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Où va l'Allemagne ? (1/2)

Ce titre fort classique prend pourtant un relief intense. En effet, l'actualité montre qu'il y a actuellement énormément de flottement à la direction allemande, ce qui impose de réfléchir.

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1/ Partons du point de départ, celui de l'arrivée d'Angela Merkel au pouvoir. Le premier mandat (2005-2009) voit une grande coalition, avec le SPD. Les socialistes obtiennent le poste des affaires étrangères (Frank-Walter Steinmeier) et le mandat est assez clair : retour à un atlantisme de bon ton après les foucades de Schroeder au moment de l'affaire d'Irak, position très neutre avec la Turquie (en clair, refus de son entrée dans l'Union) et relance de la constitution européenne. Cela se passe convenablement, le SPD fait le boulot, (même si la chancelière empêcha la constitution d'une Union Méditerranéenne initialement inventée par les Français) : A. Merkel trouve les moyens de dialoguer avec un N. Sarkozy dont le tempérament électrique contraste avec sa nature sérieuse, protestante et prussienne . Autrement dit, on voit bien que les affaires extérieures ne sont pas sa tasse de thé ni son domaine de compétence, et que la coalition l'arrange. Mais somme toute, le job est fait, sérieusement, à l'allemande, et A. Merkel acquiert une réputation flatteuse, y compris à l'extérieur.

2/ Les choses se compliquent avec le deuxième mandat : la coalition est fort étriquée, et les libéraux bien plus turbulents que les socialistes. Surtout, les libéraux bénéficiaient de l'image de H-D Genscher, qui avait été ministre des affaires étrangères de 1974 à 1992. Autant dire que l'accord de coalition attribua sans barguigner le poste de ministère des affaires étrangères au leader libéral, Guido Westerwelle. Et ce choix s'avéra désastreux.

3/ Car il y a en fait deux défis extérieurs auxquels est confrontée A. Merkel : le premier est la crise économique, et donc la nécessaire solidarité avec les alliés européens de l'Union ; et il y a les initiatives intempestives de G. Westerwelle, qui provoque énormément de difficultés. Tout cela alors qu'A. Merkel n'est pas à l'aise avec le domaine des affaires étrangères, et se trouve dans une posture de politique intérieure difficile.

4/ Allons au plus voyant. G. Westerwelle a commencé à faire vraiment parler de lui au moment du sommet allié de Lisbonne : c'est lui qui a, inutilement, mis la pression sur Paris et sur l'alliance au sujet de la sortie du nucléaire. La chose était totalement irréaliste, aussi bien du côté des Français (l'arme nucléaire est le dernier symbole de l'indépendance nationale) que des Américains (pour qui le nucléaire demeure intangible, quoi qu'en dise le président Obama).

  • La première campagne, au printemps 2010, pour supprimer les armes sub-stratégiques de l'Alliance se heurta rapidement au fixisme de Washington (ce qui mit dans l'embarras, du coup, ceux qui avaient suivi les Allemands dans cette affaire : Belges, Néerlandais, Norvégiens, tandis que les pays de l'est ne comprenaient pas l'Allemagne voulant ôter l'ultime garantie du couplage transatlantique).
  • mais plutôt que d'en tirer les enseignements, G. Westerwelle insista à l'automne, déplaçant le curseur pour inscrire dans le concept une idée de sortie du nucléaire, ce qui démontrait d'une part la profonde méconnaissance de la logique de l'Alliance, et surtout de la sensibilité de Paris sur la question. A. Merkel fut obligée d'intervenir, quinze jours avant le sommet, pour rassurer des dirigeants français ulcérés. C'est qu'elle n'avait pas contrôlé la chose, et qu'elle non plus n'avait pas vu, à l'origine, les ressorts internationaux de l'affaire. Il ne s'agissait, croyait-elle, que d'un moyen de faire plaisir aux verts allemands, à qui elle venait d'imposer la prolongation des centrales nucléaires.
  • l'affaire libyenne est intervenue depuis. Et la surprise fut grande, encore une fois, de voir les Allemands s'abstenir de voter la résolution 1973 à l'ONU. On craignit même, à un moment, qu'ils votassent contre, ce qui était la position de G. Westerwelle. Sur intervention de Mme Merkel, l'Allemagne s'abstint, comme la Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil (voir mon billet sur les votes). Cela n'a pas été compris. Tout le monde aurait admis qu'elle ne participât pas aux opérations militaires directes, et notamment aux frappes aériennes : mais elle s'est mise, délibérément, en retrait de ses alliés.

5/ Certes, A. Merkel a ensuite cherché à donner des signes de bonne volonté : elle vient au sommet de Paris le 19 mars, s'affiche avec le président français au Conseil européen du 24 mars, etc... mais il s'agit de "gestes", qui veulent "rattraper" l'impair. Le mal est fait.

6/ On peut se réjouir, d'une certaine façon, que G. Westerwelle ait été obligé de démissionner, aujourd'hui, de la présidence de son parti (voir ici et ici) : il paye les mauvais résultats aux dernières élections mais aussi son manque de maîtrise aux affaires. Cela ne suffira pas à lui conserver son poste de ministre, puisqu'il vient, apparemment, d'être impliqué dans une affaire de coopération financière avec l'Iran.

7/ Cela ferait un deuxième ministre "régalien" obligé de démissionner, après Karl von und zu Guttenberg (voir mon billet), celui là même qui avait osé dire que l'Allemagne, en Afghanistan, menait des opérations de guerre. Décidément, Mme Merkel n'a pas de chance avec ses collaborateurs chargé de l'extérieur.

8/ Au fond, tout ceci révèle bien des choses :

  • tout d'abord, une perception fondamentalement tournée vers la politique intérieure, comme si les affaires du monde étaient décidément fort embarrassantes. Beaucoup dénoncent à qui mieux mieux le pacifisme de la société allemande : je crois plus simplement qu'il faut parler d'un isolationnisme.
  • ensuite, une absence de goût d'Angela Merkel pour les affaires extérieures, ce qui l'empêche d'avoir une vision, une compréhension, une ligne. Au fond, elle donne le sentiment d'être chaque fois surprise de ce qui arrive du dehors. Un grand homme d'Etat peut-il négliger une telle dimension ?
  • enfin, une profonde incertitude, un peu angoissée, devant l'évolution du monde. Cela dépasse la personnalité d'Angela Merkel, pour toucher aux ressorts essentiels de l'Allemagne d'aujourd'hui. Et ce qui pourrait être compréhensible vis à vis "du reste du monde" (Afghanistan, Libye, Méditerranée), semble dorénavant valoir également pour l'attitude de l'Allemagne envers l'Europe (et ps seulement l'Union européenne). L'Allemagne semble totalement déboussolée.

Cela fera l'objet d'un prochain billet, où l'on évoquera l'économie, et l'Europe.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 3 avril 2011, 19:50 par Boris Friak

La démission de Horst Köhler, le précédent président de la République fédérale, après avoir tenu un langage assez clair sur les motifs des engagements internationaux de l'Allemagne, aura durablement des effets castrateurs pour tous les dirigeants du pays

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