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Clausewitz (VI,8) : Types de résistance (1/3)

Finalement, j'ai reçu quatre votes en faveur d'une reprise de ma lecture de Clausewitz. Comme on est au milieu de l'été, je rajoute le mien, ce qui fait cinq votes, et donc, le quorum est comme la tarte, Tatin. De plus, cela fera le 40ème billet sur Clausewitz (du moins sur le nouvel égéa, car il y a en a déjà 37 sur l'ancien).

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Bon, toutefois, ce chapitre 8 du livre VI est très long, et je l'évoquerai en trois billets.

1/ Rappelons où nous étions : le livre VI traite de la défensive, et le chapitre 7 évoquait l'interaction entre attaque et défense.

2/ Le chapitre 8 compte seize pages, consacrées aux types de résistance : autrement dit, aux façons d'organiser la défensive. Et CVC de rappeler, pour commencer, que "la défense ne peut-être passivité complète, l'attente n'est pas absolue mais relative : dans l'espace (...) et dans le temps". (284). En effet, "la défense consiste en deux parties hétérogènes, l'attente et l'action" : on pas deux phases successives, mais "un va-et-vient entre les deux" (285). "Le principe de l'attente se fait sentir dans toute la phase défensive".

3/ Cette pédagogie de l'action est précisée par CVC : "'nous réaffirmons au contraire que l'idée d'une riposte est contenue dans toute défense. Autrement, quel que soit le dommage infligé à l'adversaire par la première phase de réaction, l'équilibre voulu ne serait pas rétabli dans la dynamique de l'attaque et de la défense" (286). Notons au passage le mot de dynamique, inhérent à la guerre : toutefois, je ne crois pas qu'il faut voir là l'autre dynamique, celle de la montée aux extrêmes. J'ai en effet l'impression qu'on est dans la dynamique de la "bataille", non dans celle de la guerre.

4/ Clausewitz présente ensuite les différents types de défense ou, plus exactement de résistance, pour reprendre le mot du titre du chapitre. "Imaginons une armée qui a pour mission de défendre un théâtre d'opération". CVC distingue quatre cas :

  • "elle peut attaquer l'ennemi dès que celui-ci envahit son théâtre".
  • "Elle peut prendre position près de la frontière, attendre l'apparition de l'ennemi en position d'attaque, et attaquer la première".
  • " L'armée peut non seulement attendre que l'ennemi se décide à attaquer, mais attendre qu'il passe effectivement à l'attaque" (287)
  • "L'armée peut reporter sa ligne de résistance à l'intérieur du pays", en laissant "derrière lui une ou plusieurs place-fortes que l'ennemi doit soit assiéger, soit bloquer. Il affaiblit considérablement ses forces".

5/ Car voici la règle qui fonde la défensive : " dans l'attaque stratégique, l'armée qui s'avance s'affaiblit constamment". Surtout "le gain de temps est le principal avantage du quatrième cas" (288) car "l'élan de son attaque s'épuise par le fait de son avance". Au fond, la défensive favorise une guerre d'attrition, ce qui est fort différent des guerres contemporaines où l'air power constitue une guerre d'attrition : c'est l'attaquant qui produit désormais l'attrition, non le défenseur.

6/ "Quand ce processus se sera déroulé, le rapport de forces entre défenseur et attaquant aura changé, et il faut encore porter un avantage accru au crédit de l'attente". Remarquons au passage qu'encore une fois, l'essentiel chez CVC est le rapport de forces, chose facile à déterminer sur un champ de bataille de son époque. Il faudrait réfléchir aujourd'hui à la notion de rapport de force, qui me semble considérablement plus difficile à appréhender, donc à calculer.... Mais le maître continue : "Loin d'affaiblir l'action de résistance, chaque nouvelle étape vise à la prolonger et à la différer (...). Une fois les forces ennemies épuisées, la contre-attaque sera plus forte" (289) : ainsi, la défensive n'est utile, comme nous l'avons déjà remarquer, que parce qu'elle prépare une contre-attaque : en ceci, l'attente n'est qu'un prélude à l'action. Et de conclure le paragraphe : "Nous affirmons donc que la prépondérance, ou, mieux, le contrepoids dont peut se prévaloir le défenseur, s'accroît à chacune de phases de la défense, et que s'accroît donc également la puissance de la contre-attaque".

