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Otan en Libye (4) Premières difficultés

Suite de ma série d'articles (précédent)

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Par ailleurs, l'engagement de l'alliance intervenait à un moment délicat.

Alors que la coalition avait eu le beau rôle ...

... (elle avait « sauvé Benghazi ») et montré son efficacité, l'Alliance se voyait en charge du long terme, médiatiquement beaucoup plus difficile à porter. Non seulement elle entrait en scène comme un second rôle, mais elle se voyait immédiatement soupçonnée d’inefficacité !

En effet, malgré les désirs du temps médiatique, fait d'émotion et d'instantané, la guerre prend toujours du temps : le temps nécessaire à l'attrition des forces de l'autre, à son usure grâce au rapport de force qui certes est favorable aux alliés, mais qui produit ses effets dans la durée. L'Alliance devait démontrer sa patience dans un monde impatient, alors que justement elle tenait ce même discours au sujet de l'Afghanistan. Cela ne fut dit par personne, mais chacun y songeait : si l'alliance intervient, ne va-t-on pas s'enliser ? (Ou plutôt, des journalistes incultes parlaient déjà d'enlisement au bout de 48 heures....) D'autant que dès les premiers jours, on assistait aux premières bavures, l'alliance frappant des cibles insurgées.... Rapidement d'ailleurs, ceux-ci se plaignaient début avril de l'inefficacité de l'OTAN, qui notamment n'appuyait pas la ville de Misrata, assiégée par les forces de Kadhafi.

Misrata était un symbole : une ville de Tripolitaine, rebellée contre le régime, et qui résistait seule aux assauts, sans appuis. Misrata était un véritable enjeu stratégique : planté à revers du dispositif du colonel, il empêchait celui-ci de concentrer ses efforts contre les rebelles de l'Est (en terme de mission, on parle de "fixer l'ennemi" : mais le vocabulaire militaire français s'oublie peu à peu, ce qu'il faut déplorer). Il convenait de la sauver à tout prix.

C’est bien pour cela que pendant ce temps-là, les Turcs eurent beau jeu de monter une opération d'évacuation humanitaire, tandis que les Allemands proposèrent une mission EUFOR d'assistance . Dans le même temps, les troupes du colonel Kadhafi avaient adapté leur tactique, selon les vieilles lois de la guerre (adaptation et contournement) : abandon d'unités massives en faveur d'un éparpillement d'unités plus légères, montées sur pick-up, utilisant les voies parallèles à l'autoroute côtière avec un renfort localisé mais intense d'artillerie, dispersion des unités au sein des populations pour s'en servir de bouclier contre les frappes aériennes, …. On assistait donc à une succession de va-et-vient entre Brega et Ajdabiya, selon un rythme accélérée, reprenant vaguement l’affrontement ancien entre Rommel et Montgomery…. Sans d’ailleurs qu’on ne vît sur place l’équivalent d’un Rommel ni d’un Monty. Toujours, l’aviation alliée intervenait à l’Est, pour empêcher une percée des forces de Kadhafi : elle avait donc quelque mérite, cette aviation. Mais en tenant compte de ses limites.

En effet, l’air power pouvait remporter la décision (en affaiblissant, dans la durée, les forces du colonel Kadhafi, mais aussi ses dépôts de munition et ses lignes logistiques) mais ce ne serait que dans un temps long. L'airpower est une guerre d'usure, qui réduit peu à peu les forces de l'ennemi et sa logistique, alors que l'ennemi n'a ni réserve ni possibilité de se renforcer. Dans la durée, Kadhafi ne peut pas gagner, il peut juste espérer le pat, et encore.... Mais les stratégistes le savent, pas les hauts-parleurs des médias. On sait de plus que l'air power a systématiquement besoin de troupes au sol pour tenir le terrain : ce furent les Croates en 1995, les Kossoviens en 1999, les troupes de Shah Massoud en 2001... Mais les insurgés de Benghazi, s'ils sont plein d'ardeur, n'ont aucune qualité guerrière réelle : il faut donc du temps pour les armer, les instruire un minimum, les entraîner à obéir aux ordres pour avoir une action coordonnée... là encore, il faut des délais.

