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Chambord, un château politique

J'ai passé ma journée à Chambord : je confesse, à ma grande honte, que c'était la première fois de ma vie et que ce fut donc une découverte. Outre le plaisir de s'échapper de Paris par une belle journée de printemps (ça avait un air de vacances......!) cela m'a occasionné quelques réflexions géopolitiques. Au-delà de la carte postale.

Chambord__7_.jpg source

Car au fond, Chambord est un château qui est surtout politique.

1/ On pense bien sûr à d'autres châteaux politiques : en France, le Louvre d'un côté, Versailles de l'autre. Mais Chambord est différent.

2/ Regardez la photo ci-dessus, prise sous un autre angle que ce qu'on montre d'habitude : on y distingue bien le donjon central, entouré des fioritures (les deux ailes, la terrasse).. Alors que notre représentation habituelle voit dans Chambord un château plat (la longue façade face au parc), c'est en fait d'un château carré qu'il s'agit. Un château qui témoigne encore de l'idée militaire qui l'anime. François 1er n'est-il pas passionné de chevalerie, n'est-il pas le roi-chevalier ? il y a donc le rappel de la fonction "militaire" du château. Pourtant, il n'y a là qu'évocation.

3/ Car immédiatement, on constate que ce n'est qu'un prétexte : ce château n'a aucune fonction guerrière, il est percé de larges baies, couvert de cheminées affriolées, entouré d'une douve qui fait plus bassin d'apparat que barrière liquide. Le plan carré est organisé en quatre parties géométriquement distribuées autour d'un escalier central (à double volte, comme à Amboise). Autant de signes qui montre que l'utilité est autre. Elle n'est pas seulement symbolique, elle est une idée.

4/ Les guides expliquent que c'est la Renaissance : pourquoi pas? je constate que le "pavillon de chasse" dépasse par son ampleur le simple lieu d'accueil d'activités cynégétiques, aussi royales qu'elles fussent. Je vois que ce château a été peu habité : Gaston d'Orléans, Maurice de Saxe, Stanislas Leszczynski, ... et c'est à peu près tout. En fait, c'est un château vide. Planté là, au milieu d'une forêt certes giboyeuse, mais loin de tout, même pas sur les terres traditionnelles des rois de France, une glacière en hiver, un affolement de moustiques en été, un marais mal curé.... Pourquoi avoir planté là cette grande machinerie ?

5/ Parce que l'idée est politique. Le château, c'est le moyen que trouve François 1er (qui y passe, de mémoire, 73 jours en tout....!) d'imprimer sa marque, d'impressionner ses visiteurs, de montrer sa grandeur. C'est parce que c'est vain qu'il est puissant. Le château devient, dans sa démesure, le signe extérieur de la puissance, de la toute-puissance. La démesure (car le château est démesuré) loin de tout démontre,quasiment par l'absurde, à quel point le roi est le maître.

6/ C'est la vraie raison du caractère "renaissant" de ce château : il n'est pas dû seulement à son plan "logique", pas seulement à l'accumulation de détails décoratifs, mais surtout, au changement radical dans l'expression politique du pouvoir. Ce château n'a d'autre utilité que d'être un discours : il est la manifestation du pouvoir du roi et, déjà, de l'Etat.

7/ C'est en cela que Chambord diffère du Louvre ou de Versailles : car ces deux lieux ont été des endroits où le pouvoir s'est réellement exercé : l'association était alors forcément directe. Dans le cas de Chambord, rien de tout ça. Un château "pour rien", qui exprime donc l'essentiel.

8/ Il n'y a donc pas tout à fait de hasard si le dernier prétendant sérieux au trône, Henri V comte de Chambord, a porté ce nom. On lira le manifeste du 5 juillet 1871, où il pose la question du drapeau blanc (qui le fait, finalement, renoncer au trône) : il est daté de Chambord.... Par une singulière coïncidence, ce château si politique allait, pour la première fois de son histoire, être le lieu d'une décision politique... qui marquait la fin de la monarchie en France.

