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Libye : troisièmes leçons

Voici enfin venu le dernier billet de conclusions (partielles) sur l'affaire libyenne (après celui-ci et celui-ci). Cette fois-ci, vu du côté occidental.

source

A noter que j'en parlerai lundi matin (6h45!), sur France culture, dans l'émission de Thierry Garcin "Les enjeux internationaux" (détails). Vous pouvez écouter l'enregistrement à ce billet.

1/ Tout d'abord sur la notion de victoire, car elle suscite au fond l'essentiel du débat depuis quelques jours (twitter, facebook, ...), et je ne cesse d'en parler avec les uns ou les autres.

  • la victoire fut militaire (voir mon billet), et ne préjuge pas de ce qui se passera "après".
  • nous autres, Français (mais pas seulement nous) savons qu'une "victoire militaire" n'est pas forcément une "victoire politique". Surtout, les résultats s'observent dans le temps. Il a été souvent dit qu'en Algérie, il y avait eu victoire militaire et défaite politique, celle-ci intervenant très rapidement. Mais la victoire "militaire" de 1918 s'est suivie de la défaite de 1940 (militaire et entretemps politique !).
  • allons donc jusqu'au bout du raisonnement : les buts de guerre (chute de Kadhafi) ont été annoncés très tôt (éditorial commun Obama Cameron Sarkozy du 15 avril, cf billet) : leur volet militaire a été quasiment atteint, reste le volet politique (la "véritable transition d’un régime dictatorial vers un processus constitutionnel" énoncée par les trois dirigeants)
  • Kadhafi n'a pas été attrapé, et à l'heure où je vous parle, Syrte n'est pas tombée. Autrement dit, les opérations continuent. Je n'exclus pas la poursuite des opérations et leur transformation locale en guerre civile. Cela poserait à l'évidence des difficultés à l'Alliance : que faire ? Certes, les appuis alliés continuent encore, mais bientôt la question se posera "jusqu'à quand ?" : Tant que le colonel constitue une menace, a-t-on dit à la conférence de Paris hier : le critère est assez flou et laissera une assez grande liberté d'appréciation, mais gageons que l'OTAN ne devrait pas s'éterniser, et tout d'abord parce que ça coûte cher !
  • par ailleurs, une situation d'affrontements larvés est quelque chose d'envisageable, mais aussi de gérable par un régime. Cela peut aussi dégénérer en guerre civile, mais celle-ci n'est pas sûre, n'en déplaisent aux pessimistes. Pour l'instant, on n'en est pas là, on ne peut pas l'assurer .Aujourd'hui, globalement, on peut parler de victoire militaire.
  • sur la question de la transition politique, attendons et voyons : j'étais par exemple assez pessimiste au sujet de la Tunisie au début de l'été, je le suis moins à l'entrée de l'automne : le pire n'est pas toujours sûr.

2/ Pour la France, on verra ce qu'on en tirera : probablement quelques contrats, pétroliers (voir billet), d'équipement, d'armement, de services, de gestion des flux migratoires, ...

  • plus largement, l'intérêt est clairement de re-stabiliser le pays et d'encourager son "développement" à l'instar du reste de l'Afrique, et malgré une rente pétrolière qui n'incite pas à l'effort et une population faible (6 millions d'habitants).
  • d'un point de vue géopolitique, espérons surtout qu'on saura constituer une ligne sud méditerranéenne : Ainsi, trouver une position intermédiaire entre le 5+5 et l'UPM, entre le trop restreint et le trop vaste. Un 5+5 élargi consisterait, à cet égard, une bonne formule qui permettrait d'isoler la question israélo-palestinienne de notre relation avec la rive sud de la Méditerranée qui est, incontestablement, notre horizon stratégique.
  • remarquons enfin que si "la France" a pu gagner la guerre, elle n'a pas pu le faire seule et qu'elle n'a donc pu le faire qu'avec l'appui de quelques autres : Américains et otaniens. Manière de constater que le retour de la France dans l'OTAN a au moins servi à ça.

3/ Pour l'OTAN, un ouf de soulagement !

