien d’un chef d’Etat voisin de la Libye : « Kadhafi a une double personnalité, l’une est scélérate, l’autre aussi ! » Cette forme de schizophrénie dénoncée par ses pairs il y a déjà plusieurs décennies aurait mérité, me semble-t-il, plus de discernement dans les relations avec la Libye, sauf si la formule de Disraeli pèse réellement et puissamment sur les relations internationales !
Enfin sur Lady Ashton, je rappellerai qu’elle est le produit d’un consensus pour un poste de dissensus. Ou le moyen le plus machiavélique de rendre inopérant un poste qui ne pourrait que rarement satisfaire concomitamment les intérêts de tous. Disraeli encore !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

4. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par yves cadiou

Pour tenter de répondre aux deux questions posées par Midship (commentaire n°1).

1 Sur « la déconsidération des coopérations structurées permanentes » la deuxième hypothèse est la plus probable : ce ne serait pas conjoncturel mais structurel. Le phénomène vient probablement d’une double tendance du personnel politique dans les pays concernés : esquiver les responsabilités exécutives liées au poste que l’on a sollicité et pour ça diluer ses responsabilités dans des « machins » internationaux ; en même temps pouvoir lors de la prochaine campagne électorale présenter un bilan qui apparaisse comme personnel aux yeux des électeurs. Faire mine d’agir sans risquer de porter le chapeau, c’est à ça que servent les organismes de coopération permanents.
En parler de cette façon est politiquement incorrect mais ça finit par se voir.

Le même processus existe en politique locale où sont nombreux les organismes intercollectivités et les établissements publics administratifs où se diluent les responsabilités. L’on ne sait plus très bien quel est l’élu qui est en charge de quoi.
Je prends un exemple : dans le bourg où vous habitez, vous qui venez de voter ou de vous abstenir aux cantonales, je doute que vous sachiez qui est l’élu responsable des services d’incendie et de secours.

2 « Le président français qui insulte Lady Ashton quasiment en séance publique » ? Ah ? Je vous remercie de m’indiquer le lien. Mais un tel comportement est fort possible et ce ne serait pas la première fois que ce monsieur manquerait de respect à une personnalité et à ce qu’elle représente.
C’est sans doute pourquoi personne n’y a prêté attention.

5. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par Midship

@Yves :
lien vers l'article de l'excellent Bruxelles2 : http://www.bruxelles2.eu/politique-...

6. Le dimanche 20 mars 2011, 19:52 par Daniel BESSON

Bonjour ,
L'infographie oublie de citer le Luxembourg !
C'est comme le Tonga en 2003 lors de la guerre en Irak : Sa participation aux opérations va radicalement modifier l'issue du conflit et legitimer encore plus , si besoin était , cette intervention .
Tres Cordialement
Daniel BESSON

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/965

Fil des commentaires de ce billet