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2011 et 2012 : des différences géopolitiques ?

Les passages d'année sont à la fois l'occasion de bilans, mais aussi de perspectives. Prêtons-nous au jeu. Comparons 2011 et 2012.

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2011 a été marquée par trois ruptures stratégiques : on ne reviendra pas sur la surprise qu'elles ont constitué. Mais leur simple rappel montre des tournants géopolitiques importants, à court ou moyen terme.

1/ la première est celle des révoltes arabes. Il faut préférer ce terme à printemps, ambigu. Constatons qu'elles ont surtout eu lieu au sud de la Méditerranée, même si on peut également évoquer Bahreïn (réprimé), le Yémen (où une solution a semble-t-il été trouvée) et la Syrie (toujours en cours). On observe deux choses :

  • d'une part, les monarchies traditionnelles ont su maîtriser la contestation (cas du Maroc, mais aussi des pays du Machrek ou de la Jordanie : constatons que l'Algérie républicaine a pour l'instant réussi à éviter tout mouvement)
  • d'autre part, malgré les illusions européennes qui se nourrissaient de l'expérience de la chute du communisme dans les pays d'Europe centrale et orientale, la transition ne donne pas lieu à des régimes libéraux : soit que les islamistes gagnent les élections (Tunisie et Égypte), soit qu'un système militaire se perpétue (Égypte), soit que l'incertitude demeure (Libye).

2/ la seconde est celle de la catastrophe de Fukushima.

  • Elle aura des conséquences sur le mixte énergétique des différentes nations : le choix de l'Allemagne de sortir du nucléaire va renforcer sa dépendance au charbon ou au gaz, même si ce dernier est aujourd’hui de plus en plus abondant : le succès du gaz de schiste aux États-Unis autorise une diversification des sources d'énergie.
  • Elle nous rappelle que la géopolitique est aussi une géopolitique des ressources : elle doit assurer l'arbitrage entre des "matières premières" ( la notion de sécurité des approvisionnements) et la biosphère, trop rapidement déséquilibrée. Les résultats décevants des négociations de Durban confirment qu'une solution internationale n'est pas en vue, et que la multiplicité des acteurs du monde multipolaire empêche l'émergence (!) de solutions planétaires.
  • Sans verser dans le catastrophisme malthusien des Écolos radicaux, on ne peut pour autant se satisfaire de la doxa actuelle, mélange de positivisme comtien et de libéralisme smithien. Ce qui nous amène à la troisième crise.

3/ La troisième est la crise budgétaire et financière, devenue crise économique.

  • En effet, si 2011 est l'année de la manifestation de la crise de la dette, 2012 verra sa conséquence, la récession.
  • cette crise est d'abord celle de l'Europe. Il est frappant de voir que les marchés ne veulent qu'une chose, une solution politique. Et qu'au-delà de tous les discours sur la perfection des marchés et le monétarisme triomphants, ils plébiscitent dans les faits des banques centrales aux ordres qui déversent par hélicoptère des tonnes de billets de banque. Cela ne surprendra que ceux qui ont cru à leurs cours d'économie sur la perfection des marchés : le thatchérisme et les reaganomics n'ont été que des politiques keynésiennes déguisées, la relance se faisant n'ont par augmentation des dépenses publiques mais par baisse des ressources publiques (c'est-à-dire la baisse d'impôts).
  • Il reste que cette crise pèse durablement sur la construction européenne, au point de fracturer les liaisons faibles : ainsi s'explique le refus britannique de l'accord de décembre. Cela pose une double question :
    • ces tensions peuvent-elles durer sans éclatement de l'édifice ? car ne rêvons pas, une sortie de l'euro provoquerait l'éclatement du reste.
    • surtout, les réponses apportées jusqu'à présent, avec le moralisme allemand (instaurer la discipline, y compris par la force) réussiront-elles à sauver le malade ?

Ceci nous porte vers l'avenir, et 2012.

