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Du contrôle

Je poursuis mes réflexions sur les liens entre commandement et management. Cela passe par la question du contrôle.

controleur_2.gif en hommage à Frankin, avec une source ici

En effet, la fréquentation américaine depuis une quinzaine d'années amène les militaires à associer, comme si cela allait de soi, le contrôle au commandement : le C2, devenu par la magie de l'inflation acronymique (d’ailleurs, on parle d'acronymes, à l'américaine, et plus d’abréviations, comme quand j'étais petit) un C4I2STAR avec un l'alphabet derrière : ce souci descriptif du détail prouve que les gens ne pensent plus, d'ailleurs. C'est comme ces gens qui se croient obligés de mettre du et/ou, par refus de choisir, et qui montrent ainsi que leur pensée est confuse : candidats de l'école de guerre, bannissez ce et/ou. Mais allons plus loin, car je dévie.

1/ Le monde est de plus en plus complexe :

  • extension des domaines d'intervention (géographiques et fonctionnels)
  • ramification des compétences
  • développement des outils et des réseaux sensés accompagner cette complexité (et donc, l'augmentant, l'avez-vous remarqué ?)
  • explosion des organisations, avec des "matricielles" et des "modes projets" qui, sous couvert d'accompagner la complexité, la renforcent.

2/ Au fond, tellement d'enjeux s’entrecroisent qu'aucun système rationnel ne peut, par lui-même et par la seule force de sa structure, répondre à tous les défis.

3/ La solution passe alors par le facteur humain, le manager, le chef. Avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses limites : mais c'est le seul qui peut

  • se conduire dans un environnement complexe,
  • et conduire l'action de l’organisation dans cet environnement.

4/ Or, rien ne garantit la qualité de son action, ni la mise en œuvre des ordres et des intentions de la direction (du commandement).

La question se pose donc : comment assurer que l'individu, unique, œuvre pour le collectif ?

Pas simple...

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 30 mai 2011, 20:08 par Midship

Ainsi que je le laissais entendre la dernière fois (http://bit.ly/iLrRvW), je pense justement que le contrôle n'est pas un bien mais un mal nécessaire (voyons, est-ce naturel, au sens Rousseauiste, de contrôler ?). Du mal nécessaire nous sommes passés à un mal habituel, puis à une simple habitude, pour finir avec une vraie manie. Nous voulons tous tout contrôler. Nous sommes dans un monde qui se divise maintenant en deux catégories : les "control-freak" et les simplets (qui creusent, donc).

Le problème, c'est que l'on a oublié que le contrôle tue ! Il tue l'initiative, la manœuvre (et sa fidèle marge de manœuvre). Il tue la liberté de constater en dictant l'endroit où le regard doit se poser. Il tue la liberté de réfléchir en donnant le bon taux, la bonne formule, à partir de quand une situation est normale ou ne l'est pas. Il tue la liberté d'agir, en dirigeant à l'avance la procédure à appliquer en telle ou telle situation.

Le contrôle a priori par l'émission de norme est ce qui a permis les plus grands développement de ces dernières années, et qui a tué le chef, le manageur, l'employé, bref, l'homme. Jusqu'au grand chef, lui aussi aussi soumis que les autres aux normes.

Le contrôle a priori serait donc à bannir au profit d'un contrôle d'efficacité, a posteriori, qui n'évaluerait que la contribution ? C'est oublier que je parlais plutôt de mal "nécessaire", car je ne nie pas les nécessités d'établir des normes. Je tiens juste à interroger le niveau sur lequel on positionne le curseur.

2. Le lundi 30 mai 2011, 20:08 par

Contrôler, qu’est-ce que c’est ? Le nœud du problème se situe dans la confusion entre « contrôle » et « control ». La langue française nous donne un atout pour définir le mot contrôle, à condition de ne pas le confondre avec « control » anglais qui se traduit par « maîtrise » ou « conduite » ou « pilotage ».

On ne devrait pas employer le mot « contrôle » au sens de « control ». Code de la route : « le conducteur doit rester maître de son véhicule ». Quand il n’est plus maître de son véhicule on dit couramment, mais improprement et en franglais, « il a perdu le contrôle ». Si je me souviens bien de mes cours d’anglais, control et contrôle sont ce qu’on appelle « des faux-amis ».

En français, le contrôle est une vérification (contrôle des billets, siouplaît). En utilisant le mot « contrôle » au sens de « control », on appauvrit la langue. On appauvrit donc la pensée parce qu’alors le mot « contrôle » fait double emploi avec le mot « maîtrise » et l’un des deux disparaîtra en effaçant ainsi de nos esprits la nuance qu’il porte.

Sur votre dessin, Prunelle perd la « maîtrise » de ses nerfs parce qu’à l’occasion d’un « contrôle » il constate que le paquet qui devait être expédié est encore ici.

