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Les risques

La crise économique nous force à nous interroger sur les déterminants de l'économie : si parmi les mots les plus prononcés se trouve "crédit" (et ses associés : crédibilité, confiance, créance, croyance), celui qui vient juste derrière est le mot "risque" (systémique, aversion, maîtrise, calculé...). Pour le chef, qu'il soit civil ou militaire, la question du risque est prégnante.

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1/ L'entrepreneur est pourtant éduqué, dès sa formation initiale, au calcul du risque : mais il s'agit de risque économique ou financier : il verra la rentabilité d'un investissement industriel pour se décider à le mener, ou le ROI d'un investissement financier pour investir dans tel support, action ou obligation. Les économistes ont produit énormément d'études pour préciser les règles (prudentielles?) de maîtrise de ce risque.

2/ Oui mais... ! mais la crise actuelle montre que les abaques utilisées ne suffisent plus, et qu'il y a des risques impondérables. C'est le sentiment qui ressortait du colloque du premier décembre, organisé à l'OCDE par le Club des Directeurs de Sécurité d'Entreprise (CDSE, présidé par Alain Juillet).

3/ J'ai eu le sentiment que les entreprises sont désarmées face aux risques macro : c'est évident du point de vue économique, mais elles découvrent également qu'il y a des risques géopolitiques qu'elles doivent appréhender, pour aller chercher des marchés là où ils existent, mais là où c'est plus difficile. Surtout, on sent une montée en gamme de cette "sécurité d'entreprise" (ou sûreté, car la terminologie varie suivant les boîtes). Ce n'est plus la gestion des gardiens veilleurs, ça commence déjà à ne plus être les seules fonctions d'intelligence économique, encore très défensives, et ça commence a devenir quelque chose de réellement stratégique, contribuant à l'ensemble de l'action de l'entreprise, et notamment à son développement. Ainsi se justifie l'aspiration des directeur de sécurité à faire partie du CODIR. Et comme me le disais qq'un, l'IE fait penser au développement de la communication il y a quarante ans : au début, on ne voyait pas très bien à quoi ça servait et aujourd’hui, on n'imagine plus comment on pourrait se passer d'un DIRCOM. Il en sera de mêm pour les DIRSEC (ou DIRSUR) dans dix ans.

4/ Il reste que cette fonction ne résout pas toute la question du risque pour le dirigeant. C'est ainsi que certaines techniques de gestion ont été mises en place, qui viennent appuyer le contrôle de gestion traditionnel : il s'agit du "pilotage par les risques", qui consiste, compte-tenu d'objectifs stratégiques préalablement établis, à dresser une carte des risques de façon à naviguer entre eux (soit en les assumant, soit en les assurant, soit en les évitant).

5/ Pourtant, cela ne suffit pas car il s’agit là de couvrir le risque de l'organisation. Or, la question est celle du chef face au risque.

6/ Constatons tout d'abord que le cours des choses n'a cessé de diluer la responsabilité : une décision, à force de consultations et de consensus, à force de contributions d'expertises (juridiques, économiques, techniques, informatiques, de sécurité, ...) est tellement complexe à établir que bien souvent, on ne peut en désigner l'auteur. Nous avons tous connu, dans les différentes organisations dans lesquelles nous avons travaillé, ce processus du "groupe de travail" qui se réunit régulièrement et constitue un dossier de plus en plus épais et technocratique : la signature finale du "responsable" est tellement bordée qu'au fond, elle ne constitue plus qu'un visa, non une prise de responsabilité.

7/ Le chef a deux solutions : soit abdiquer en devenant un ultra-technocrate, soit contourner par de multiples formes (freinages multiples, appel à des consultants extérieurs, black groups, ... les procédés sont nombreux). Mais ce n'est pas suffisant face au risque qui, toujours, demeure.

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8/ En effet, le "principe de précaution" qui baigne notre société démontre une aversion au risque. Cette aversion est corroborée par notre mentalité d'ingénieur, note positivisme, qui aime à croire qu'une étude fine de tous les déterminants permettra de réduire le risque. Toutefois, une telle attitude entretient la technocratie, mais ne réduit pas tant que ça le risque.

9/ Car toujours, l'aléatoire persiste. Et tout d'abord à cause d'un facteur qui est toujours présent, dans toutes les décision : l'homme. Je ne parle pas de celui qui prend la décision, mais de celui qui va l'exécuter. Or, ce facteur n'est pas aussi prévisible et calculable qu'on le souhaite. On ne maîtrise jamais l'arbre des effets. L'impondérable toujours prend le dessus.