4/ Ainsi que le montrait l'excellent supplément géo&politique du Monde ce week-end, 2012 sera une année d'élections (ou, dans le cas de la Chine, de transition organisée). Quatre des cinq membres permanents du CSNU vont ainsi changer de dirigeants.

  • On peut en effet prévoir que D. Medvedev sera remplacé par V. Poutine, que Hu sera remplacé par Li, que N. Sarkozy ne devrait pas être réélu (si j'en crois les derniers sondages). B. Obama devrait pouvoir quant à lui conserver son poste.
  • Il est ainsi frappant de constater la "prévisibilité" de cette année. En cela, elle changera de 2011.

5/ Pour autant, ne faut-il pas entrevoir des surprises stratégiques, en 2012 encore ?

  • L'Europe en effet ne nous semble pas aussi stable qu'on le croit. Les excès du gouvernement hongrois suggèrent des directions néfastes. Certes, on peut voir un symbole belge et espérer de la constitution d'un gouvernement, au bout de 537 jours de crise. A cette aune, l'Europe serait une grande Belgique, divisée mais réussissant finalement à s'accommoder. Je ne suis pas forcément confiant.
  • La Chine paraît plus fragile qu'on le croit. Outre les troubles sociaux qui se multiplient, face notamment à la corruption latente, les marges continuent de s'agiter (Tibétains et bouddhistes, Ouïgours, et même Mongols) tandis que les appendices connaîtront des transitions pas toujours favorables : celle de Corée du Nord vient de commencer, la Corée du sud connaîtra également des élections et le KMT risque de ne pas être réélu à Taïwan, laissant la place à Mme Ma, une autochtone forcément plus rétive envers le grand voisin chinois.
  • Le Moyen Orient et l'Asie centrale seront difficiles, une fois encore : La gestion du retrait afghan et la question pakistanaise susciteront l'intérêt (avez-vous remarqué comme la mort de Ben Laden n'a pas constitué une rupture stratégique ?). Ce sont surtout les élections législatives en Iran : mais il ne faut pas s'attendre à un nouvel épisode de révolte, mais à l'aboutissement de la lutte entre Ahmadinedjad et Khameney ; entre le président et le guide; entre un régime "laïc" et un régime "religieux". Autrement dit, il s'agira de résoudre la dyarchie entre deux têtes de l'exécutif. Les derniers développements affaiblissent Ahmadinedjad, semble-t-il, mais rien n'est joué : car l'arbitre, ce sont les pasdarans.
  • Le Proche-Orient est un pot-au-noir. Il pourra connaître aussi bien une grande "stabilité", prolongeant les déséquilibres actuels (Israël/Palestine, Liban) ou au contraire évoluer rapidement : liaison Hamas Frères musulmans égyptiens au détriment de la Syrie et donc du croissant chiite, réaction de celui-ci via le Hezbollah, ... On sent le retour possible de l’Égypte dans le jeu, mais aussi une interrogation autour de la rivalité Turquie/Qatar comme pôle alternatif des sunnites.
  • L'Afrique ne sera peut-être pas le continent "habituel". L'effet de contagion des révoltes arabes peut jouer, comme je l'ai signalé depuis un an. Surtout, on observera deux pays fragiles : le NIgéria ou la fracture Nord-Sud sur fond de rivalités ethnico-religieuses. Et le Zimbabwe, où la succession de Robert Mugabe (87 ans) posera difficulté. Du côté de la Corne et des grands lacs, on surveillera (comme d'habitude?) le Kénya (élections), les suites de la partition soudanaise, les métastases du Kivu....
  • L'Inde l'Asie du sud-est peuvent connaître également des tourments, mais ils sont moins prévisibles.
  • En Amérique Latine, on surveillera l'état de santé de deux "lider" (un maximo un minimo ?), Chavez et Castro, dont l'éventuelle disparition affectera la zone pivot entre Amérique Centrale, Caraïbes et Amérique du Sud.

Autant dire que les ruptures stratégiques sont au programme de cette nouvelle année. Si 2011 a été un cru exceptionnel, 2012 laisse entrevoir une belle vendange...

Bonne année géopolitique !

O. Kempf

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