  • rappelons d'abord la distinction classique entre Alliance (politique) et OTAN (militaire) qui constitue, encore une fois, une excellente clef de lecture. La machine militaire a donc relativement bien fonctionné, ce qui a été moins le cas du niveau politique : à sa décharge, le problème ne tenait pas "à l'Alliance" mais aux alliés. Ce qui permet de rappeler une fois encore que l'AA fonctionne au consensus, selon un pur principe intergouvernemental.
  • du point de vue de l'institution, la hantise était double : celle d'un enlisement (syndrome de l'opération qui n'en finit pas) et d'un épuisement (syndrome de l'opération qui ne gagne pas). En clair, à l'heure où la FIAS est régulièrement contestée, l'OTAN ne voulait pas connaître l'échec en Libye.
  • surtout, son entrée dans l'opération avait été très difficile, comme on l'a vu. Pour toutes ces raisons, l'OTAN a joué un profil bas, s'est abstenue de déclarations tonitruantes, a fait le job tant bien que mal, et ne souhaite qu'une chose : finir les opérations pour mettre en pratique un concept logistique appliqué à l'opération OUP : last in, first out. Le sérieux a été de mise, l'efficacité au rendez-vous, et d'une certaine façon, l'OTAN a redoré son blason.
  • mais plus que les difficultés de l'OTAN, l'affaire révèle des complications transatlantiques... et européennes.

4/ Européennes tout d'abord :

  • passons sur le fait que l'UE a été absente du débat : ce n'était pas inattendu (!), et comme l'Europe d'une façon générale est en difficulté (croissance, Schengen, euro, institutions, ...) il eut été étonnant qu'elle fût ambitieuse en matière de PSDC.
  • d'autant que l'affaire libyenne a révélé les déchirements européens : Allemagne, Pologne, sans même parler des discrets (Italie, Espagne) ou de la Turquie. Je vous le dis, la dispute a été d'abord politique : autrement dit, l'Europe n'a pas parlé "d'une voix"
  • conclusion partielle : si on n'a pas les mêmes vues politiques, la même perception de ce qu'il faut faire (les fins), on est forcément en désaccord sur les voies et les moyens pour y parvenir : c'est encore plus vrai en matière de défense.
  • Ce qui renvoie à la question économique : mais il faut faire un détour transatlantique auparavant.

5/ Les Etats-Unis n'ont pas été en première ligne. Malgré les évaluations du New York Times qui, unfairly, mais de façon très américaine, explique que les Etats-Unis ont quasiment tout fait, ils ont joué un rôle en retrait. Plusieurs raisons à cela :

  • d'une part, la crainte de jouer un coup de trop après les affaires d'Irak et d'Afghanistan : bref, pour une fois, la volonté d'être discret au Proche et Moyen Orient : en ce sens, une vision pas néo-conservatrice (alors pourtant que la finalité est clairement neo-con, à savoir "répandre la démocratie dans la région" : paradoxe de la chose, qui explique que finalement les US aient soutenu OUP, en back seat ou, selon la formule employée, en stay behind).
  • d'autre part, des préoccupations de politique intérieure, dans la campagne présidentielle et les disputes entre démocrates, républicains et tea-party;
  • la question financière et de l'overstretching (sur-étirement, notion de Paul Kennedy) ont joué un rôle. On voit en effet monter, lentement, un débat sur les dépenses de défense du Pentagone, et il risque de s'enfler à l'occasion de la campagne présidentielle, en incidente de la dette et du déficit.
  • enfin, en arrière-plan, il faut garder à l'esprit la reconfiguration du dispositif géostratégique des Etats-Unis, désormais plus tournés vers le Pacifique que l'Atlantique. Cette distanciation a été évoquée par Robert Gates dans son discours d'adieu (voir billet) et nous ramène à la question européenne
  • en effet, Bob Gates dit : "Parmi ceux qui sont en spectateurs, le problème n'est pas qu'ils ne veulent pas participer, mais tout simplement qu'ils ne peuvent pas". Le manque de volonté n'est pas fait pour s'améliorer à l'heure d'une rigueur renforcée.
  • Mais cet affaiblissement européen, dans les volontés, les moyens et l'organisation, apparaît à l'heure où les Américains envisagent, de plus en plus, de s'abstenir. Eux aussi ont des problème financiers, eux aussi sont déçus de l'Europe militaire (otanienne ou UE), et la question de l'engagement américain va finir par se poser de plus en plus crûment. Allons plus loin : certain vont certainement suggérer de faire des économies non pas au Pentagone mais à l'OTAN.
  • d'autant que paradoxalement l'affaire libyenne a montré que l'UE ne peut coordonner des opérations (ce qu'a noté, d’ailleurs, le SG de l'Alliance...) et qu'il lui manque toujours des moyens.
  • comme si l'Europe s'en remettait toujours plus aux Américains, qui s'éloignaient eux-même toujours plus.