7/ Une remarque cependant : CVC semble considérer que les RAPFOR sont suffisamment proportionnés pour qu'une attaque suffise à s'émousser dans son mouvement, rendant donc l'avantage à la défense. Toutefois, il ne semble pas envisager le cas où un RAPFOR est suffisamment inégal pour que l'attaque soit assez puissante pour emporter la défense qui lui est opposée, et aller jusqu'à la percer, et donc se saisir des points décisifs voire du centre de gravité du défenseur....

(à suivre)

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 7 août 2011, 18:47 par Jean-Pierre Gambotti

Si Alexandre avait lu ce chapitre de Clausewitz, ses armées n’auraient pas bordé l’Indus et si Darius avait lu ce même chapitre… les armées d'Alexandre n’auraient pas bordé l’Indus ! Le premier convaincu que la défensive est supérieure à l’offensive serait devenu un conquérant velléitaire, petit roi macédonien crispé sur son royaume, le second aurait pris confiance dans sa stratégie et usé les troupes d’Alexandre dans la profondeur des plaines asiatiques jusqu’à la victoire.

Première remarque, la défensive est supérieure à l’offensive sous réserve qu’elle permette au commandant en chef d’atteindre ses objectifs dans la guerre.
Pour poursuivre dans cette voie de l’uchronie facile, observons que si les stratèges "de la revanche", ceux de cette Ecole de guerre encore adolescente et obsessionnelle de l’offensive, n’avaient pas négligé Clausewitz, sa remarquable approche de la défensive aurait pu les séduire. Un extrait du Chapitre V : "Un passage rapide et vigoureux à l’attaque –le coup d’épée fulgurant de la vengeance- est le moment le plus brillant de la défensive. Celui qui ne l’a pas en vue dès le début, qui ne l’inclut pas dès le début dan son concept de défense ne comprendra jamais la supériorité de la défensive" et sa conclusion "Ainsi pourvue, la défense dressée contre de l’attaque ne jouera pas une rôle si maigre , et l’attaque ne paraitra plus aussi facile et infaillible que peuvent l’imaginer vaguement ceux qui ne voient dans l’offensive que le courage , la force de volonté et le mouvement, et dans la défensive qu’impuissance et apathie." Personne ne sait si Lanrezac avait lu Clausewitz, mais son statut d’ancien directeur des études opérationnelles à l’Ecole de guerre et de brillant tacticien sur le terrain pourrait laisser supposer que sa saillie, pour brutale qu’elle fût : "Attaquons, attaquons…comme la lune !", ressortissait à une profonde culture stratégique. Évocation

de Lanrezac pour imaginer ce qu’aurait pu être un "Plan XVIII" ou plus, conçu sur ces fondements clausewitziens de la défensive, pour contrer un Plan Schlieffen archétypique d’une stratégie offensive risquée, selon les critères de Clausewitz. Deuxième remarque, il faut donc lire, relire et méditer "De la guerre", j’ajoute tardivement ma voix au Gallup d’egea.


Nous verrons certainement dans la suite de cette lecture du Chapitre VIII combien cette approche de la défensive est étonnement adaptée aux conflits contemporains. Pour ma part je voudrais rappeler à tous ceux qui ont guetté "les Tartares " sur le glacis oriental, la similitude de la défensive selon Clausewitz et notre conception de la "bataille de l’avant" pour reprendre une expression qui sent sa "guerre froide". Sur les directions les plus dangereuses, on se souviendra de ces manœuvres de freinage marquées par un combat d’usure jusqu’ aux lignes de coup d’arrêt, lignes qui permettaient de tirer l’épée du fourreau pour porter « ce coup fulgurant de la vengeance » et de repousser un ennemi usé jusqu’à la FEBA dans "ce moment le plus brillant de la défensive". Toute la défensive clausewitzienne était récitée dans ces exercices, mais, ce sera ma dernière remarque, rien d’étonnant, depuis longtemps déjà les états-majors otaniens raisonnaient la guerre selon Clausewitz.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : bataille de l'avant, FEBA, jalonnement... des mots que je n'avais entendus de longtemps. Ceux d'une guerrre "conventionnelle" qui était encore celle de CLausewitz....

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