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Manet

L'exposition Manet, au musée d'Orsay, est moins clinquante que les expos du Grand Palais : elle n'en est pas moins intéressante, même si Manet est moins facile d'accès qu'un Monet ou qu'un Picasso.

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Tout d'abord, elle a un gros avantage : moins de texte, moins de choses à lire, moins de logorrhée sur les murs : le visiteur peut donc s'arrêter et regarder, seul. Il doit juste éviter tous les voisins qui se baladent avec les commentaires audio, ces sortes de téléphone portables qui leur disent ce qu'il faut penser du tableau, là, juste en face d'eux. Ils écoutent plus qu'ils ne regardent.

1/ La rétrospective permet de voir que les deux œuvres majeures, "Le déjeuner sur l'herbe" et "Olympia", sont très précoces. En fait, on a peu de surprise puisqu'ils sont accrochés en permanence au musée d'Orsay : l'intérêt tient bien sûr aux à-côtés, aux œuvres préparatoires, au petit chat qu'on voit aux pieds d'Olympia et que je n'avais jamais remarqué. Surtout, on sent une influence espagnole assez forte (Goya) même si Manet n'ira en Espagne que bien plus tard. On comprend pourquoi cela choque : la nudité crue, et surtout assumée par les regards directs, normaux, sans expression particulière des sujets dénudés (regards inexpressifs qu'on reverra plus tard, dans le portrait de Berthe Morisot dans "Le balcon" : et il n'y a pas le côté malicieux de la Maja nue de Goya). Voilà la modernité : foin d'artifice, de prétextes mythologiques ou historiques pour représenter le corps. Le sujet se banalise. Cela explique aussi pourquoi Manet n'émeut plus vraiment. On répète "il annonce la modernité" mais il s'agit d'une peinture sociale, plus qu'artistique (oui, l'art est aussi une représentation de son environnement social, etc.).

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2/ La vraie surprise vient de la salle d'après, sur les représentations du catholicisme. On est sidéré par l'excellent "Christ mort entouré d'anges" ou le regard de la "Tête du Christ". Le premier tableau démontre un art de la composition exceptionnel. Le regard démontre des qualités psychologiques certaines.

3/ Cette science de la composition est encore plus évidente devant le "Torero mort", qui est le découpage, opéré par Manet, d'une peinture plus grande : par cette réduction, il concentre les regards sur ce corps, et cette perspective incroyablement maîtrisée, les reflets du satin de la ceinture blanche-rose, le revers blanc à la manche, l'anneau à l'auriculaire, et cette minuscule tâche de sang qui suinte sous l’épaule. On regarde, planté là, fasciné par ce noir et blanc si coloré.

Le reste de l'expo se traverse sans jamais vraiment convaincre. Il y a des surprises, incontestablement. Mais cela confirme que Manet est surtout l'agent d'une innovation sociale plus que celui d'une innovation picturale. Sa technique est très sûre. Mais son expression de la modernité ne fait pas penser à Baudelaire, pourtant son ami, mais à Flaubert. En fait, Manet nous explique que "Mme Bovary, c'est lui".

Manet ne transporte pas les sens, ni l’œil, comme le feront plus tard les impressionnistes. C'est un peintre cérébral, politique d'une certaine façon. C'est un peintre plus démonstratif que monstratif. Dès lors, cela justifie qu'on ne se prenne pas de passion pour lui : sa peinture âpre, cérébrale, parle d'abord à l'intelligence avant de parler à l’œil.

NB : une mention pour l'excellent catalogue, extrêmement complet et très bien organisé, avec les tranches des pages couvertes de noir : Manet est un peintre sombre, décidément.

O. Kempf

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