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Légalité et légitimité

Un correspondant m'entretient de la question de la légalité et de la légitimité, comparant ONU et OTAN.

source

Le sujet est classique mais je m'aperçois qu'il n'est pas forcément aussi connu que ça. Je me permets donc d'y revenir, car il ne touche pas seulement à l'ordre politique, mais aussi aux questions stratégiques.

Légalité vs légitimité : C'est un sujet classique de philo po. Pensez à 1940 : Pétain est légal et pendant un temps, légitime. Le 18 juin, De Gaulle est illégal, mais il se prétend légitime. Il y a donc lutte des légitimités.

Fin 1943, DG est légitime et invente une nouvelle légalité (GPRF) quand Pétain conserve la légalité en métropole. La réunion de la légalité et de la légitimité se fait après le débarquement, en 1944.

Conclusion : les deux notions sont normalement conjointes mais l'histoire produit des moments où elles se disjoignent. Pensez à la Commune, entre révolutionnaires et gouvernementaux de Thiers. Pensez en fait à toutes les révolutions, française, soviétique, chinoise....

Un stratégiste doit comprendre cette distinction, parce que la lutte des légitimités ne s'exprime le plus souvent que dans des situation de violence extrême : guerres ou révolutions.... En jeu, l’État et son monopole de la violence "légitime" : Max Weber ne s'y est pas trompé !

Prenons d'autres exemples, comme celui du Kossovo en 1999.

Ainsi, comme on l'a remarqué récemment, l'ONU est aujourd'hui le grand pourvoyeur de légitimité. La légitimité onusienne assure, généralement, la légalité des opérations; Dans le cas du Kossovo, l'illégalité de l'opération alliée fut justifiée au nom d'une légitimité supérieure. Les deux ont été réunies à l'issue quand les faits (le sort des armes) en a décidé (avec le retrait serbe) : l'ONU a alors voté une résolution et validé le rôle de la KFOR....

Le débat est important et dépasse le cas ONU vs OTAN , pour comprendre le rôle des armes : quand on entre dans la guerre, c'est que les solutions légales ne suffisent plus et que deux légitimités s'affrontent......

C'est ce qu'illustre, enfin, le cas de la Côte d'Ivoire : Ouatarra avait la légitimité et la légalité, mais ne disposait pas du pouvoir : il y avait lutte des monopoles de la violence. La prise d'Abidjan a réuni les trois facteurs.

Ainsi, il faut non seulement pour un État réunir légalité et légitimité, mais aussi monopole de la violence.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par Midship

Il en va de la légitimité et de la légalité comme des courbes de natalité et de mortalité. Dans chaque pays, historiquement, on avait deux droites horizontales hautes, puis l'une a chuté avant l'autre (la mortalité, en général), avant que les deux ne se rejoignent. En tout cas si je me souviens bien de mes cours de collège.

Le gap, le moment où les deux courbes s'écartent, c'est là où il se passe quelque chose. Un révolution démographique, au moins.

2. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par Thucydide

Ne pensez vous pas, que l'on glisse plutôt vers une conception qui procède des écrits de Thomas Hobbes dans laquelle l'ONU devient le "Léviathan"?
« Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits, est de rassembler toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une personne une, est appelée un ÉTAT, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. En effet, en vertu du pouvoir conféré par chaque individu dans l’État, il dispose de tant de puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis de l’étranger. En lui réside l’essence de l’État qui est (pour le définir) une personne une dont les actions ont pour auteur, à la suite de conventions mutuelles passées entre eux-mêmes, chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera convenir à leur paix et à leur défense commune. »
égéa : mais Léviathan n'a-t-il pas la force ? l'ONU a-t-elle la force ?

3. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par AGERON Pierre

la SOURCE wébérienne...
1)légitimité rationnelle ou légale "la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens", fondée sur l'élection
2)la légitimité traditionnelle fabrique sa propre légalité, progressivement construite ( Monarchie de plus en plus solide/ princes et barons)
3) la légitimité charismatique est la plus problématique car il y a soit union soit divorce et à un moment du processus incertitude: la peuple va t-il accepté cette domination qui ne vient pas de Lui?

4. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par pfr

Et que pensez-vous de la légalité/ légitimité de l'intervention en Afghanistan ?

5. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par Boris Friak

L'exemple du Kosovo est excellent car récent et pose très directement la question de la responsabilité individuelle des militaires de la coalition qui ont obéi aux ordres en contradiction avec le traité de l'Atlantique nord et le droit international.

Les militaires allemands qui ont refusé l'obéissance aux ordres ont (à ma connaissance) tous été relaxés. J'ignore si le même niveau d'éducation démocratique a pu être observé au sein des forces armées des autres pays de la coalition.

6. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par yves cadiou

Sujet classique oui, mais aussi sujet d’actualité. L’actualité du sujet se voit sur ce blog où la question transparaît derrière chaque billet à quelques exceptions près.

Avec cette question à un concours il faudrait, à mon humble avis (je ne suis pas examinateur), rester dans la théorie et s’appuyer sur des exemples historiques qui permettent de se couvrir par des auteurs incontestés. Au contraire les positions que l’on prend sur l’actualité risquent d’être considérées comme partisanes voire iconoclastes, en tout cas peu référencées : l’actualité passe mal dans un devoir de culture générale.

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L’anodin mai-juin 68, dont j’ai le souvenir précis, me semble un exemple assez typique de l’opposition puis de la convergence entre légitimité et légalité. Exemple trop léger et trop peu étudié pour être utilisable dans un devoir de géopolitique mais exemple typique et présentant l’avantage de ne pas être dramatique, même si certains acteurs immatures ont imaginé qu’ils participaient à une guerre civile.