6/ En fait deux inquiétudes apparaissent quant à la sécurité européenne :

  • le constat qu'il n'y pas de PSDC envisageable et pertinente à court terme
  • la crainte d'un éloignement continu, voire d'un désinvestissement américain de l'OTAN
  • de ce point de vue là, le sommet allié de Chicago, au printemps prochain, sera crucial.
  • Car entre du sur-place voire de la décroissance d'un côté, et de l'autre un éloignement, il y a risque structurel de rupture.

Voilà, au fond, le principal enseignement de cette victoire "en trompe-l’œil".

Références :

MAJ de réf

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par

Pour l'enregistrement, pas de souci, ils ont des podcasts. Par contre, ces derniers temps, ça coupait au bout d'une minute...

2. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par yves cadiou

Peut-être vos conclusions partielles seraient-elles mieux intitulées « point de situation » car rien ne dit que l’affaire est finie. Dans la situation actuelle, l’occasion serait bonne à saisir pour un pays qui ne serait pas de la région (un BRIC ou un autre), qui voudrait s’implanter en Méditerranée et se faire des amis en Afrique où Kadhafi, rappelons-le, compte de nombreux sympathisants.

Le procédé consisterait à créer une « république de Syrte » autour de Kadhafi. Que faisons-nous, et que fait le CNT, si une flottille, armée ou non, vient mouiller ses ancres devant Syrte ou même dépose à terre des éléments armés (armés pour se défendre, bien entendu) ? Chaque lecteur peut, à sa guise, imaginer une suite à cette hypothèse.

3. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par

"Véritable transition d’un régime dictatorial vers un processus constitutionnel"

Je critique peut être le "détail", mais il me semble que après la constatation de l'inculture stratégique de nos dirigeants, il faille noter qu'ils ont une inculture juridique tout aussi lamentable (c'était quoi le métier civil d'Obama ? De Sarkozy ? Bon...). Le processus constitutionnel ? C'est quoi est-ce ? L'alpha et l'oméga de la paix sur Terre ? Rare sont les pays sans constitution. Avoir une constitution ne veut pas dire que le pays soit démocratique ! Lapsus révélateur ?

Sur tous les commentaires sur la déception américaine de l'OTAN, je souhaiterais que l'on sorte des enfantillages. Ils ont fait en sorte que l'Europe soit la constituante désunie d'une nouvelle ligue de Délos. Travail accompli : aucune volonté de peser stratégiquement. Cerise sur le gâteau : ce serait de la faute des Européens. Hors, ce n'est que de la faute de cette politique otanienne -qui a coup de réformes des armées européennes n'a jamais réussi à créer les conditions d'un succès, la preuve !- et des dogmes libéraux ou ultra-libéraux : l'économie de marché réglera tout !

Bref, c'est la faute de la victime.

égéa : je rappelle un élément : dès l'origine, et encore aujourd'hui, l'Alliance est une demande européenne, ne l'oublions pas. Pas étonnant après si les États-Unis en ont profité. L'abuseur a moins de torts si l'abusée s'est offerte....

4. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par Christophe Richard

Concernant l'hypothèse d'Yves Cadiou, et en réponse à sa question... J'aurais envie de répondre:
Nous changeons d'époque.

Bien coridalement

5. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par Jean-Pierre Gambotti

Rappelons cette formule de York de Wartenbourg citée par Foch dans la préface de la 1° édition de "De la conduite de la guerre" : « Celui qui veut comprendre la guerre doit s’exercer à comprendre ceux qui la font. C’est dans les quartiers généraux que se trouve la clé de l’histoire militaire. » Et très irrespectueusement pour le génie militaire de l’un et de l’autre, j’ajouterai et "la clé de la stratégie conduite", car d’évidence, de cette campagne libyenne, les "quatrièmes leçons" ne seront tirées que lorsque nous serons en mesure d’exploiter la documentation primaire, je veux dire le plan de campagne et les ordres d’opérations, pour répondre à la question ontologique suivante : pourquoi le mode opératoire choisi a-t-il permis à la coalition d’atteindre l’état final recherché ? Très certainement je vais irriter encore les contempteurs d’une approche mécanicienne de la guerre, mais je suis très curieux de connaître le centre de gravité que nos concepteurs ont attribué aux loyalistes kadhafistes et le centre de gravité de notre attelage anti-kadhafiste. Car pour revenir à mon précédent commentaire sur la pertinence de la stratégie aérienne, j’aimerais savoir si un autre choix était possible.
A mon sens les guerres contemporaines ont montré la nécessité d’adapter Warden. Pas de le nier.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : dans ce conflit qui était dissymétrique et on asymétrique (je pourrais développer, mais n'ai pas trop le temps), la grammaire stratégique m'a semblé plus classique, pour le coup, et presque linéaire : en effet, la Libye n'est qu'un trait de côte, qui sépare une mer liquide d'une mer sableuse. En conséquence, les CDG s'organisaient le long de cette ligne épurée, et étaient, comme à l'origine chez Clausewitz, géographiques (ce n'est en effet qu'assez récemment qu'on trouve des CDG non géographiques, soi dit en passant).