Dans l'exercice du commandement, la nuance est importante car la confusion entre "maîtriser" et "contrôler" mène aux erreurs de commandement, voire à la paralysie : il existe de mauvais chefs qui croient maîtriser grâce à des contrôles tatillons et continuels. Par cette méthode ils ne font que ralentir l’action et diminuer la confiance qu’on leur porte car la vraie confiance est réciproque. C’était, paraît-il, un défaut des chefs militaires du Second Empire qui contrôlaient les boutons de guêtre pour s’éviter de réfléchir à la situation d’ensemble. Autre exemple de contrôle qui reflète un manque de maîtrise, j’ai connu un colonel de pompiers (civil), directeur départemental qui voulait équiper tous ses véhicules de GPS. Bonne idée a priori si c’était pour que les équipes ne se perdent pas en route, mais non : il ne savait pas que le GPS est seulement un récepteur et il s'imaginait qu'il verrait en permanence, grâce au GPS qui le renseignerait automatiquement, où était chacun de ses véhicules. A ce point, ce n'est plus du contrôle mais de la défiance.

Le chef doit faire preuve de maîtrise : maîtrise de soi-même (self-control) et maîtrise de la situation. Maîtriser exige de la confiance alors que contrôler consiste à constater que la confiance est bien ou mal placée. De plus, il ne faut pas oublier que le commandement, c’est du management dans des situations dangereuses et que, de ce fait, les sentiments en font partie : contrôler, c’est aussi indiquer à son subordonné que l’on accorde de l’importance à ce qu’il fait et par conséquent de la considération à celui qui le fait.

3. Le lundi 30 mai 2011, 20:08 par

Bonjour,
La réponse de Yves, surtout avec le directeur départemental pompier m'a fait sourire. Je "navigue" dans ce milieu et le raisonnement de cet officier apparait comme le fruit du système de formation (formatation?). "La confiance n'exclue par le contrôle" et la phrase favorite des officiers sapeurs-pompiers qui ensuite viennent pleurer du manque d'initiative du personnel.
Je me rappelle d'une discussion avec un ami, au sujet de la confiance et de ce contrôle avec l'histoire (plus ou moins imaginaire) de l'officier qui met ses gants blancs pour les passer partout et voir si tout est propre. En tant qu'ancien chef d'entreprise j'avais répondu que j'attendais avec impatience qu'on me fasse ce genre de chose, rien que pour le plaisir de répondre "la prochaine fois, trempez vos gants blancs dans le produit de nettoyage et venez tout vérifier, cela évitera au contribuable de vous payer à ne rien faire".

Mais je m'égare. La meilleure preuve de l'inefficacité du contrôle mené par un tiers, c'est sans doute l'approche menée par Citroen dans les années 70. La Sté avait édité des cassettes vidéos de cours, expliquant aux ouvriers ce qu'était l'auto-contrôle, pourquoi il fallait le faire etc. En clair, réussir à responsabiliser l'individu afin qu'il puisse "se mesurer" et éviter les écarts dans sa production.
Il est également intéressant de donner à voir "où on est". Ainsi, l'employé qui colle une étiquette sur le paquet, lors de l'expédition, ne voit pas forcément cette étiquette comme "importante". L'étiquette est de travers? pour lui, ça ne change rien. Ce n'est qu'en présentant à cette personne tout le principe de fonctionnement (l'ensemble des processus et des procédures pour reprendre un vocabulaire ISO) qu'elle va se rendre compte que l'étiquette de travers a un impact énorme. Or, paradoxalement, cet impact énorme est souvent "gérable" avec un effort minime.

Je vais finir en vous racontant une "blague" que je racontais (et raconte encore) lorsque je gérais les processus ISO de ma Sté.
Imaginons une entreprise qui répare des camions. Dans cette entreprise il y a des commerciaux qui cherchent des camions à réparer, un atelier qui répare et un secrétariat. Les commerciaux ont des chemises cartonnées vertes dans lesquels ils mettent les info des clients puis ils transmettent ces chemises à l'atelier. Comme l'atelier doit aussi réparer les camions de la Sté en plus de ceux des clients, les gars de l'atelier ont des chemises rouges pour les camions de la Sté, ce qui leur permet de les distinguer des chemises vertes, des clients. La Sté va bien, prend de l'ampleur. Et de nouveaux commerciaux sont embauchés. Comme il n'y a plus de pochettes vertes, le nouveau commercial va en demander à la secrétaire. Celle-ci a reçu mission de veiller à ne pas trop dépenser. Elle ouvre le placard, et trouve une énorme pile de pochette rouge. Elle demande au commercial s'il ne pourrait pas, par hasard prendre des rouges parce qu'il y en a plein. Et le commercial répond que Oui, puisque chemise verte ou bleue, ou rouge, on s'en moque.
A partir de cet instant, tout va se gripper: le prochain client sera dans une pochette rouge, et ne sera pas traité en priorité par l'atelier qui considérera cette pochette comme celle d'un "de nos camions". Lorsque le client rouspétera parce que son camion ne revient pas, le commercial appellera l'atelier qui, bien sûr, ne trouvera pas la pochette du client (puisqu'elle est rouge et que pour l'atelier, pochette client = pochette verte").
Les commerciaux commenceront alors à traiter les gars de l'atelier comme des incapables, l'ambiance deviendra exécrable et tout ira de plus en plus mal.

Alors, qui a fait une erreur? Et qui devait vérifier quoi? Car en fin de compte, tout le monde a continué à bien faire son travail: les commerciaux ont vendus de plus en plus, les clients (verts) ont toujours été traités en priorité par l'atelier et la secrétaire a fait faire des économies en utilisant les chemises dont elle disposait.

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