Premier temps, mai. Le pouvoir légal semble perdre sa légitimité à cause d’un chahut étudiant amplifié par des grèves printanières et par les médias : les radios privées disposent alors, grâce au transistor, d’un moyen nouveau pour suivre l’action sur le terrain ; concurrentes commerciales, elles dramatisent à qui mieux-mieux.
Deuxième temps, juin. La légitimité revient par la voie légale avec des élections législatives anticipées conformément à la Constitution approuvée par referendum, encore intacte à l’époque. La légitimité et la légalité se rejoignent alors, apparemment sans que la violence entre en jeu (je parle de la vraie violence avec armes de guerre, je ne parle pas des slogans idiots comme « CRS=SS »). Mais la vraie violence se profile quand-même en fond de tableau, avec la certitude que l’armée interviendra aux ordres du pouvoir légal si les « émeutiers » se prennent au sérieux et menacent réellement les institutions.

Dans cet exemple gentillet on voit que la violence, atténuée et seulement sous forme de menace d’escalade, réunit la légitimité et la légalité.

égéa : je note au passage l'importance du transistor, sorte de Facebook/twitter avant l'heure, qui permet des comparaisons possible avec les révoltes arabes du début de l'année....

7. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par yves cadiou

L’importance du transistor comme moyen de réception portatif avait déjà été notée à l’occasion des manifestations de foule à Alger au début des années soixante : les meneurs menaient depuis les studios de radio, envoyant des messages et des infos vers le terrain où beaucoup de manifestants avaient « le transistor » à l’oreille (on appelait ainsi ces récepteurs portatifs ultramodernes il y a cinquante ans). C’était nouveau. En 1968, ce qui est nouveau c’est que désormais la technique permet d’émettre depuis le terrain par des moyens légers et mobiles : c’est pourquoi le 23 mai le pouvoir interdit aux stations de radios d’utiliser leurs voitures émettrices, et donc de faire des reportages en direct.

Il y a comme vous le dites une comparaison possible (mutatis mutandis, car le niveau technologique n’est pas le même) avec les évolutions actuelles. D’une façon plus générale, on peut se risquer à dire (en s’écartant du sujet du jour) que toute évolution sociologique trouve toujours indirectement son origine dans une découverte chimique.

égéa : découverte chimique... ou technique ?  (je précise technique, car je n'ai toujours pas compris la différence entre technique et technologique, à part que le second a une syllabe de plus et fait donc forcément plus chic, plus sérieux : technique, ça sent son mécanicien de village, un maréchal-ferrant à peine évolué, en quelque sorte...)

8. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par yves cadiou

Chimique ou technique ou technologique, me demandez-vous au sujet du transistor. Pour moi, sans qualification particulière pour en parler, la technologie est l’ensemble des techniques maîtrisées par une civilisation à un moment de l’histoire et qui permettent au groupe humain qui les maîtrise de fonctionner d’une certaine façon qui lui est propre. La chimie, connaissance plus ou moins fine et utilisation de l’infiniment petit, fait partie des techniques.

Dans le cas du transistor, c’est une découverte chimique qui permet un progrès technique. La conséquence sur le niveau technologique de la société concernée entraîne des évolutions sociales (ou sociologiques, je vous laisse choisir). Parmi ces évolutions, un pouvoir accru des radios à qui le transistor permet en 1968 de manipuler en direct les émotions des auditeurs jusqu’à l’interdiction du 23 mai.

La découverte chimique avait consisté à s’apercevoir (je sais tout, j’étais abonné à Science et Vie ; en plus des Transmetteurs m’ont expliqué) que le silicium est semi-conducteur, c’est-à-dire qu’il peut remplacer, plus léger, moins fragile et moins consommateur d’énergie, les lampes diodes et triodes. Ces lampes, avant le silicium, étaient des espèces de valves anti-retour (pléonasme ? je suis en limite de compétence), valves nécessaires aux circuits émetteurs ou récepteurs radioélectriques. Les lampes faisaient que le matériel était peu maniable. Le transistor, découverte chimique, a modifié l’information dans les années soixante un peu comme aujourd’hui la fibre optique ou l’écran à cristaux liquides.
égéa : seuls les lettreux sont capables de parler clairement de la science....

9. Le mardi 31 mai 2011, 20:04 par

Bonjour,

J'ai pris grand intérêt à lire le billet comme les réactions et apports ayant suivi. Sujet contemporain s'il en est, et peu apprécié par tout gouvernant qui se respecte (et peut-être moins encore des étudiants ayant à plancher sur le sujet).

La légalité et la légitimité sont ordinairement liés à un instant ou période donnés. La dissociation devient d'actualité lorsque la question se pose : en effet, la dichotomie n'intervient (du moins en théorie) que lorsqu'il y a une raison de la soulever.
C'est lorsqu'il advient qu'aucune solution ne peut être envisagée pour concilier légalité et légitimité qu'il y a duplication de la légitimité (à la différence près que l'une dispose de l'appui légal, et l'autre non mais peut compenser par l'assise morale).

La légalité peut faire hiatus à la légitimité si elle en devient oppressante, rétrograde ou partiale.

Pour tout vous dire, c'est en revisionnant cette superbe fresque cinématographique qu'est La révolution Française (en ses deux parties) que j'en suis revenu à m'interroger plus en détail sur ledit sujet. Après tout, le 20 juin 1789 n'est-il pas un autre exemple d'illégalité légitime?

Cordialement

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