Encore une fois, l'OTAN devait enseigner la patience !

A suivre

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 26 avril 2011, 17:34 par Boris friak

Outre les exemples que vous citez, l'expérience de l'armée israëlienne quant aux limites de l'air power fait que plus personne nulle part envisage d'emporter la décision par les seules frappes aériennes.

2. Le mardi 26 avril 2011, 17:34 par Jean-Pierre Gambotti

L’air power et les médias.
Délivrer de l’énergie sur des objectifs terrestres en utilisant la 3° dimension n’est pas une stratégie, mais un mode opératoire. En revanche une campagne aérienne sans intervention de soldats au sol, peut être de la bonne stratégie. Je ne fais pas dans le paradoxe, je pense que nous avons un problème avec la projection de puissance. Nous pensons encore, sottement, que la maitrise des événements nous échappe parce que la technologie nous tient éloigner du théâtre d’opérations. Cette appréhension est d’abord d’origine atavique, notre modèle de la guerre est toujours celui décrit par Thucydide si l’on en croit V.H. Hanson, mais surtout, et j’ai l’impression d’enfourcher à nouveau Rossinante, nous refusons obstinément la révolution clausewitzienne et son principe copernicien, les guerres se jouent et se gagnent avec et sur les centres de gravité.
Pourtant, puisque la stratégie est la pensée en action, décider d’agir sur ce qui fait la puissance du duelliste adverse en l’annihilant par de l’énergie délivrée par le haut, ne me semble pas étranger, pour faire dans la litote, à la stratégie.
Et à la bonne stratégie. A condition de faire un peu de pédagogie et détromper ceux que l’on a leurré depuis cette sur-médiatisation dévoyée de la guerre montrant des frappes pixellisées et déréalisées, et de faire accepter à notre opinion publique cette terrible réalité de la guerre, "le feu tue" et beaucoup de feux... tuent beaucoup. Que la destruction du centre de gravité adverse a un prix, mais que ce prix est certainement moins élevé, grâce à la précision métrique des vecteurs qu’une guerre poitrine contre poitrine.
"Les passions appelées à s’embraser à la guerre préexistent dans les peuples concernés", énonce Clausewitz pour expliciter le premier élément de sa trinité. Engagés en Libye sous l’égide de l’ONU, croisant le fer par procuration au bénéfice du faible, on pouvait imaginer qu’il n’y ait aucune pulsion de ce type chez les peuples de la coalition puisque nous sommes dans cette guerre essentiellement par raison et pour le droit. Pourtant c’est la confusion. Et la passion. Nous savons que résoudre un différend par la violence c’est toujours faire prospérer les qualités mimétiques du "caméléon". En l’occurrence il a pris la forme de la projection de puissance et nous nous empeignons sur la pertinence de cette stratégie.
Je prône le retour au calme. Pas de forces au sol, pas d’enlisement, et si le stratège a distingué le bon centre de gravité adverse et choisi la projection de puissance comme solution appropriée, nous sommes bien dans le calcul stratégique, dans la guerre "pensée".
Sachons ne pas subir la doxa.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

3. Le mardi 26 avril 2011, 17:34 par Alpha

Les kossoviens ... Très grossière faute .. Les kosovards plutôt !

égéa : mais non, pas grossière faute, au contraire... deux s pour respecter les règles françaises de orthographe, et -viens parce que le suffixe -vars n'existe pas en français. Je note que vous mettez un kosovards, incluant un d qu'on ne trouve jamais dans l’orthographe couramment usitée. Mais il est vrai qu'il y a des savoyards. Il reste que les indépendantistes d'Albertville (!) n'aiment pas ce "savoyard" et lui préfèrent un "savoyen".... justement.

Enfin, autrefois (19° siècle), on parlait de Kossovie : elle a été abandonnée....

Bref, je maintiens ma coquetterie, à dessin. Na!

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