9/ Un château très peu politique, donc, en apparence. Et pourtant, un château qui symbolisait, déjà, avec 250 ans d'avance, la dépersonnalisation du pouvoir. Quand vous arrivez par l'autre côté, pas celui du parc mais celui du jardin, vous apercevez d'ailleurs, au dessus du petit fronton d'entrée, un drapeau tricolore. Plus que la réponse républicaine aux prétentions d'Henri V, j'y vois la symbolique du château, lui qui marque l'entrée dans la modernité : bientôt, la politique serait désincarnée, elle serait fondée sur les idées.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 7 mai 2011, 22:23 par CNE préparant

Je réagis à votre post.
La démesure politique et le plein-la-vue ne sont pas que français. Gardons en tête les nombreux châteaux qu'a fait bâtir Henri Tudor VIII (dont le Sans-Pareil) qui permettaient, finalement, à ce roi, de montrer sa toute puissance à ses cousins Outre-Manche. Je ne cite que lui, mais je suis certain que d'autres ont fait pareil. Cependant,j'avoue que le rapprochement entre le but politique de Chambord et le fait que le seul acte politique signé met fin à la royauté en France est très bien vu. Pourtant, cela n'allait pas de soi...

2. Le samedi 7 mai 2011, 22:23 par AGERON Pierre

§ 5 : L'hybris comme moyen de fixation d'une puissance, d'un ordre géopolitique?

égéa :oui, l'hybris : je n'y ai pas pensé. S'agit-il vraiment de cela? Bonne question. A creuser..... Pour le commentaire précédent ; Sans Pareil : je ne le connais pas. Mais si c'est vrai (grosso modo, même époque), cela témoigne d'un même phénomène, "renaissant", qui serait donc partagé : cela n'invalide pas l'analyse sur Chambord.

3. Le samedi 7 mai 2011, 22:23 par AGERON Pierre

A mon avis, c'est en tout cas le cas pour Versailles (Cf Elias et la "Société de Cour")

4. Le samedi 7 mai 2011, 22:23 par Catoneo

Le plan de masse est médiéval, l'exécution est ouverte au milieu de nulle part signifiant "je suis en sûreté chez moi en France".
On pense aussi aux châteaux de Louis II de Bavière.
égéa : Pland e masse médiéval : oui.... L2 a construit ça en fin XIX° justement por symboliser qu'il n'avait plus de pouvoir politique : démarche elle aussi intéressante, mais différente.

5. Le samedi 7 mai 2011, 22:23 par yves cadiou

L’emplacement (la situation géographique du château), est en lui-même significatif : à l’époque, c’est l’endroit le plus sûr du royaume (idée suggérée par Catoneo ci-dessus). Le royaume est menacé de toutes parts : les Anglais au nord (échec du Camp du drap d’or en 1520, Calais est une tête-de-pont qui ne deviendra française qu’en 1538) ; les Habsbourg au sud (Espagne), au nord-est (Flandres), au sud-est (Autrichiens et Suisses vaincus à Marignan mais encore combattifs) ; à l’ouest on ne sait pas encore si la Bretagne sera espagnole, anglaise ou française (le mariage avec Anne de Bretagne en 1532 et les difficultés de navigation sur ses côtes, favorisant celui qui approche par la terre, la feront française) ; même Paris n’est pas sûr avec sa populace qui ne tardera pas à se soulever quand le roi sera faible.

A Chambord on n’a pas à craindre l’attaque d’une armée étrangère équipée de canons ni celle d’une foule en fureur : on craint seulement l’attaque de ces bandes pillardes qui sévissent partout et à cause desquelles on voyage groupés et sérieusement armés. Le château est organisé contre les assauts rustiques : les appuis de fenêtres sont hauts, les tours d’angle permettent de traiter la piétaille assaillante avec cette arme ultramoderne qu’est l’arquebuse (portée cinquante mètres) interdite d’usage contre la chevalerie mais non contre les manants.

égéa : OK : je n'avais pas vu cet aspect des choses...... Merci !

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