9/ C'est d'ailleurs une des raisons qui affaiblit les processus stratégiques : car la difficulté n'est pas de définir une stratégie, c'est de la suivre, malgré les aléas. L’aléa est la règle. Les militaires sont les premiers à dire que le premier mort à la guerre, c'est le plan. Ce qui ne veut pas dire que ce plan est du coup inutile : au contraire, les militaires savent que la guerre, par "construction", c'est le bordel. Et que c'est justement les règles préalables (planification, ordres, discipline, cohésion) qui leur permettront d'y agir avec plus ou moins de fortune et d'efficacité. Alors, la conduite l'emporte sur la planification, comme le dit Desportes.

10/ Autrement dit, le risque est toujours là. C'est une illusion de croire qu'on peut poursuivre la tendance à sa diminution. Ce qui nous ramène à la vraie attitude du chef face au risque. Le chef existe pour "décider". Je citais Desportes et son excellent "Décider dans l'incertitude". Allons un soupçon plus loin : décider, c'est forcément arbitrer une incertitude. S'il n'y avait pas incertitude, il n'y aurait pas de décision. On décide forcément dans l'incertitude, qu'on soit chef civil ou militaire.

11/ Ce qui renvoie au chef : quelques soient les procédés et les échafaudages qui l'entourent, il doit être lucide et conscient : sa seule "qualité" de chef, (et par le mot qualité, nous entendons à la fois la caractéristique attachée à sa fonction et la vertu personnelle qu'il doit avoir), c'est de "décider. Et donc, de prendre des risques. Nous revenons là à Schumpeter, le grand économiste qui montrait que le capitalisme n'était rien sans les entrepreneurs. Aujourd’hui, on tue le système à vouloir tuer le risque, car les entrepreneurs ne prennent plus autant de risques.

12/ Car il faut bien le constater : notre aversion collective au risque nous permet d'éviter les échecs : mais elle nous évite aussi les succès et les triomphes. A la différence des émergents, nous raisonnons par rapport à ce que nous avons à perdre, non par rapport à ce que nous avons à gagner. Ne nous étonnons pas d'entrer dans le déclin et la stagflation !

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O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 13 décembre 2011, 21:57 par

Bonjour M. Kempf.

La recherche du zéro risque est certes une utopie mais permet justement d'avoir la vision la plus juste et la plus complète possible, en particulier sur le long terme même si le processus de décision est plus long. A moins d'être dans l'urgence (au combat en particulier), une telle démarche ne parait être que la plus sensée. D'ailleurs, c'est plutôt l'aveuglement qui pose problème comme le montre le manque de réaction des gouvernements ou d'autres entités face à certains sujets (climat...).
Si effectivement le principe de précaution ne réduit pas le risque, il permet, grâce aux informations recueillies durant son application, d'appliquer ensuite celui de prévention : l'anticipation des effets négatifs d'une action que l'on va mener ou en cours. D'ailleurs, la prospective, que Mme Raisson a menée de manière remarquable dans son atlas, s'inscrit en partie dans cette démarche.

égéa : oui, l'atlas de Mme Raisson est excellent, j'en ai même fait une fiche de lecture. Je ne m'oppose pas à l'analyse prospective, ou même au cycle renseignement/prévention. Simplement, j'appelle l'attention sur la caractéristique du décideur : le risque. Il n'y a pas de "zéro risque".

2. Le mardi 13 décembre 2011, 21:57 par PS

Bonsoir,
j'aimerais consacrer une partie de mon année prochaine à l'Ecole de Guerre à l'étude des notions de prise de risque, d'intérêts et de buts de guerre.
Auriez vous des lectures à me suggérer afin de préparer ce travail de réflexion ?
Merci d'avance.
égéa
Commencer, si vous ne l'avez fait, par "Décider dans l'incertitude" de Desportes, qui fourmille de choses et de références. Allez voir le Couteau Bégarie, je suis sûr qu'il y a des choses aussi. Fouillez stratisc.org, là aussi, il devrait y avoir de la manne.
Je vous suggère d’élargir à un champ non stratégique, et de regarder du côté de l'économie : prenez un manuel pour voir un peu la notion (notamment dans la décision d’investissement, il doit y avoir des choses dans les manuels de management). De même, regardez si Porter n'a pas dit des choses.....

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