Le CDG loyaliste était donc Benghazi, le CDG kadhafiste était Tripoli, chacun ayant des points décisifs de revers (Misrata, djebel Nefousssa pour l 'un, Syrte et le Fezzan pour l'autre).

Dès lors, le recours à une approche systémique par rapport à une approche mécaniste s'imposait moins, me semble-t-il, cher JP. Ce qui explique aussi que Warden ait été de quelque utilité, à cause justement du caractère non asymétrique du conflit..

6. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par Charlotte Nehl

"une situation d'affrontements larvés est quelque chose d'envisageable, mais aussi de gérable par un régime.", dites-vous ?

Il me semble pourtant que les mots d'Yves Cadiou sonnent comme un présage ...

"Le procédé consisterait à créer une « république de Syrte » autour de Kadhafi." ...

Alors la situation ne serait "gérable" et serait invivable et bien au-delà des frontières syriennes !

Pour qui sonnerait le glas ? il ne faut pas oublier le caractère du colonel Kadhafi qui finirait bien par poser une nouvelle ombre, marque du terrorisme que nous avions cru, le temps de cet été, oubliée et qui bien vite saurait être plus obscure que celle de Ben laden ...

égéa : en parlant de "situation d'affrontements larvés", je pense au FIS en Algérie qui a donné du fil à retordre mais à finalement été dominé par les autorités. Ensuite, je ne crois aucunement à une alliance entre les islamistes et Kadhafi.

La solution du réduit de Syrte me semble très improbable, à cause 1/ du blocus na&val allié, 2/ des actions aériennes de l'OTAN 3/ de la pression militaire terrestre du nouveau régime.

Après, ultime solution, celle du terrorisme : mais chacun sait désormais qu'il n'est qu'un procédé au service d'une politique et avec des partisans en nombre, ce qui ne me semble pas le cas de Kadhafi : mais là encore, je peux me tromper....

7. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par AD

Salut Olivier,

Pas d'accord avec tes conclusions complètement :
A mes yeux, la principale leçon est que sur des conflits chauds (Irak, Afghanistan, Libye voire Cote d'ivoire), il n'y a que des coalitions qui peuvent agir. Libye : sans la coalition uk-fr, rien ne se serait fait (OTAN= simple outil, en plus ils se cherchent des occupations...) Et quand j'entends critiquer les états européens qui n'ont pas suivi, je repense a l'Irak 2003 et au french bashing...

La psdc montre que dans un système où il y a 27 co-décideurs, les décisions sont le plus petit dénominateur commun (stabilisation, prévention, etc...). Mais en attendant, le Tchad a été un succès (calme 3 ans après), quelle est l'opération de l'otan où l'on peut en dire autant ? Et finalement n'est ce pas mieux d'éviter l'emploi de la force autant que faire se peut... Pour moi la vision : "l'OTAN c'est sérieux c'est la guerre la vraie" est une vision qui oscille entre l'infantile et le mytho. La question est avant tout : quel résultat ? Avoir créé le premier état maffieux (Kosovo), déstabilisé un pays durablement (l'Irak même si je sais que ce n'est pas l'OTAN..., mais bon ce sont les mêmes ou pratiquement en 2003), ou encore un autre (l'Afghanistan post 2003) ? Je passe sur les morts - pas celles des quelques centaines d'hommes qui faisaient leur job- mais celles des dizaines/centaines de milliers de victimes indigènes. Pas pour faire dans le pathos, mais parce que la question se pose : après les brillantes opérations de l'OTAN post 92, (toujours des victoires à un point ou un autre !) quel en a été le résultat pour nous français/occidentaux? L'essence est moins chère ? On est plus riches? Le monde est plus sur ?

Ce n'est pas ce que j'entends/vois au journal de 20h00

Donc l'échec de l'OTAN pour moi c'est cela : pas dans l'exploit de montrer que dans un rapport de forces de 1 à 1000 on peut détruire les infrastructures physiques et politiques de pays de quelques millions d'habitants !

AD

8. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par Jean-Pierre Gambotti

En appelant Wartenbourg au créneau je pensais faire comprendre que la stratégie conduite en Libye ne pourrait être vraiment décryptée qu’à l’analyse de la documentation d’état-major. Car si la guerre est un duel et la confrontation de deux centres de graité, au minimum, pour en faire la moindre exégèse, faut-il avoir une connaissance formelle de ces éléments fondamentaux de la manœuvre. Sinon nous sommes encore dans les supputations et les hypothèses, vce qui est convenable quand on conçoit la guerre, plus extravagant quand le brouillard s’est dispersé et qu’on tente d’apprécier la stratégie conduite.
Ainsi ne suis-je pas d’accord avec un certain nombre de vos remarques qui suivent mon commentaire et même si je ne suis pas un "fixiste" du clausewitzisme je voudrais d’abord vous rappeler que Clausewitz a rarement réduit les centres de gravité à la géographie. Permettez-moi cette longue citation du Chapitre IV Livre VIII, page 382, dans la traduction Murawiec : « Le centre de gravité d’Alexandre, de Gustave Adolphe, de Charles XII, de Frédéric le Grand, c’était leur armée. , Eut-elle était détruitec’est tout leur rôle historique qui se fût évanoui. Dans les pays où se déchirent les partis, c’est la capitale qui est le centre de gravité. Pour les petits pays qui dépendent d’une armée alliée, c’est celle-ci. Pour les coalitions, c’est l’unité des intérêts. Dans la guerre populaire, c’est à la fois la personnalité des dirigeants et l’opinion publique. Ce sont là les objectifs qu’il faut attaquer. Si l’on réussit alors à déséquilibrer l’adversaire, il ne faut pas lui laisser un instant pour recouvrer l’équilibre. La poussée doit frapper sans relâche dans cette direction ; le vainqueur doit toujours utiliser toute sa puissance ( i.e. : son propre centre de gravité) et ne pas disperser ses coups. Rien ne sert de conquérir tranquillement quelque province en profitant d’un surnombre, de préférer la facilité d’une petite conquête à de grands succès ; il faut au contraire encore te toujours aller au cœur, de la puissance ennemie ( i.e. :le centre de gravité) tout oser pour tout gagner, et c’est ainsi qu’on abattra l’ennemi. »
Vous remarquerez la contemporanéité de ces exemples qui ne limitent pas les centres de gravité et les points décisifs, les lignes d’opérations en quelque sorte, à suivre la seule géographie du rivage des Syrtes. Car le centre de gravité, permettez-moi d’insister encore, ne pèse pas par son essence, mais par la force qu’il est susceptible de créer dans son rapport avec les autres facteurs de la guerre. Si j’osais je dirais qu’il pèse par son existence.

Et je vais m’appuyer sur une nouvel extrait du même chapitre IV:« Qu’en dit la théorie ? Que les caractéristiques dominantes de chacun des belligérants doivent être bien pesées. Elles déterminent un certain centre de gravité, un moyeu des forces et des mouvements dont dépend tout le reste ; le choc convergent de toutes les forces doit être porté sur le centre de gravité de l’ennemi.» D’évidence l’image du moyeu, hormis la focalisation des efforts, indique le mouvement, j’ajouterai la contingence et la pertinence. Rappelons qu’en Irak la Garde républicaine n’était que l’instrument de la puissance irakienne, le centre de gravité clausewitzien était l’attachement que la Garde portait à Saddam et sa détermination à se sacrifier pour le régime. De même en Afghanistan, c’est la population qui est le lieu du centre de gravité de l’insurrection et c'est la capacité des insurgés à faire adhérer la population à leur cause qui est le moyeu. Pour la Libye je pense qu'on pourrait trouver avec Clausewitz une approche de nature moins géographique.
Concernant Warden je rappellerai que ses principes de stratégie aérienne sont fondés essentiellement sur la systémique, mais que je trouve sa théorie des cercles concentriques trop rigide quand « l’important conditionne le secondaire, le petit dépend du grand, l’essentiel commande au fortuit … » comme le souligne Clausewitz par cette fulgurance qui anticipe le fonctionnement des systèmes. Pour faire court je pense qu’il faut complexifier Warden, et pour faire encore plus court rendre ses cercles sécants.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

9. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par

Ce que je vais écrire risque d'être particulièrement "culotté", surtout quand le propos s'adresse à l'auteur d'un pavé sur l'OTAN... du XXIe siècle. J'aimerais que l'on retourne plutôt dans les années 20 et 30 de ce bon vieux XXe ! Egéa nous affirme que les européens sont demandeurs de cette direction stratégique américaine. Je crains que cela soit à moitié faux. Dans les années 20 et 30 les Américains mettent l'Europe sous contrôle grâce aux prêts de Guerre et aux déficiences du système financier européen. De là nous subissons une présence politique clairement interventionniste. Dès le traité de Versailles les américains font valoir leur point de vue. Ils y avaient peut être droit, mais eux, ils n'avaient pas versés autant de sang -c'est un autre débat certes, mais les français faisaient valoir le sang versé dans l'effort de guerre. Je ne crois pas que les européens étaient demandeurs de ces demandes. Ni même des traités de désarmement naval fait son condominium anglo-américain. Quand la France demande de faire respecter le traité de Versailles, les américains font valoir le nécessaire redressement économique allemand. Admettons. Mais, en quoi la création des forces paramilitaires qui participent d'un réarmement illégal est-il nécessaire à l'économie ? En quoi les violations du traité de Versailles dans son volet militaire sont-elles nécessaires ? La France était demandeuse d'un front uni face à l'Allemagne. Anglais, et américains, surtout !, étaient demandeurs d'un abaissement français grâce à la promotion de l'Italie et de l'Allemagne. De là débute l'otanisation de l'Europe à mon humble avis. Les graines étaient déjà semées.

égéa : entre les années 20 et 30, il y a 1939, 1940 et 1944 puis 1945 : des années de guerre qui font de l'Europe un continent neuf, ce qu'on a oublié. Tu suggéres une continuité, relis Tony Judt sur l'Après guerre....

Donc, si on remonte (et effectivement, voir mon livre sur l'histoire des alliances, rappelée succinctement pour démontrer l'originalité de l'AA), on peut aller jusqu'au Congrès de Vienne, rappeler Foch en 17 18 puis, effectivement, le traité de Versailles. Deux décennies, plus tard, un immense sentiment d'abandon qui explique l'exigence européenne d'avoir une alliance ratifiée par le Congrès américain, celui qui avait mis en échec la Société des Nations (la première alliance universelle), d'où la résolution Vandenberg de 1948. A noter également que le TAN intervient en1949, lorsqu'on constate l'échec de l'ONU en tant qu'alliance universelle....

Ainsi, en 1949, et plus encore en 1953 (parité thermonucléaire) puis en 1957 (Spoutnik), ce sont les Européens qui demandent la garantie américaine. Précisons encore : à l'origine, les Français ne demandent qu'une garantie contre l'Allemagne (confer traités de Dunkerque puis de Bruxelles). L'histoire des premières années de l'Alliance (et l'épisode de la CED) est celle du changement d'ennemi : non plus les Germains mais les Soviétiques. 

Après, dire que les Américains ont eu une politique assez constante au cours du XX° siècle pour installer leur hégémon, je n'en disconvient pas : c'est bien pourquoi il y a eu contrat, les deux parties contractantes trouvant avantage à l’échange. L'histoire aujourd'hui est celle de la remise en cause de ce contrat : une demande persistance des Européens, mais sans payer; un désintérêt américain, poant la question coût/avantage....

10. Le vendredi 2 septembre 2011, 20:54 par Céphalopode masqué

On apprend récemment, septembre 2013, qu'un ancien candidat à la présidentielle, condamné à rembourser 11 millions d'€uros pour régulariser ses frais de campagne (une somme énorme mais qui est encore très en-dessous des prix de transfert de certains footballeurs) a rapidement trouvé cet argent.

La question que tout le monde se pose dans le public, c'est la provenance de cet argent.
Mais ce qui attire surtout l'attention, c'est que dans le monde politico-médiatique personne ne l'évoque, cette question.

L'on est par conséquent obligé de supposer que le monde politico-médiatique sait parfaitement à quoi s'en tenir, ou qu'il sait au moins que ce genre de question n'est pas correcte.

Ce qui serait bien, ce serait que les élus informent les électeurs ; ce serait aussi que les gens qui font profession d'informer le public fassent leur métier.
On est sûr, en tout cas, que le généreux donateur n'est pas Kadhafi.

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